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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 2)

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Burty, Philippe: Le Salon de 1880, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.18608#0178

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146 L'ART.

dans une carrière restreinte. Les corporations retenaient de leur mieux les jeunes gens, orfèvres,
ébénistes, tapissiers ; elles exigeaient d'eux une éducation lente, solide ; elles leur distribuaient, au
foyer comme à l'atelier, l'instruction professionnelle. Aujourd'hui, il n'y a plus d'apprentis dans le
sens précis du mot. Les jeunes gens vont le soir dans les écoles de dessin recueillir une éducation
esthétique, s'appliquant à tous les tempéraments, visant tous les avenirs, distribuée par des
professeurs qui sortent du plus banal de tous les collèges, l'École des beaux-arts. Leur rêve de
gloire n'est plus de faire un ouvrier supérieur, mais de « travailler pour le Salon », et, s'il leur
arrive d'être admis, ce qui n'est plus une difficulté, de « se faire acheter ». J'ai connu un jeune
garçon des mieux doués, qui avait peint supérieurement les stores et qui peignait la barbotine,
dans une fabrique de céramique, avec une originalité étonnante. Son rêve était de peindre une
grande aquarelle « pour MUc Thérésa » (elle était alors en pleine vogue). Elle le ferait recevoir
au Salon, et alors il serait sûr que le gouvernement l'achèterait. 11 fit une aquarelle, qui ne valait
pas les choses étranges et délicates qu'il mettait sur la panse de ses vases, et son patron dut le
renvoyer de l'atelier, qu'il avait rendu fou. Il mangea ses économies et y rentra six mois après,
sans prestige.

La facilité d'admission est donc devenue un danger permanent pour nos hautes industries
d'art, sans profit pour notre École. On l'a vu par la concurrence menaçante que nous a dénoncée,
chez nos voisins, la récente Exposition universelle. Nous ne doutons pas qu'elle soit restreinte,
pour le profit de tous, si les artistes, devenus responsables de leur local, devenaient leurs propres
juges. En tous cas, il est regrettable que l'administration supérieure la patronne. La question de
liberté est en ce moment mal posée. Tout le monde paye l'impôt, tout le monde cependant n'est
pas libre de prendre une place au Salon, comme on loue une place à la foire de Saint-Cloud,
quoique l'assimilation devienne de jour en jour plus complète. Donc, il y a atteinte à la liberté.
Mais ne jouons pas sur les mots. Non, aucune liberté n'est illimitée. C'est le rêve des utopistes.
L'État ne doit que surveiller l'emploi que peuvent faire les artistes de leur liberté. Ce qu'on lui
demande aujourd'hui, ce serait ce que seraient en droit de réclamer les dramaturges et les poètes,
par exemple : un concours annuel à la suite duquel sept mille deux cent quatre-vingt-neuf pièces
ou poésies ou brochures seraient représentées ou lues en public durant deux mois ou imprimées
aux frais de l'État

L'administration des Beaux-Arts est-elle armée pour remédier à cette inondation croissante ?
Matériellement et moralement, non! L'an dernier, les réceptions avaient monté d'un millier. Cette
année, dans la séance d'ouverture du jury, le sous-secrétaire d'État près les Beaux-Arts demande
aux jurés, avec toutes les réserves possibles, de se montrer plus sévères : ils lui répondent en
recevant en plus quatorze cents peintures, sculptures, gravures, aquarelles, etc. L'administration
ne compte donc plus pour rien, même à l'état de conseil. Pourquoi alors conserver une
responsabilité qui l'énervé et la décrie? Les incidents pleuvent comme grêle, la faisant responsable
de tout.

La veille, le jury menace de donner en masse sa démission, et trois jurés se retirent2, en
publiant leur protestation dans les journaux hostiles, parce que Ton a abusé des sursis... alors
que le président lui-même, M. W. Bouguereau, avait sollicité un sursis !

Le jour du vernissage, M. Albert Kossak adresse cette lettre à M. Turquet et aux journaux :

« Monsieur le sous-secrétaire d'État,

« Après avoir figuré à deux expositions, j'ai envoyé au Salon de cette année un portrait de
femme, grandeur naturelle en pied. Ce tableau a été reçu. Quelle n'a pas été ma stupéfaction
de retrouver mon oeuvre dans une galerie extérieure et placée, comme un fait exprès, devant une
fenêtre garnie de vitraux gothiques, dont les couleurs déteignaient sur ma peinture et en
changeaient complètement l'aspect !

1. Ce matin, jeudi 6 mai, plusieurs centaines de toiles n'étaient point encore accrochées. On pose des écrans dans les salles où le reste de
l'espace occupé par la cimaise réservée aux hors concours, est laissé vide. C'est un véritable scandale !

2. MM. W. Bouguereau, A. Vollon et Van Marck, comblés d'ailleurs annuellement des faveurs de l'administration.
 
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