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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 2)

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Énault, Louis: L' art algérien, [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.18608#0344

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284

L'ART.

il a su faire une place aux arts industriels et aux arts de'coratifs,
aux meubles sculptés, aux vitraux, aux tentures, aux bois
découpés, aux incrustations d'ivoire ou d'écaillé, aux broderies
d'or et de soie, et aux riches mosaïques.

Il n'entre point dans notre plan d'étudier ici ces divers
aspects de l'art algérien. Il ne nous est possible que d'en donner
la vue d'ensemble, et, pour ainsi parler, la caractéristique géné-
rale. Il n'est pas besoin de se livrer ici à un long examen pour
reconnaître la filiation directe de l'art algérien contemporain,
et pour faire remonter ses origines jusqu'à I'Art mauresque
du moyen âge et de la Renaissance. Ce sont les mêmes dispo-
sitions d'ensemble, la même recherche de détails, les mêmes
prédominances du style ogival, partout où il est possible de
l'appliquer, le même emploi des couleurs claires, vives et gaies.
Mais là où les anciens artistes réalisaient le difficile problème
de l'harmonie dans l'éclat, les modernes, j'ai le devoir et le
regret de le dire, n'arrivent trop souvent qu'à des formes sèches
et dures, et à des colorations brusquement contrastées, qui
affligent et blessent les rétines délicates. Nous avons pour l'art
mauresque, sincèrement et habilement pratiqué, une prédilection
toute particulière : il est élégant et discret, fier et galant. Mais il
exige de ceux qui s'y consacrent un œil sûr et une main savante
et fine que nos Algériens n'ont pas encore à leur disposition.
C'est une raison de plus à nos yeux pour que ceux à qui
incombe le soin de diriger les destinées de ce noble et beau
pays se hâtent d'établir et les écoles des beaux-arts et les col-
lections de modèles de tous genres, que nous réclamons instam-
ment, avec tous ceux qui ont souci de l'avenir artistique de la
plus riche de nos colonies.

VI

Cet état civil de I'Art algérien, qui n'avait jamais encore
été fait, et que nous tenions à faire, resterait nécessairement
incomplet, si, après avoir constaté l'insuffisance du musée établi
au prix de nombreux efforts par la Société des Beaux-Arts, nous
passions sous silence une autre collection contenant des objets
d'art tout à fait remarquables, et dignes de l'étude réfléchie et de
la profonde attention de tout ce qui a le goût, le culte et l'amour
du Beau.

Cette jolie collection est logée dans les bâtiments, ou, pour
mieux dire, dans la cour de la Bibliothèque de la ville.

Que ce mot de bibliothèque ne réveille dans votre esprit
aucune des idées ennuyeuses et maussades que nous devons
peut-être aux établissements similaires de notre Europe, où il
semble que l'on a pris plaisir à hérisser l'étude de difficultés et
d'empêchements : hauts étages, longues galeries, amas de livres
d'où se dégage, avec la poussière, je ne sais quelle odeur fade et
nauséabonde; gardiens soupçonneux, employés rogues, forma-
lités minutieuses, insupportable attente !

Tout au contraire, la Bibliothèque-Musée d'Alger est le plus
gracieux établissement de la ville, comme il en est le plus hospi-
talier. Ancienne résidence de Mustapha-Pacha, petit-fils d'Hussein
ben-Hassen, dernier dey 'd'Alger, située au milieu du palais des
anciens grands seigneurs musulmans qui formaient jadis le beau
quartier de la ville arabe, elle nous offre un admirable spécimen
de cette maison mauresque, qui vous donne l'idée d'un cloître —
dont les femmes ne seraient pas exclues — disposée à merveille
pour défendre ses habitants et contre les ardeurs du climat et
contre les curiosités du passant. Jamais encorevon n'avait mieux
résolu le problème de l'isolement au milieu de la foule. C'est la
vie murée. C'est en Orient que le Sage a dû adopter pour la
première fois cette prudente devise : « Cache ta vie ! » Pour la
mettre plus aisément en pratique, l'Oriental donne à l'extérieur
de son habitation une apparence inhospitalière et peu enga-
geante. La porte est étroite et basse, souvent difficile d'accès,

placée au-dessus de deux ou trois marches parfois disjointes, et
presque toujours posées en porte-à-faux — un casse-cou plutôt
qu'un seuil. Pas de sonnette, — mais un marteau en fer, fine-
ment ouvragé. La première pièce qui s'offre à vous est un parloir
étroit et long, dallé de faïence, et recouvert jusqu'à hauteur
d'appui, de carrelages brillants et vernissés. Au-dessus de ce
carrelage, dans les maisons riches, une frise de tapis éclatants,
ou de nattes aux vives et fraîches couleurs.

