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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 3.1877 (Teil 2)

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Burty, Philippe: Henry Monnier
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https://doi.org/10.11588/diglit.16905#0201

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HENRY MONNIER

« ... Quant au Bourgeois proprement dit, il se traduit par un homme qui possède trois ou
quatre bonnes mille livres de rentes qui ne doivent rien à personne, qui vit de bonne
soupe, et descend le fleuve de sa vie les pieds chauds, du coton dans les oreilles, la canne à la
main. Il n'est pas de petit marchand, de mercier, de quincaillier, de bimbelotier, voire même
d'épicier, qui ne se rêve pour ses dernières années cette bienheureuse et facile existence du bour-
geois... » (Le Bourgeois, dans les Physiologies Aubert.)

Tel était aussi à coup sûr « le rêve » de l'artiste, de l'homme de lettres, de l'acteur qui furent
Henry Monnier. Il traversa des passes difficiles, mais au demeurant il avait, en Normandie, une
petite propriété « qui ne devait rien à personne ». Ce port qu'il signalait, il y aborda « la canne à
la main», et il put s'y installer pour regarder couler, «les pieds chauds et du coton dans les
oreilles», les flots du fleuve de sa vie. Les amis, — il en eut jusqu'au dernier jour de très-attachés,
ce qui l'absout de la banale accusation d'égoïsme, — ses amis obtinrent pour lui, à l'aide d'une
vente publique, le repos que n'avait pu lui conquérir sa vie laborieuse et indépendante. Jusqu'au
jour où les infirmités le clouèrent au fauteuil, chaque soir, il n'avait qu'à choisir la soupière qui
se découvrirait pour lui sur la table de vieux camarades ou de bourgeois dignes de l'héberger,
lui, ses tics et son esprit mordant. Il arrivait correctement à l'heure du dîner, mangeait avec un
estomac du siècle dernier, se pelotonnait au coin de la cheminée, allumait sa pipe après avoir
«sollicité l'indulgence de la maîtresse de céans», et se laissait aller à une somnolence singulière,
où, au milieu même du ronflement, ne se perdait pas la notion des conversations engagées. A ce
moment s'éveillait en lui un étonnant raconteur. Il entamait des récits de scènes populaires ou
bourgeoises, interminables, bizarres et mordants, ondoyants, salés comme la réalité elle-même,
recevant un caractère inoubliable de son accent nasillard et guttural, de ses suspensions, de ses
répétitions, des ébauches de gestes précis, des clignées d'yeux et, finalement, de la reprise traî-
nante du sommeil. Ni ses livres, ni son jeu au théâtre, ni ses croquis n'ont pu donner, dans leur
action éparse, l'idée du génie d'observation et de rendu qu'il déployait dans ces heures de
l'intimité, alors qu'il se sentait dans un centre sympathique. En dehors, il était froid et ironique.
Il se répétait. Le bourgeois de Paris reprenait le dessus.

S'il avait pu assister à son enterrement, — c'est un de ses mots, ■— Monnier aurait été bien
heureux. Il s'était éteint, était entré dans le suprême repos, sans les crises accablantes de l'agonie
lucide et, comme disait la lettre de faire part, « muni des sacrements de l'église ». Il eut grande
messe en musique, dans l'église Saint-Roch, sa paroisse; grand concours d'amis; et dans la
rue, les curieux hochaient la tête quand on leur disait le nom. C'est toujours flatteur. Son corbil-
lard fut suivi jusqu'à l'embarcadère du chemin de fer du Havre, et là, ses dépouilles furent saluées
par les trois discours des délégués des sociétés dont il avait été membre. Le hasard fit un mot
pour lui : les porteurs entraient maladroitement le cercueil dans le wagon : « Tirez donc un peu
le colis sur la droite! » cria le commissaire des morts. Monnier l'eût recueilli, ce mot glacial succé-
dant aux lectures officielles. Personne n'a peint avec plus de crânerie les épisodes de l'enterrement,
depuis la déclaration de mort à la mairie jusqu'aux propos qui s'échangent dans les voitures de
deuil. H a m;s en monnaie de billon gauloise le « Alas poor Yorick!... » évitant d'ailleurs, avec
un tact qui mérite d'être relevé, de mêler jamais à ces comparses de la mort les personnes
réellement frappées au cœur par le départ de l'être aimé.

Le hasard faillit faire que Monnier mourût très-réellement une charge sur les lèvres.

Un an avant sa fin, un soir, le concierge de Monnier accourt tout effaré chez un de ses vieux

Tome IX. 2t
 
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