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Tardieu, Charles: Le salon de Paris 1877, [5], les récompenses
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224 L'ART.
moins heureuse. L'illustre avocat est en robe, debout à la barre, dans une attitude plus oratoire
que sculpturale; l'expansion du geste, figée par le marbre, est plus déclamatoire qu'éloquente; la
physionomie est ressemblante physiquement peut-être, mais moralement? Est-ce bien là le défen-
seur de Ney et de Cambronne, de Lamennais, Chateaubriand, Audry de Puyraveau? A coup sûr,
ce n'est pas l'orateur politique de 1840, l'auteur des admirables discours du Corps législatif du
second empire, et de la fameuse lettre sur la souscription Baudin, et l'on se prend à craindre
que ses lèvres béantes ne laissent échapper quelque cliché prudhommesque, plutôt qu'une philip-
pique démosthénienne.
La médaille d'honneur de la sculpture a failli aller, pour, la seconde fois aussi, à M. Mercié,
et l'on ne s'en étonne pas. Le Génie des arts, haut relief en plâtre, destiné à être coulé en
bronze, pour le grand guichet du Louvre, est l'une des sensations les plus légitimes du Salon.
La figure qui sert de guide au génie des arts est tout à fait réussie. Est-ce la France, est-ce la
Paix? On ne sait trop, mais qu'importe? C'est une femme charmante, d'une grâce aérienne,
d'une allure élégante et noble. Le cheval est plein d'énergie et de feu. 11 a peut-être les pieds
de devant un peu courts, mais Pégase n'est pas le premier cheval venu, il n'a que faire de ces
membres vulgaires, bons pour les favoris du turf. N'a-t-il pas ses ailes ? Tout Pégase est là, et il
lui est fort indifférent que le génie des arts les ait prises pour selle, cela ne l'empêchera pas
d'aller loin. Avant de reprocher au sculpteur l'assiette hardie de son cavalier symbolique, il
faudrait réformer la langue et lui interdire quantité de métaphores invraisemblables dont elle use
sans scrupule, et dont l'art a bien le droit de s'inspirer.
Mais nous n'avons pas l'intention de reviser les sentences du jury. Ses décisions nous four-
nissent un cadre. Tâchons de le remplir et de ne plus nous en écarter.
Nous avons dit notre sentiment sur MM. Dupain et Roll1; mais nous avions réservé le
tableau de M. Lucien Mélingue, le Matin du 10 Thermidor an II (ijg4), qui est en tète de la
liste des premières médailles. Nous nous rappelons ce même sujet traité il y a quelque quinze
ans par M. Briguiboul ; la composition était moins vaste, plus ramassée, la couleur plus
concentrée. Qu'est devenu M. Briguiboul ? 11 ne semble pas qu'il ait tenu les sérieuses promesses
de ce début remarqué et médaillé au Salon de 1863. 11 y a au Salon de 1877 un tableau d'un
M. Marcel Briguiboul, Femme de la tribu des Oulad-Sidi-Ayssa (Algérie), mais on n'ose pas
croire que cette peinture froidement étudiée et surtout ennuyée soit de la même main qui a fait
Robespierre dans la salle du comité de Salut public. Décidément le climat de l'Algérie n'est pas fait
pour toutes les poitrines. Souhaitons à M. Lucien Mélingue de ne pas tomber de Thermidor en
Oulad-Sidi-Ayssa. Sa toile n'est certes pas une œuvre ordinaire, mais elle ne s'élève pas sensi-
blement au-dessus des données de la vignette. La couleur aigre et éparpillée ne contribue pas à
l'impression tragique de la scène. Du moins la scène est-elle intelligemment posée, et l'on
remarque des trouvailles d'expression et d'attitude dans les groupes des vainqueurs et des
vaincus de la journée. Pour l'illustration du chapitre : « Fin de la Terreur » dans Mignet, Thiers,
Louis Blanc ou Michelet, ce serait parfait.
Le jury ne disposait que de six médailles de 2e classe. On s'explique malaisément les distinc-
tions accordées à MM. Toudouze et Meynier. La Femme de Loth de M. Toudouze est une
prétentieuse erreur que personne évidemment ne se soucie d'encourager. Le peintre aura l'esprit
d'interpréter sa médaille dans le sens d'un bienveillant « N'y revenez plus. » Pour M. Meynier,
Chrysanthe et Daria, on ne comprend pas. C'est un de ces tableaux que la médaille fait décou-
vrir, et devant lesquels on se dit avec componction : « 11 paraît que c'est très-bien. » En
revanche on s'empresse de ratifier les récompenses décernées à la Médée de M. Morot, à
M. Alexandre Rapin, le paysagiste de Cernay, à M. Bergeret, le peintre savoureux des Crevettes,
et à M. Wencker, pour son Portrait de M"s Marthe G...., franchement campé, fin de ton et de
modelé. Charles Tardieu.
CLa suite prochainement.)