Une seconde porte s'ouvre sur un des côtés de ce vestibule,
et vous fait pénétrer dans l'intérieur de la maison mauresque.
Cette cour, un morceau exquis, est généralement pavée de mar-
bre blanc, ornée au milieu d'une fontaine jaillissante, dont la
vasque est remplie de plantes aquatiques, sur lesquelles l'eau
retombe en perles irisées avec un gai murmure. Aux quatre
coins, des massifs de verdures et de fleurs ; partout l'escadron
volant des pariétaires, qui montent à l'assaut des colonnes, esca-
ladent les galeries, et mettent aux plafonds des pendentifs de
feuillages. Cette cour à ciel ouvert, comme l'impluvium de la
maison romaine, et toujours en communication directe avec l'air
extérieur, est entourée d'un péristyle de colonnes en marbre,
ou en onyx rubanné. D'élégants chapiteaux coiffent ces colonnes,
qui supportent une galerie en bois de cèdre ou de thuya, servant
de promenoir au premier étage.

La Bibliothèque-Musée est bâtie sur ce type, mais avec plus
d'élégance, plus de grandeur, et plus de richesse que l'on n'en
trouve d'ordinaire dans la maison mauresque du simple parti-
culier. On devine tout de suite que l'on est dans la demeure
d'un prince. Un bel auvent en cèdre brun abrite la porte magis-
trale. Au lieu d'un vestibule, ce palajpno en a trois, du style
oriental le plus pur, avec des colonnes géminées, se rejoignant
au-dessus de leurs chapiteaux de marbre blanc, de façon à for-
mer des arcs surbaissés. Les parois sont revêtues de faïence d'un
riche émail, dont les ingénieux dessins représentent des rosaces,
des balancelles, et des vases de fleurs, au-dessus desquels volti-
gent et butinent des essaims de papillons folâtres.

La cour se trouve au fond du troisième vestibule.

En l'apercevant tout à coup devant moi, j'ai ressenti une des
impressions les plus heureuses de ma vie de voyageur. J'ai vu
des choses plus grandes : j'en ai peut-être vu de plus belles. Je
n'en ai jamais vu d'aussi charmantes. Je perds pour un instant le
sentiment exact de la réalité ; je me demande où je suis. Dans un
palais ? dans un musée ? dans un jardin ? cette cour incomparable
est tout cela tout à la fois. Des torsades de volubilis s'enroulent
autour des colonnes; l'ombre des lataniers et des bambous
épaissit celle des arceaux; les géraniums, les tradescantias et les
gigantesques graminées africaines montent par étages avec les
bassins superposés d'une fontaine monumentale, où prennent
leurs ébats des poissons à la cuirasse d'or et de rubis; des drape-
ries de lierre, retombant des galeries supérieures, flottent sur
les bas-reliefs des sarcophages, ou couronnent le front des statues.
Le soleil, qui entre ici comme chez lui, verse sa pluie de rayons
sur ces trésors de la nature et de l'art, et en varie les effets, en
variant, selon les heures du jour, les jeux de sa lumière : ajoutez
l'azur intense et profond du ciel africain, qui adoucit les contours
de toute chose, en les veloutant d'un reflet bleuâtre.

Ici, pas de pédantisme, nulle prétention, rien qui sente la
réglementation scientifique, ni l'ordre voulu et rigoureux d'un
catalogue officiel ; pas de cicérone importun qui vous obsède de
sa science d'emprunt. Vous êtes dans un salon, bien plus encore
que dans un musée. Si des inscriptions explicatives vous facili-
tent l'étude des objets que vous venez voir, rien ne vous oblige
à les lire. Vous pouvez tout examiner en détail, ou vous contenter
d'un simple coup d'œil d'ensemble : personne n'y trouvera rien
à redire.

Ce qu'il y a de plus remarquable dans ce musée, qui ne
ressemble à aucun autre, ce sont les sculptures. Le morceau
le plus intéressant est un torse de Vénus, trouvé dans les
thermes romains de Cherchell, et dont la ressemblance avec
 
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