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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 3.1877 (Teil 2)

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Art Musical
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I

ART MUSICAL

,< LE ROI DE LAHORE » (OPÉRA) — «

Les temps sont bien change's, — heureusement ! — et nos
musiciens, si mal partagés jadis, seraient moins bien venus
aujourd'hui à se plaindre de la destinée qui leur est faite. Non
que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes, assu-
rément ; mais à coup sûr, et pour ne parler que de nos prix de
Rome, la situation actuelle est singulièrement préférable à la
situation passée. On se rappelle en effet les doléances, beaucoup
trop justifiées, que faisaient entendre naguère nos lauréats de
l'Institut; on se souvient du petit calcul dont ils furent souvent
l'objet et duquel il résultait qu'un sur dix, à peine, parvenait à
se produire peu ou prou devant le public.

Or, il n'en va plus tout à fait ainsi maintenant, grâce, d'une
part, à la bonne volonté relative de nos scènes musicales, de
l'autre, aux entreprises de concerts, inconnues chez nous il y a
vingt ans, et qui semblent s'être donné pour mission spéciale
d'encourager nos jeunes artistes et de les foire connaître. On
pourrait prendre les noms de nos prix de Rome depuis quinze
ou seize ans, et presque prouver que ceux qui restent ignorés le
sont par leur faute. Soit au théâtre, soit au concert, là plupart
ont été accueillis, et il suffit de les citer pour s'en convaincre :
MM. Massenet, Ernest Guiraud, Bourgault-Ducoudray, Théo-
dore Dubois, Charles Lenepveu, Charles Lefebvre, Henri Ma-
réchal, Serpette, Salvayre et d'autres sont lâ pour prouver
l'exactitude de cette assertion.

Précisément, deux grosses parties ont été jouées récemment,
par deux de nos plus importantes scènes lyriques, sur les noms
de deux prix de Rome. L'Opéra, qui d'ordinaire n'est pas tendre
pour les jeunes musiciens, — ce n'est pas d'ailleurs son rôle, —
a donné la première représentation d'un ouvrage en cinq actes,
le Roi de Lahore, dû à la plume de M. Massenet, et presque au
même instant le Théâtre-Lyrique offrait â son public un opéra
nouveau en quatre actes, le Bravo, dont l'auteur est M. Salvayre.
L'heure, on le voit, était prospère au jeune art français, et il est
juste de déclarer que si les deux œuvres représentées ne consti-
tuent pas deux chefs-d'œuvre, elles sont du moins, à des de-
grés divers, dignes de la plus grande sympathie, du plus vif in-
térêt et de la plus sérieuse attention.

Par malheur, l'une et l'autre pèchent par un point capital :
l'insuffisance du livret qui a servi de texte à l'inspiration des
compositeurs. Ce n'est pas l'un des moindres obstacles à l'ex-
pansion de notre jeune école française, si pleine de séve, si flo-
rissante et si vigoureuse, que cette absence de librettistes experts,
que cette pénurie de bons poèmes à mettre en musique. Cer-
tains écrivains, bien doués assurément, à d'autres points de vue,
mais qui s'obstinent à ne pas vouloir comprendre les exigences
de la scène, surtout celles de la scène lyrique, se figurent trop
facilement qu'avec de jolis vers, les extases d'une vague rêverie
et une couleur plus ou moins brillante répandue sur l'ensemble,
ils feront un chef-d'œuvre lyrique. Ceux-lâ se refusent â ad-
mettre qu'un bon poème d'opéra veut avant tout une action
vive, de rapides épisodes, de hardis contrastes, des caractères net-
tement tracés, frappés en quelque sorte à l'emporte-pièce, et
par-dessus tout les éléments d'un intérêt dramatique qui ne fai-
blisse pas un instant. Le musicien scénique n'a nul besoin de
beaux vers, — il s'en soucie bien, et n'en aurait que faire, — et
doit s'inspirer, non de la poésie de son collaborateur, mais des
situations que celui-ci peut lui fournir et de l'allure générale du
drame. Scribe, qu'on n'a plus le droit de railler aujourd'hui,
écrivait la plupart du temps des vers pitoyables, et il avait rai-

