34 L'ART.
du même musée de Madrid. Les planches sont signées Don F" de Goya, avec une légende com-
plète, et toutes sont datées 1778.
Ces eaux-fortes ne trahissent nullement la main d'un artiste qui grave pour la première fois ;
le dessin est très-serré ; peut-être manquent-elles un peu de relief et de vigueur quand on se
rappelle les superbes colorations de ces admirables équestres qui sont la gloire du musée de
Madrid, mais il y a certainement là interprétation, et l'artiste n'a pas amené sa planche à la
puissance de valeur des originaux. Comme procédé, Goya, dans cette première série, a employé
seulement la pointe, très-simplement maniée, sans roueries ni complications de tailles et surtailles;
dans deux seulement, — Un Infante d'Espana et Barbarroxa, — il a pour la première fois
employé l'aqua-tinte, à laquelle, plus tard, il devra ses plus saisissants effets.
La même année de l'exécution, l'artiste, qui était un homme pratique et qui savait parfaite-
ment tirer parti de ses travaux, quoiqu'il fût en même temps d'un caractère difficile et d'une
fierté ombrageuse, offrit les planches mêmes au roi Charles III, qui les acheta pour la chalcogra-
phie royale.
M. Lefort a fait remarquer avec raison que cet artiste prime-sautier et violent, qu'on aurait
cru capable de si peu de réflexion, et que la foule de ceux qui ne connaissent point l'œuvre dans
son ensemble regarde comme un -furibond qui devait attaquer du premier coup le cuivre, sans
préparation et sans études préalables, n'abandonnait au contraire rien au hasard de l'improvisation,
ni au point de vue de la composition, ni au point de vue de l'exécution. C'est un fait qui
s'explique facilement pour la série gravée d'après Velasquez, car là, Goya n'était qu'un interprète,
et il est évident qu'il a dû d'abord faire un dessin serré, précis, afin de le recopier patiemment
sur le cuivre. Les originaux de ces dessins sont connus, plusieurs ont passé en vente publique
(107 et 108 du catalogue de la vente Lefort), et les amateurs ont pu constater que le coup de
crayon étant donné dans le sens des hachures de la pointe, l'exécution de la planche est iden-
tique à celle de l'étude, la traduction de la valeur est déjà faite, et par conséquent rien n'est
laissé à l'imprévu.
Après les Chevaux et les Nains viennent, dans l'ordre chronologique, los Caprichos — les
Caprices, — l'œuvre la plus populaire du maître, celle qui a fondé sa réputation de graveur, et
qui a dénoncé au monde des connaisseurs sa curieuse personnalité; la première d'ailleurs qu'on ait
connue en France, en Angleterre, où les officiers de l'armée anglaise les apportèrent à la suite de
leur expédition, plus tard en Allemagne, avant qu'elle se répandît parmi ce public restreint des
amateurs du monde entier. En corroborant tous les documents, les allusions qu'on peut trouver
dans la correspondance, les assertions des biographes appuyées sur des preuves, sur des dates au
bas de tel ou tel dessin, de telle ou telle planche, il reste évident pour nous que Goya, à partir
de la publication d'après Velasquez, en 1778, resta au moins une douzaine d'années sans revenir
au procédé de l'eau-forte, ou du moins sans rien livrer au public. Il était entré à la cour
en 1789 comme peintre du roi; c'est dans ce milieu, si curieux alors, qu'il a conçu, vers 1793,
l'idée des Caprices. Il publia vers 1797 les soixante-douze premières planches; la suite complète
des quatre-vingts ne parut réunie en série que dans le courant de l'année 1802.
Il y eut quelque mystère dans la préparation et l'exécution de ces planches, qui circulèrent
d'abord parmi les amis de Goya, qu'on se montrait à voix basse, dans quelques tertullias, où
chacun les interprétait à sa façon, obtenant toujours un réel succès que venaient accroître encore la
rareté des épreuves et la retenue avec laquelle on les communiquait ; tandis que le danger qui
menaçait ceux qui faisaient la propagande était aussi un aiguillon pour chacun des souscripteurs
et un attrait pour tous.
L'artiste, très-mondain, très-entouré, et dont l'atelier était beaucoup plus fréquenté que celui
d'aucun de ses collègues de l'Académie de San Fernando, éprouva le besoin, pour exécuter cette
série, d'échapper aux indiscrétions et aux obsessions de ce monde brillant et fragile qui hante
d'ordinaire les ateliers à la mode ; il loua, au coin de la rue San Bernardino, une espèce de man-
sarde où il se retirait pour composer, exécuter et tirer lui-même ses épreuves.
du même musée de Madrid. Les planches sont signées Don F" de Goya, avec une légende com-
plète, et toutes sont datées 1778.
