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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 2)

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Énault, Louis: L' art algérien, [1]
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L'ART ALGÉRIEN.

tume élégant, de leur veste de riche étoffe, de leur gilet brodé
d'or et de soie, de leurs babouches de maroquin jaune, et du tur-
ban de mousseline blanche, coquettement enroulé autour de
leur calotte rouge. Un peu isolés de la foule, je reconnais les
juifs à leurs pommettes saillantes, à la courbe aquiline de leur
nez, à leur œil clair, intelligent et vif, à leur turban noir, et au
soulier européen, qui remplace pour eux la paresseuse babouche
musulmane. Entre tous ces groupes, et sans se mêler à aucun
d'eux, circule, gesticule et bouscule ses voisins, la troupe cré-
pue et lippue des nègres, dont la face grotesque semble taillée
par un sculpteur fantaisiste dans le basalte ou l'ébène. Ils par-
courent la place en gambadant, au son du tam-tam, de la grosse
caisse et des castagnettes de fer, toujours enfants malgré les
années, inaccessibles aux préoccupations qui nous minent et aux
soucis qui nous dévorent ; et, malgré leurs rudes épreuves et
leur vie précaire, conservant leur inaltérable gaieté, et mon-
trant le large rire épanoui sur leurs dents blanches.

Croire que tout ce monde est ici pour visiter l'Exposition,
ce serait se faire une étrange illusion. La plupart s'en soucient
peu, et les arts plastiques sont pour eux lettre close comme aux
premiers temps de l'hégire. Mais ils se sont entraînés les uns les
autres. On sait comment se forment les courants dans les foules;
ils ont entendu parler de la fête française, et ils sont venus
regarder ceux qui allaient voir. C'est assez pour eux.

III

Cependant, à l'extrémité de la place, en face de cette rue
Bab-Azoun, par laquelle nous débouchons, devant un délicieux
bouquet de cocotiers, de palmiers, de cycas et de bambous,
s'élève un édifice en bois, de petites proportions, mais qui n'est
ni sans élégance ni sans grâce. Son architecte, M. Guiauchain,
un ancien élève de l'École des Beaux-Arts, en a décoré l'entrée
avec beaucoup de goût. Le portique, assez orné, est dans le
beau style oriental fleuri. Grâce à l'habile emploi des verres de
couleur, imitant les gracieux dessins des faïences persanes et
leurs tons suavement adoucis, il a pu obtenir à peu de frais une
frise fort élégante; et, à l'aide de petites consoles en bois
découpé, il lui a donné un relief hardi, et d'un effet vraiment
heureux. Une double porte ogivale, tout agrémentée d'orne-
mentations mauresques, donne accès dans l'atrium de ce petit
palais, où des tapis du Maroc, de Tunis et de Mascara, drapés
en portières, ajoutent à cet ensemble déjà si pittoresque une
note vive et claire, qui résout le difficile problème de l'har-
monie dans l'éclat. A droite et à gauche de la porte ogivale, on
a disposé des massifs d'arbustes élégants, d'où l'on voit émerger
çà et là de fines colonnettes de marbre et d'onyx, que surmontent
de grands vases, d'un galbe élégant et d'une silhouette élancée.

Mais dix heures sonnent à l'horloge de la ville, placée dans le
minaret carré de la nouvelle mosquée (Djama-Djedid), qui s'élève
au point d'intersection de la place du Gouvernement et de la rue
de la Marine. C'est l'instant précis fixé pour l'ouverture de
l'Exposition. L'exactitude est partout la politesse du monde offi-
ciel, en Afrique comme en Europe, à Alger tout aussi bien qu'à
Paris. Les habits noirs et les cravates blanches de l'administration
supérieure pénètrent dans le palais. Nous-y entrons à leur suite.

L'édifice est divisé à l'intérieur en cinq compartiments : un
vaste salon central, et quatre salons plus petits, rayonnant autour
de celui-là.

L'Exposition algérienne comprend un peu plus de huit
cents objets d'art (819) et l'impression qui résulte du premier
coup d'ceil d'ensemble est entièrement favorable à l'organisateur
de cette fête des yeux, M. l'inspecteur Paul Lefort.Sans sepréoe-
cuper de former des groupes sympathiques, il a su disposer avec
beaucoup d'intelligence et de goût les tableaux, les statues, les
dessins, les pastels, les gravures, les photographies, les aquarelles,
les céramiques, les émaux, et les divers objets d'art décoratif dont

on lui avait confié le classement. Il a su également donner à son
Salon algérien le joli aspect et la bonne tenue de nos anciens
Salons parisiens: il n'obtiendra pas de moi d'autre éloge. J'ajou-
terai seulement que la lumière a été habilement ménagée par
l'architecte; que le jour est excellent, que l'on voit de partout,
et que l'on voit tout.