1. Voir l'Art, )' année, tome ii, pages 146 et 148.
moins heureuse. L'illustre avocat est en robe, debout à la barre, dans une attitude plus oratoire
que sculpturale; l'expansion du geste, figée par le marbre, est plus déclamatoire qu'éloquente; la
physionomie est ressemblante physiquement peut-être, mais moralement? Est-ce bien là le défen-
seur de Ney et de Cambronne, de Lamennais, Chateaubriand, Audry de Puyraveau? A coup sûr,
ce n'est pas l'orateur politique de 1840, l'auteur des admirables discours du Corps législatif du
second empire, et de la fameuse lettre sur la souscription Baudin, et l'on se prend à craindre
que ses lèvres béantes ne laissent échapper quelque cliché prudhommesque, plutôt qu'une philip-
pique démosthénienne.
La médaille d'honneur de la sculpture a failli aller, pour, la seconde fois aussi, à M. Mercié,
et l'on ne s'en étonne pas. Le Génie des arts, haut relief en plâtre, destiné à être coulé en
bronze, pour le grand guichet du Louvre, est l'une des sensations les plus légitimes du Salon.
La figure qui sert de guide au génie des arts est tout à fait réussie. Est-ce la France, est-ce la
Paix? On ne sait trop, mais qu'importe? C'est une femme charmante, d'une grâce aérienne,
d'une allure élégante et noble. Le cheval est plein d'énergie et de feu. 11 a peut-être les pieds
de devant un peu courts, mais Pégase n'est pas le premier cheval venu, il n'a que faire de ces
membres vulgaires, bons pour les favoris du turf. N'a-t-il pas ses ailes ? Tout Pégase est là, et il
lui est fort indifférent que le génie des arts les ait prises pour selle, cela ne l'empêchera pas
d'aller loin. Avant de reprocher au sculpteur l'assiette hardie de son cavalier symbolique, il
faudrait réformer la langue et lui interdire quantité de métaphores invraisemblables dont elle use
sans scrupule, et dont l'art a bien le droit de s'inspirer.
Mais nous n'avons pas l'intention de reviser les sentences du jury. Ses décisions nous four-
nissent un cadre. Tâchons de le remplir et de ne plus nous en écarter.
Nous avons dit notre sentiment sur MM. Dupain et Roll1; mais nous avions réservé le
tableau de M. Lucien Mélingue, le Matin du 10 Thermidor an II (ijg4), qui est en tète de la
liste des premières médailles. Nous nous rappelons ce même sujet traité il y a quelque quinze
ans par M. Briguiboul ; la composition était moins vaste, plus ramassée, la couleur plus
concentrée. Qu'est devenu M. Briguiboul ? 11 ne semble pas qu'il ait tenu les sérieuses promesses
de ce début remarqué et médaillé au Salon de 1863. 11 y a au Salon de 1877 un tableau d'un
M. Marcel Briguiboul, Femme de la tribu des Oulad-Sidi-Ayssa (Algérie), mais on n'ose pas
croire que cette peinture froidement étudiée et surtout ennuyée soit de la même main qui a fait
Robespierre dans la salle du comité de Salut public. Décidément le climat de l'Algérie n'est pas fait
pour toutes les poitrines. Souhaitons à M. Lucien Mélingue de ne pas tomber de Thermidor en
Oulad-Sidi-Ayssa. Sa toile n'est certes pas une œuvre ordinaire, mais elle ne s'élève pas sensi-
blement au-dessus des données de la vignette. La couleur aigre et éparpillée ne contribue pas à
l'impression tragique de la scène. Du moins la scène est-elle intelligemment posée, et l'on
remarque des trouvailles d'expression et d'attitude dans les groupes des vainqueurs et des
vaincus de la journée. Pour l'illustration du chapitre : « Fin de la Terreur » dans Mignet, Thiers,
Louis Blanc ou Michelet, ce serait parfait.
Le jury ne disposait que de six médailles de 2e classe. On s'explique malaisément les distinc-
tions accordées à MM. Toudouze et Meynier. La Femme de Loth de M. Toudouze est une
prétentieuse erreur que personne évidemment ne se soucie d'encourager. Le peintre aura l'esprit
d'interpréter sa médaille dans le sens d'un bienveillant « N'y revenez plus. » Pour M. Meynier,
Chrysanthe et Daria, on ne comprend pas. C'est un de ces tableaux que la médaille fait décou-
vrir, et devant lesquels on se dit avec componction : « 11 paraît que c'est très-bien. » En
revanche on s'empresse de ratifier les récompenses décernées à la Médée de M. Morot, à
M. Alexandre Rapin, le paysagiste de Cernay, à M. Bergeret, le peintre savoureux des Crevettes,
et à M. Wencker, pour son Portrait de M"s Marthe G...., franchement campé, fin de ton et de
modelé. Charles Tardieu.
CLa suite prochainement.)
1. Voir l'Art, )' année, tome ii, pages 146 et 148.