Ces eaux-fortes ne trahissent nullement la main d'un artiste qui grave pour la première fois ;
le dessin est très-serré ; peut-être manquent-elles un peu de relief et de vigueur quand on se
rappelle les superbes colorations de ces admirables équestres qui sont la gloire du musée de
Madrid, mais il y a certainement là interprétation, et l'artiste n'a pas amené sa planche à la
puissance de valeur des originaux. Comme procédé, Goya, dans cette première série, a employé
seulement la pointe, très-simplement maniée, sans roueries ni complications de tailles et surtailles;
dans deux seulement, — Un Infante d'Espana et Barbarroxa, — il a pour la première fois
employé l'aqua-tinte, à laquelle, plus tard, il devra ses plus saisissants effets.
La même année de l'exécution, l'artiste, qui était un homme pratique et qui savait parfaite-
ment tirer parti de ses travaux, quoiqu'il fût en même temps d'un caractère difficile et d'une
fierté ombrageuse, offrit les planches mêmes au roi Charles III, qui les acheta pour la chalcogra-
phie royale.
M. Lefort a fait remarquer avec raison que cet artiste prime-sautier et violent, qu'on aurait
cru capable de si peu de réflexion, et que la foule de ceux qui ne connaissent point l'œuvre dans
son ensemble regarde comme un -furibond qui devait attaquer du premier coup le cuivre, sans
préparation et sans études préalables, n'abandonnait au contraire rien au hasard de l'improvisation,
ni au point de vue de la composition, ni au point de vue de l'exécution. C'est un fait qui
s'explique facilement pour la série gravée d'après Velasquez, car là, Goya n'était qu'un interprète,
et il est évident qu'il a dû d'abord faire un dessin serré, précis, afin de le recopier patiemment
sur le cuivre. Les originaux de ces dessins sont connus, plusieurs ont passé en vente publique
(107 et 108 du catalogue de la vente Lefort), et les amateurs ont pu constater que le coup de
crayon étant donné dans le sens des hachures de la pointe, l'exécution de la planche est iden-
tique à celle de l'étude, la traduction de la valeur est déjà faite, et par conséquent rien n'est
laissé à l'imprévu.
Après les Chevaux et les Nains viennent, dans l'ordre chronologique, los Caprichos — les
Caprices, — l'œuvre la plus populaire du maître, celle qui a fondé sa réputation de graveur, et
qui a dénoncé au monde des connaisseurs sa curieuse personnalité; la première d'ailleurs qu'on ait
connue en France, en Angleterre, où les officiers de l'armée anglaise les apportèrent à la suite de
leur expédition, plus tard en Allemagne, avant qu'elle se répandît parmi ce public restreint des
amateurs du monde entier. En corroborant tous les documents, les allusions qu'on peut trouver
dans la correspondance, les assertions des biographes appuyées sur des preuves, sur des dates au
bas de tel ou tel dessin, de telle ou telle planche, il reste évident pour nous que Goya, à partir
de la publication d'après Velasquez, en 1778, resta au moins une douzaine d'années sans revenir
au procédé de l'eau-forte, ou du moins sans rien livrer au public. Il était entré à la cour
en 1789 comme peintre du roi; c'est dans ce milieu, si curieux alors, qu'il a conçu, vers 1793,
l'idée des Caprices. Il publia vers 1797 les soixante-douze premières planches; la suite complète
des quatre-vingts ne parut réunie en série que dans le courant de l'année 1802.
Il y eut quelque mystère dans la préparation et l'exécution de ces planches, qui circulèrent
d'abord parmi les amis de Goya, qu'on se montrait à voix basse, dans quelques tertullias, où
chacun les interprétait à sa façon, obtenant toujours un réel succès que venaient accroître encore la
rareté des épreuves et la retenue avec laquelle on les communiquait ; tandis que le danger qui
menaçait ceux qui faisaient la propagande était aussi un aiguillon pour chacun des souscripteurs
et un attrait pour tous.
L'artiste, très-mondain, très-entouré, et dont l'atelier était beaucoup plus fréquenté que celui
d'aucun de ses collègues de l'Académie de San Fernando, éprouva le besoin, pour exécuter cette
série, d'échapper aux indiscrétions et aux obsessions de ce monde brillant et fragile qui hante
d'ordinaire les ateliers à la mode ; il loua, au coin de la rue San Bernardino, une espèce de man-
sarde où il se retirait pour composer, exécuter et tirer lui-même ses épreuves.