Alger s'est piqué d'honneur, et il a voulu entourer sa pre-
mière exposition artistique d'une solennité et d'un éclat capables
de frapper les esprits, et dont on gardât la mémoire. La céré-
monie par laquelle on l'a inaugurée a eu toute la pompe et tout
l'apparat des fêtes nationales. M. Journault, alors secrétaire
général du gouvernement, et remplissant l'intérim du gouver-
neur absent, a présidé la séance avec une bonne grâce courtoise,
ayant à sa droite le maire de la ville, et à sa gauche le président
de la Société des Beaux-Arts, qui estaussi le président de l'Expo-
sition, et l'un des personnages les plus importants du pays,
M. Hippolyte Mongellas.

M. Mongellas prend la parole le premier, et, dans un dis-
cours rapide, concis, plein de faits, et fréquemment applaudi,
il raconte l'origine, expose le but, et retrace les progrès de l'Ex-
position. Ce que la Société fait aujourd'hui, c'est une véritable
tentative de décentralisation au profit de l'Algérie; l'Algérie a
adressé un appel pressant non seulement aux artistes qui vivent
et travaillent sur le sol de notre colonie, mais à tous les produc-
teurs, d'où que ce soit qu'ils viennent, et sans acception de
nationalité. On a répondu de tous les pays à la fois, et le cata-
logue comprend des œuvres signées des peintres et des
sculpteurs de France et d'Angleterre, de Suisse et de Hollande,
de Belgique et d'Allemagne, d'Espagne et d'Italie. On peut donc
pressentir déjà les résultats de l'Exposition et apprécier sa
portée. Elle initiera la population algérienne au culte du beau,
elle sera une école pour la jeunesse, un encouragement pour les
artistes, une satisfaction donnée aux nombreux étrangers qui
viennent hiverner sous le soleil d'Afrique, et qui sont générale-
ment avides de distractions intellectuelles et artistiques. M. le
président termine son allocution en remerciant cordialement
M. Paul Lefort du concours dévoué et infatigable qu'il a prêté à
l'Exposition d'Alger.

Après une réponse improvisée en fort bons termes, par
M. Journault, qui appartient au groupe des orateurs sympathi-
ques, M. Paul Lefort, parlant au nom du ministère, nous fait
connaître le programme gouvernemental, en ce qui touche la
direction et l'avenir des beaux-arts en Algérie. C'est une sorte
de discours ministre, et l'événement sérieux et important de la
journée. Envoyé en Algérie par le ministre à qui ces choses
ressortissent, l'inspecteur est, en effet, chargé d'une mission em-
brassant tout ce qui a trait à la propagation des choses de l'art,
par l'enseignement du dessin dans les écoles, par sa diffusion
dans tous les grands centres de population, par le perfectionne-
ment et le choix des méthodes, et surtout par l'établissement
des musées et des collections publiques. C'est qu'en effet, l'édu-
cation de l'œil, cette éducation vivante, matérielle et saisissante,
ne s'adresse pas seulement aux initiés, ceux que l'on appelle les
artistes ; il faut qu'elle vise, pour ainsi parler, une nation tout
entière, et qu'elle l'emporte dans son mouvement. On n'obtient
qu'à ce prix le progrès général des arts, qui doit être le but de-
tout gouvernement soucieux des intérêts d'un grand peuple. Or.
dans ce double domaine de l'enseignement et des musées, on
peut dire que presque tout reste à faire en Algérie. Il est néces-
saire que I'École municipale de dessin de la ville d'Alger se
transforme en École nationale des Beaux-Arts ; il est néces-
saire que la capitale de notre France africaine ait un Musée
digne d'elle. Eh bien ! le mouvement artistique qu'une exposi-
tion crée nécessairement autour d'elle est le plus sûr moyen d'ar-
liver à ce résultat. On voit maintenant si la grande manifestation
dont nous rendons compte dans ces pages avait des droits à la
sympathie d'une publication comme la nôtre.

\La suite prochainement.) louis Enault.
 
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