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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 4)

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Fouqué, Octave: Le drame lyrique et Richard Wagner, [3]
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https://doi.org/10.11588/diglit.18880#0223

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200

L'ART.

Méhul, Cherubini sont totalement délaissés, et l'on peut dire
oubliés du public, alors que Gluck lui-même ne paraît plus
passionner que le petit nombre des érudits, il arrive parfois
qu'un théâtre représente Richard Cœur de lion, et la musiquette
du compositeur liégeois trouve encore le chemin de notre
cœur.

Richard Wagner a-t-il lu les Mémoires de Grétry? Ce
sont trois volumes publiés en l'an V par ordre de la Conven-
tion, sur la proposition de Lakanal, réimprimés depuis à
Bruxelles en 1829. Ils contiennent bien des choses qu'on trai-
terait volontiers de puérilités et de fadaises, n'était le respect
dû à un compositeur qui a résolu le difficile problème de
traverser vivant tout un siècle musical. Mais de temps à
autre un éclair de bon sens, une juste vue de l'avenir viennent
réveiller l'intérêt. Chose curieuse, il est plus d'un point de ces
Mémoires où Grétry se rencontre avec Richard Wagner.

« C'est en étudiant le poème et non les paroles de chaque
ariette, que le musicien parvient à varier ses tons; c'est surtout
en saisissant le caractère des premiers morceaux que chante
chaque acteur, qu'il s'impose la loi de les suivre en leur don-
nant à chacun une physionomie particulière '. »

N'y a-t-il pas là, comme en germe, le procédé qui consiste
à caractériser chaque personnage d'un drame par une mélodie-
type qui le suit partout, accusant d'une façon toujours nou-
velle et toujours précise sa physionomie, en faisant pour ainsi
dire corps avec lui?

Grétry continue :

« Dans les temps les plus reculés, la musique ne fut em-
ployée qu'à consacrer des paroles dignes de passer à la posté-
rité; c'était par des chants que les peuples anciens honoraient
leurs dieux, leurs parents, leur patrie. Aujourd'hui l'on dit :
« Si les paroles sont mauvaises, faites-les mettre en musique,
« on les trouvera bonnes » Je dis le contraire; on les trouvera
détestables... Le langage musical n'existe que dans l'accent
plus fort que celui de la déclamation ordinaire. Il est donc
clair que plus vous déclamerez, plus vous accentuerez, plus
vous ferez sentir la platitude des vers, plus vous dégraderez
les paroles et la musique. »

Ainsi, dans sa Lettre à Fr. Villot, Wagner bataille contre
le mot fameux de Figaro, qu'il cite d'ailleurs inexactement
et qu'il attribue à Voltaire : « Ce qui ne vaut pas la peine
d'être dit, on le chante. »

L'auteur de Tristan et Iseitlt a-t-il jamais lancé contre la
vocalise des arrêts plus forts que ceux édictés par Grétry?

« Un jour, tout ce qui ne sera pas dans le genre du poème
sera repoussé du public instruit... Tous les chanteurs-bro-
dailleurs seront repoussés du théâtre... Les roulades paraîtront
si absurdes qu'on n'en fera plus2... »

1. Grétry, Mémoires ou essais sur la musique, I" vol., p. 2D0.

2. lbid.. 3e vol., p. 423.

3. lbid., 3» vol., p. 32.

4. Le Drame musical, 2e vol., p. 396.

5. Lettre à Fr. Vitlot.

6. Mémoires ou essais sur la musique, 3' vol. p. 2^y.

Mais où la rencontre est la plus curieuse, c'est dans le
projet de théâtre idéal formulé par Grétry. Voici le paragraphe
de ce projet relatif à la construction de la salle de spectacle :

« Je voudrais que la salle fût petite, et contenant tout au
plus mille personnes; qu'il n'y eût qu'une sorte de places par-
tout, point de loges, ni petites ni grandes, ces réduits ne ser-
vent qu'à favoriser la médisance, ou pis encore. Je voudrais
que l'orchestre fût voilé, et qu'on n'aperçût ni les musiciens,
ni les lumières des pupitres du côté des spectateurs. L'effet en
serait magique, et l'on sait que dans tous les cas jamais l'or-
chestre n'est censé y être. Un mur en pierres dures est, je crois,
nécessaire pour séparer l'orchestre du théâtre, afin que le son
répercute dans la salle. Je voudrais une salle circulaire, toute
en gradins, chaque place commode et séparée par de légères
lignes de démarcation d'un pouce de saillie, comme dans les
théâtres de Rome. Après l'orchestre des musiciens, des gradins
formeraient un seul amphithéâtre circulaire, toujours ascen-
dant, et rien au-dessus, que quelques trophées peints à fres-
que :i. »

L'orchestre invisible n'est donc pas une invention bizarre
et monstrueuse ? Cet orchestre, qui est pour M. Schuré 0 l'abîme
mystique qui sépare le monde idéal du monde réel''», Richard
Wagner veut qu'il « soit avec le drame dans un rapport à peu
près analogue à celui du chœur tragique des Grecs avec l'ac-
tion dramatique :i ». Ce sont les idées mêmes de Grétry.

« Mais les accompagnements de tout un orchestre, dira-
t-on, sont-ils aussi dans la nature? — Non; aussi est-il caché
à vos yeux, et en accompagnant, en soutenant, en fortifiant,
quelquefois même en contrariant le chant de l'acteur, l'or-
chestre parle pour la multitude qui prend part à l'événe-
ment °. »

Il est évident que des réformes réclamées par un esprit de
la trempe de Wagner et aussi par un esprit aussi modéré, aussi
sensé, aussi moyen-terme et juste-milieu que l'était le bon
Grétry, ne peuvent manquer d'entrer, un jour ou l'autre, dans
le domaine pratique de l'art. Pour nous en tenir à un seul
point, l'orchestre serait devenu invisible au nouvel Opéra de
Paris sans la force de routine qui règne sur notre monde mu-
sical; et, quelles que soient les résistances, on peut, sans trop
s'aventurer, prédire qu'il rentrera un jour dans la cavité que
M. Garnier lui a ménagée au-dessous de la scène.

Quant au reste, l'avenir décidera. Il y a beaucoup à
prendre et beaucoup à laisser dans l'œuvre de Wagner. Il a
porté le dernier coup de hache à des institutions qui avaient
la vie fort dure. Il a le premier entamé une forêt restée long-
temps en friche; à nous maintenant de nous y tracer notre
voie.

Octave Fouque.

Le Directeur-Gérant : EUGÈNE VÉRON.
 
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