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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 4)

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Véron, Eugène: Gustave Courbet: un enterrement à Ornans
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https://doi.org/10.11588/diglit.18880#0257

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GUSTAVE COURBET.

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mais on ne peut pas accuser le peintre d'avoir cédé à la tentation de le rendre plus sensible en
ennoblissant les uns et en enlaidissant les autres.

Je n'irai pas, comme quelques admirateurs outrés de Courbet, jusqu'à dire qu'il y ait là une
grande profondeur d'observation, mais il y a une sincérité réelle qui est déjà par elle-même un
mérite sérieux. Il faut ajouter, au point de vue de la composition, que les personnages qui
remplissent cette toile donnent bien l'aspect d'une foule vivante, et que ni dans l'ensemble, ni
dans l'attitude particulière de chaque figure, on ne sent la froideur et l'uniformité qui résultent
trop souvent de la copie du modèle dans l'atelier. Tous ces gens-là sont des êtres réels et vivants;
ils ont le mouvement, le geste et surtout la variété de pose et de physionomie qui ne se trouvent
que dans l'observation de la réalité. C'était là une incontestable difficulté dont Courbet a su très
heureusement se tirer. Je ne sais pas si parmi les peintres de son temps qui triomphaient aux
Salons d'où il était exclu, il s'en trouverait beaucoup qui l'eussent surmontée avec le même succès
que lui.

Est-ce à dire que ce tableau soit un chef-d'œuvre dans la grande acception du mot ? Ce n'est
pas ce que nous voulons dire. Ni par la pensée ni par l'exécution, Y Enterrement à Ornans ne peut
être classé parmi les œuvres de génie.

La pensée de reproduire un enterrement, tel qu'on en voit tous les jours, sans la solennité
convenue, était certainement à cette époque une idée hardie, puisqu'elle a soulevé tant de colères
parmi les académiques, qui ne pardonnèrent jamais à Courbet d'avoir « profané jusqu'à la mort
par l'intrusion de son réalisme ». Mais il est difficile de contester que, malgré ses efforts pour
accaparer l'invention du réalisme, Courbet ne faisait que ressusciter une doctrine que bien
d'autres, à commencer par les Espagnols et les Hollandais, avaient mise en pratique longtemps
avant lui. Cette résurrection même, on sait que ce n'est pas lui qui en avait conçu l'idée.

Quant à l'exécution, toujours bien supérieure à la pensée dans les tableaux de Courbet, nous
ne pouvons nous empêcher de regretter que le peintre ait si souvent, et ici en particulier, abusé
des dessous noirs. C'est un moyen commode d'obtenir certains effets et des finesses de modelé,
mais c'est un moyen dangereux contre lequel quelques-uns des amis de Courbet avaient plus
d'une fois essayé de le mettre en garde. Mais le souci du résultat immédiat l'emportait chez ce
grand enfant sur le soin de l'avenir. Aussi la plupart de ses tableaux ont-ils noirci. \J Enterrement
à Ornans n'a pas été épargné, et il est à craindre que l'envahissement du noir continue et finisse
par déséquilibrer complètement le coloris général, et par conséquent la composition tout entière.

Ce tableau, sans avoir l'importance capitale que quelques-uns lui attribuent, marque certai-
nement une date considérable dans l'histoire de la peinture contemporaine. A ce titre il serait à
souhaiter qu'il figurât clans nos collections publiques.

Quant à nous, nous voyons clans Courbet surtout le paysagiste. Il y avait clans ce paysan un
amour inné de la campagne, qui animait les représentations qu'il en faisait d'un sentiment
vraiment personnel. C'est là qu'on peut le voir tout entier, clans l'épanouissement de toutes ses
qualités natives," mais il faut le chercher surtout dans les petits cadres, qui n'exigeaient pas de
lui un effort trop soutenu. Je ne connais rien clans son œuvre entier qui donne de l'artiste une
idée plus juste et plus complète que certaines petites toiles d'après le Ruisseau du Puits-Noir, une
mine à paysages qu'il aimait et connaissait mieux que personne.

Courbet avait un genre de vanité bien particulier. Il se vantait de n'avoir jamais rien appris
de personne, dans l'espoir qu'on l'admirerait d'autant plus d'avoir pu par lui-même devenir un
homme si supérieur aux autres. La vérité est que sa supériorité résidait surtout dans l'idée qu'il
s'en faisait, et que s'il ne savait pas grand'chose, en dehors de son métier de peintre, cela
tenait surtout à ce que, malgré ses hautes prétentions intellectuelles, il était parfaitement inca-
pable de s'élever au-dessus d'un certain niveau d'idées assez banales, qu'il prenait volontiers pour
de merveilleuses découvertes de son propre génie.

C'est ce qui explique la médiocrité intellectuelle de celles de ses compositions où il a essayé
de peindre autre chose que les spectacles de la nature ou les mœurs des animaux. En dépit de la
bonne opinion qu'il professait de lui-même, il avait le sentiment secret de cette infériorité, et il
 
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