Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 4)

DOI Artikel:
Heulhard, Arthur: Art dramatique, [3]
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.18880#0103

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
ART DRAMATIQUE

THEATRE DU CHATEAU-D'EAU : MALHEUR AUX PAUVRES!
THÉÂTRE DÉJAZET : LA BAMBOCHE.

M. Alexis Bouvier, l'auteur du nouveau drame du Château-
d'Eau : Malheur aux pauvres ! s'est fait dans la littérature de
rez-de-chaussée une personnalité par laquelle il se distingue
de ses confrères en roman-feuilleton, Joliet, Richebourg,
Saunière, Belot, Arnould et Montépin. Il a sur ses rivaux la
supériorité de la note peuple. A ce titre, il règne en vainqueur
sur les concierges, les capitaines retraités à Belleville, et les
bonnes vieilles à cheveux en tire-bouchons qui nourrissent
tendrement des serins dans des cages. Un roman de M. Bou-
vier, bien lancé, fait monter le tirage d'un petit journal dans
des proportions exorbitantes : le succès colossal de la Grande
J^a l'atteste. Il n'est donc pas surprenant que les sociétaires
du théâtre du Château-d'Eau se soient adressés à lui pour la
commande d'une pièce en harmonie avec les goûts d'une clien-
tèle où la blouse écrase l'habit, et Malheur aux pauvres! four-
nira vraisemblablement une longue carrière.

Le titre seul du drame est une trouvaille : il flatte certains
instincts, il encourage certaines susceptibilités, et sonne haut
en ce temps de revendications peu déguisées. Il a le grand
tort, selon moi, de promettre beaucoup plus qu'il ne tient. Au
théâtre, j'aime les thèses abordées franchement : ce sont elles
qui font les bonnes pièces. Dans le drame de M. Bouvier, la
thèse ne se sent point, et Malheur aux pauvres! n'est qu'une
qualification vague et prétentieuse. Il ne m'eût point déplu
que M. Bouvier exploitât la voie ouverte par les philosophes
modernes, et nous montrât par quels ressorts de la machine
sociale une famille d'ouvriers honnêtes, courageux, âpres au
travail, peut être broyée et jetée aux quatre vents de la misère,
sans que son appel désespéré soit écouté des privilégiés de la
fortune. Le bourgeois eût trouvé la chose excitante et sub-
versive; d'accord, mais elle eût été conséquente avec ses prin-
cipes, et la plaidoirie se fût développée logiquement, par une
trajectoire inexorable. M. Bouvier n'a pas vu la pièce sous cet
angle; il tient trop grand compte de l'accident et de la fatalité
dans l'infortune du prolétaire; les circonstances qui entraînent
la ruine du mariage dont il nous compte l'histoire ne sont pas,
ainsi que vous allez en juger, le monopole des classes pauvres,
et tel ménage riche serait brouillé à moins. Par quoi l'ouvrage
de M. Bouvier manque de sanction morale et de conclusion
philosophique. Malheur aux vauvres ! tombe au rang d'une
aventure. En voici l'exposition, les péripéties et le dénoue-
ment. Yvette Flamet est blanchisseuse de son état; son mari,
Denis Mérit, ouvrier. Ils s'entendent bien, vivent bravement
et ne s'épargnent point à la peine. M. Alexis Bouvier envoie
en travers de ce couple un hideux coquin de la plus haute
noblesse, le comte d'Hauteril. Selon l'esthétique du genre, ce
descendant des croisades est né avec les instincts les plus
pervers. Aidé d'une certaine Basilide, effrontée traîtresse,
quoique de basse extraction, il forme le monstrueux projet
d'avoir Yvette, et comme Yvette est de

