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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 2)

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Champier, Victor: Le monument de Corot à Ville-D'Avray
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https://doi.org/10.11588/diglit.18608#0298

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238

L'ART.

l'hiver pour y faire ses dévotions à la nature, Ville-d'Avray a
aujourd'hui un monument en son honneur.

Dès le lendemain du jour où il nous quitta, il y a cinq ans,
l'ide'e de lui consacrer un monument comme'moratif se présenta
à l'esprit de tous ceux qui l'avaient aimé. Un comité se forma
sous la présidence de M. Français, son disciple le plus ancien et
celui qui a le mieux conservé sa délicate tradition. Le produit,
joint aux recettes de l'exposition posthume des œuvres du maître,
et augmenté par la participation de la famille, procura une
somme d'environ 8,000 francs. Mais ce n'était pas assez pour
dresser à Corot un monument digne de lui. L'administration
donna un bloc de marbre, et un sculpteur de beaucoup de mé-
rite, M. Geoffroy-Dechaume, fournit un projet agréé comme le
meilleur. Enfin, grâce à la bonne volonté et des Domaines, et de
la préfecture de Seine-et-Oise, et de l'architecte M. Mignon qui
dirigea les travaux, on put ériger le pieux monument qui a été
inauguré officiellement le 27 mai. je ne dirai pas avec pompe —
le mot ne conviendrait pas pour cette fête vraiment exquise —
mais avec un entrain plein de tact, une bonne humeur légère-
ment attendrie, comme Corot lui-même enfin aurait pu le sou-
haiter, lui, l'homme de la grâce et du rêve enchanté.

Le monument est fort simple et tout à fait original. On l'a
placé très heureusement à côté de la propre maison du célèbre
artiste, dont l'éditeur Alphonse Lemerre est maintenant proprié-
taire, et précisément sur le bord de ce fameux étang de Ville-
d'Avray que Corot aimait à la passion et dont il a fait tant de
tableaux, chefs-d'œuvre de poésie, dans lesquels la lumière, expri-
mée avec les tons lins et argentés dont il eut le secret, semble le
fluide mystérieux où s'ébattent les capricieuses chimères. Il se
compose d'une large stèle, monolithe de marbre blanc, couronnée
par un fronton de forme triangulaire. Une des faces, celle qu'on
aperçoit quand on arrive à l'étang, est absolument dépourvue
de décoration, ce qui, pour le dire en passant, produit une im-
pression funèbre qui disparaîtra lorsqu'on l'aura appuyée d'un
massif de verdure.

L'autre côté, celui qui regarde l'étang, est orné, au-dessous
de l'entablement, d'un médaillon d'où s'échappe en haut-relief
la tète de Corot, cette figure excellente, au bon sourire, à la lèvre
épaisse, que le sculpteur Geoffroy-Dechaume a modelée d'une
façon si magistrale et fouillée d'un ciseau tellement vigoureux,
qu'elle semble vivante. Les yeux vous parlent et sont comme les
témoins éloquents de son âme bonne et douce, amie des nymphes
de la forêt qu'ils contemplent. Au-dessus du médaillon, l'artiste
a eu la très ingénieuse idée de placer un oiseau se balançant sur
une branche de feuillage ; ce sera le gai et l'éternel compagnon
de cette mémoire de poète. « Mon petit ami », disait-un jour
Corot à ce pauvre Daliphard qui a conté dans ce recueil1 ses
souvenirs quelque temps avant sa mort, « mon petit ami, je ne
peins bien que lorsque j'entends les petits oiseaux chanter
et sautiller dans les branches. » Au-dessous du médaillon encadré
par une lyre est un mufle de lion de la gueule duquel s'échappe
une eau claire et chantante qui tombe dans une vasque d'une
grande élégance. L'ensemble de ce monument est du goût le
plus pur et fait honneur au statuaire qui l'a exécute.

Depuis le matin tous les habitants de Ville-d'Avray étaient
en fête. Des drapeaux avaient été arborés aux fenêtres de la rue
Corot conduisant de l'église à l'étang. Une large tente avait été
dressée vis-à-vis du monument, pour recevoir les personnages
invités à l'inauguration.

Le moment indiqué pour la cérémonie était deux heures ;
mais ce n'est qu'à deux heures vingt minutes que les discours ont
commencé. M. Turquet a fait d'abord un petit speech dans le-
quel il a dit qu'il était fier de représenter le gouvernement en
une telle circonstance, et qu'il était heureux de céder la parole
aux amis de Corot dont la voix serait plus autorisée que la sienne
pour célébrer son génie.