LE BRAVO » (THÉÂTRE-LYRIQUE)

son, car ses musiciens les auraient défigurés au gré de leurs
inspirations; mais il leur fournissait des livrets qui étaient des
chefs-d'œuvre, et qui s'appelaient la Juive, Robert, les Hugue-
nots, le Prophète, c'est-à-dire des drames pleins de passion, d'in-
térêt, de puissance et de grandeur. Le mérite littéraire est de
peu dans des productions de ce genre ; ce qu'il faut avant tout,
c'est la chaleur et la vie, le mouvement et l'action. Or, que l'on
compare un seul instant le livret du Roi de Lahore à celui des
ouvrages que je viens de citer, et que l'on me dise de quel côté
sont les qualités essentielles !

■ Il me paraît certain, en effet, que l'auteur de ce livret,
M. Louis Gallet, n'a pas tiré tout le parti possible du sujet qu'il
avait choisi, et qu'il pouvait rendre d'autant plus intéressant que
le côté légendaire et poétique, qui laissait toute marge à son
imagination, venait se joindre à la partie en quelque sorte his-
torique et pouvait lui fournir des épisodes d'une couleur et d'une
originalité toutes particulières. Or, dans cet ordre d'idées, je
tiens pour absolument manqué l'acte du Paradis d'Indra, entiè-
rement consacré au ballet, et où le poète s'efface derrière son
collaborateur, sans profit pour ce dernier. Le côté passionnel
même, le côté purement humain, semble avoir échappé à
M. Gallet, qui n'a pas su trouver en son cœur un de ces accents
touchants, vigoureux ou héroïques, nés de la situation même,
un de ces accents qui portent en quelque sorte un musicien
malgré lui, et font jaillir de son cerveau une de ces inspirations
magnifiques par lesquelles est troublée l'âme des spectateurs
au point de soulever une salle entière d'admiration et d'enthou-
siasme. L'amour un peu douceâtre du roi Alim et de la prêtresse
Sita, la passion brutale de Scindia pour cette vestale boudhique,
les épisodes qui découlent de cette double situation, tout cela
semble un peu trop estompé, et n'a pas la-vigueur, la fermeté,
la franchise de collier qu'exige impérieusement la scène.

Si j'exprime ici ces réserves, c'est que je sais combien, en
France, la valeur d'un poème d'opéra peut influer sur le sort de
l'œuvre d'un compositeur. Plus exigeant en ce qui concerne la
trame dramatique, plus logique en ses désirs, le public français
•sacrifie moins à la musique pure que le public allemand ou ita-
lien. Il veut assurément que la musique le charme, le séduise ou
l'émeuve, mais il songe avant tout qu'il est au théâtre, et il pré-
tend aussi que l'action scénique l'intéresse et qu'elle ne choque
point son intelligence par sa nullité, son invraisemblance ou sa
banalité. C'est ce qui fait que, chez nous, un chef-d'œuvre mu-
sical sombrera toujours sous le poids d'un mauvais livret, tandis
que souvent une partition médiocre n'empêchera pas la fortune
d'un bon poème. J'en pourrais citer plus d'un exemple, dans un
sens comme dans l'autre, mais il me tarde de parler enfin de
l'œuvre nouvelle de M. Massenet.

On pourrait presque dire que le jeune musicien faisait, avec
le Roi de Lahore, son véritable début au théâtre, car il n'avait
produit jusqu'ici qu'une gentille opérette, la Grand'Tante, et
un opéra-comique qui n'était pas heureux dans l'ensemble,
Don César de Bajan. Aussi a-t-on lieu d'être étonné que du
premier coup il se soit élevé à une telle hauteur dans le genre
du grand drame lyrique, et qu'il ait livré au public une œuvre
si corsée, si solide, d'un caractère si mâle et si puissant, d'un
accent si hardi, si sincère et si personnel. Remarquable à beau-
coup d'égards, la partition du Roi de Lahore fait le plus grand
honneur à son auteur; les lignes en sont pures, le style en est
noble et élevé ; l'ensemble général est plein de franchise, de
 
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