Ces petites blanchisseuses
Qui s'en vont chaque lundi
Aux pratiques paresseuses
Porter le linge à midi,

il lui donne sa pratique et l'attend de pied ferme, décidé aux
sévices les plus graves. Or Yvette étant venue lui rapporter des

chemises, il se recommande au dieu des jardins, se rue sur elle
avec la fougue d'un satyre, et la viole. Le rideau s'abaisse len-
tement sur cette scène atroce, masquant à nos yeux, par une
pudeur tardive, Yvette évanouie et déshonorée. Il me souvient
d'un acte absolument semblable, aux personnages près, dans
un drame d'Alfred Touroude, joué à la Renaissance sous la
direction Hostein et intitulé Jane, si la mémoire ne me fault.
En ce temps-là, le public n'était point monté au diapason
suraigu qui est le diapason normal d'aujourd'hui, et il pro-
testa véhémentement contre les tendances brutalement réa-
listes de l'auteur. Il s'est singulièrement aguerri depuis, et il a
supporté sans sourciller l'attentat du comte sur sa blanchis-
seuse. Mieux encore, il a rappelé les interprètes, estimant que
le déshonneur du comte rachetait jusqu'à un certain point
celui d'Yvette. Passons. Le premier mouvement de la victime
est d'avouer tout à Denis Mérit, d'allumer son indignation et
d'armer sa vengeance contre le misérable qui l'a prise de force.
Hélas ! le malheur est entré dans le ménage de deux côtés à
la fois; on a transporté le mari à l'hôpital, gravement atteint
de la fièvre typhoïde. La femme se résigne à se taire : parler
c'est tuer l'homme : elle attendra. Au bout de quelques mois,
elle s'aperçoit qu'elle est enceinte : elle continue de dissimuler
la triste vérité à Denis qui se morfond à l'hôpital, étonné de
n'avoir ni nouvelles ni visite d'Yvette. Le terme révolu,
Yvette accouche.

La situation, déjà terriblement tendue, se complique de la
haine que Basilide, l'ignoble complice du comte, voue à
Yvette. Cette Basilide n'a-t-elle pas l'audace, après avoir
contribué à perdre son amie, de lui offrir une trêve et de lui
tendre la main en signe de reconciliation ? Il faut voir comme
Yvette la traite! M. Bouvier lui prête des accents vraiment
dramatiques dans leur crudité poissarde : les délicats en sont
bien un tantinet scandalisés, mais il n'écrit pas pour les déli-
cats, et le langage qu'il emploie est dans la condition du person-
nage. Basilide, ainsi déshabillée devant quinze cents personnes,
s'exalte dans sa rancune. Avec une bassesse de caractère et
un luxe de manœuvres, qui laissent loin derrière eux les
inventions les plus perfides des plus perfides troisièmes rôles,
elle se met en devoir d'apprendre à Denis Mérit ce que sa
femme lui cache, et la faute et l'enfant. Au tableau qu'elle fait
à Denis de la trahison conjugale, celui-ci perd la tête: malgré
les infirmiers qui le retiennent à l'hôpital et lui lient les bras
pour l'empêcher d'en sortir, il parvient à s'évader, et alors
commence un délire sanguinaire qui aboutit à la boucherie la
plus canaque. Il élripe (c'est son mot) l'enfant né de l'adultère;
il e'tripe le comte, à la satisfaction générale des galeries supé-
rieures ; enfin, il étriperait la malheureuse Yvette, si la police
n'intervenait à temps, préludant à l'action de la justice. Tel est,
au résidu, le drame que M. Alexis Bouvier a baptisé du nom
pompeux et fatidique de Malheur aux pauvres! Vous avez pu
vous convaincre que ce cruel vœ victis, vœ miseris, n'était
nullement la résultante de l'ordre social. Un accident, dont
les millionnaires ne sont pas plus exempts que les gueux de
l'hostiaire, est la cause initiale de tout le drame : une femme
est violée. Elle est pauvre. M. Alexis Bouvier fait le séducteur
riche et comte, et crie Malheur aux pauvres ! Conclusion
arbitraire et raisonnement tortionnaire.
 
Annotationen