A côté de M. Turquet, on remarquait M. Gambetta, qui a
donné toute cette journée au plaisir de s'associer, en sa qualité de
suzerain de Ville-d'Avray, à la fête artistique qu'on y célébrait.
Citons aussi, outre M. Français, dont le discours a été le succès
de la journée. MM. de Chennevières, Ephrussi, Dreyfus, un
très grand nombre d'artistes, Meissonier, Delaplanche, Hédouin,
Aubé, Henri Pill, Stevens, Etex, le sénateur Corbon, Hipp.
Maze, député; le préfet de Seine-et-Oise; des écrivains et des
employés de l'administration des Beaux-Arts : MM. Georges
Lafenestre, A. Lemoyne, Ph. Burty, Claretie, Emile Bergerat,
Charpentier, Cfiampfleury, Charles Royer, enfin M. Lemerre,
l'excellent éditeur, qui avait ouvert à deux battants sa maison
en cette circonstance, et dont l'urbanité et le goût ont été si
appréciés durant cette aimable journée.

Nous avons dit qu'on avait beaucoup applaudi le discours
de M. Français; ce n'est pas assez exprimer les sentiments de
cette assemblée d'élite, en écoutant la parole cordiale, émue et
si juste et si exquise de ton, du paysagiste parlant de son maître!
Sa belle tête couronnée d'une forêt de cheveux blancs que le
vent agitait, son geste à la fois mesuré et bienveillant, l'accent
de sa voix entrecoupée parfois de sanglots qu'il réprimait
aussitôt et dans un sourire, cela sans y songer, enfin la péné-
trante éloquence de sa harangue appréciant avec la précision
d'un praticien supérieur le talent de Corot, tout concourait à
exciter l'émotion et l'intérêt. C'est pourquoi il ne sera pas inu-
tile de reproduire ici presque entièrement ce discours :

« Cette physionomie, où l'aménité et la bienveillance
éclatent, a pour trait caractéristique une volonté et une énergie
dont sa vie et ses œuvres portent le témoignage.

« Dans la famille, dans ses relations amicales ou de société,
dans son art, unité parfaite ! Corot est l'homme moral par
excellence, voilà le fond ! mais à l'extérieur, quelle bonhomie !
Quelle continuelle allégresse ! et si communicative ! — Aussi,
combien j'aime ce petit oiseau qui chante sur sa branche, et dont
Geoffroy a eu l'heureuse pensée de couronner son œuvre ! On ne
pouvait trouver un plus gracieux emblème, ni plus exact. On ne
pouvait mieux personnifier Corot, dont la vie est un chant per-
pétuel. Sa peinture, en effet, ne semble-t-elle pas avoir des ailes
comme cet oiseau ? Elle est, si on peut dire, sonore et musicale.
Et depuis que les hommes emploient brosses et couleurs pour
exprimer leurs impressions de la nature, aucun, plus que lui, n'a
fait oublier le côté matériel, le métier.

« Aucun plus que lui n'a été profond et impalpable. C'est le
Rembrandt du plein air.

« Maintenant, cher patron, nous qui avons côtoyé ta vie, qui
sommes les témoins de ton inépuisable bonté, nous avons essayé
à notre tour de remplir envers toi les devoirs de l'amitié. — Nous
sommes contents de pouvoir léguer ton image à la postérité ;
nous t'avons installé près de ta chère habitation paternelle, dans
ce petit coin de terre que tu préférais entre tous.

« Ton ami Geoffroy a fixé à jamais ton regard tendre et
pénétrant sur les étangs de Ville-d'Avray, sur tes bois et tes
collines de prédilection; vous ne vous quitterez plus.

« Te voilà pour toujours dans ces lieux charmants que tu
as parcourus si joyeusement pendant un demi-siècle; où la
palette en main, devant ton petit chevalet de campagne, sous
ton blanc parasol, tu as suivi, observé, étudié toutes les varia-
tions de la nature, de l'aube au couchant, du printemps à l'au-
tomne; par le soleil, parle temps gris.

« Où tout a été pour toi sujet de poésie. — Ce que d'autres
foulent aux pieds, ce qui les laisse indifférents, toi tu l'as rendu
adorable; un bout de gazon diversement éclairé, une brous-
saille, un coin sombre, une éclaircie, une broderie sur le ciel, un
nuage, une fumée, une maison qui brille là-bas sur la colline,
une vache qui paît, une femme qui passe, un fagot sur le dos,
au détour du sentier, tu fais tout aimer, tu rends tout précieux.

1. Voir l'Art, 1™ année, tome II, page 109.
 
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