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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 4)

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Burty, Philippe: M. Alfred Gauvin: artiste en damasquine
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https://doi.org/10.11588/diglit.18880#0089

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74 L'ART.

rez-de-chaussée, s'ouvrent sur des ateliers où, l'été, les piqueuses en camisole et en jupon
rythment des chansons sentimentales au tic-tac de la Silencieuse.

La rue Lebouis a, entre toutes, une physionomie de province. Gauvin s'y est installé dans
le vide d'un vaste cube, autrefois remise ou hangar, qui reçoit du nord une froide averse de
jour. A droite, un petit appentis à échelle le rapproche tout près du vitrage quand un travail
très fin l'exige. Au milieu, une table longue, un établi à étau, avec des pièces en train et les
modèles dessinés sur papier ou modelés en cire, les outils d'acier qu'on aiguise et réaiguise sans
cesse sur la pierre du Levant baignée d'huile, le plâtre de cet Écorché assis incommodément et
qui tient sa tête à deux mains, une fleur fichée dans un petit vase, un insecte traversé d'une
épingle comme on raconte qu'en ont sans cesse sous les yeux les artistes à Yeddo. Dans un
angle, les escarbilles qui roulent du poêle prolongent sur le plancher la tache brûlée et cendreuse.
Au mur, dans le clair, engagées sur deux rangs dans une rainure en bois, des centaines de
ciseaux, de ciselets, de burins, de gouges, de râpes, de marteaux, de scies à main. Au mur
encore, des moulages, celui du plat de Y Abondance, de Briot, plus exquis dans la blancheur
veloutée du plâtre que dans le gris pisseux de l'étain oxydé; les photographies des pièces origi-
nales livrées ou des originaux à vendre, un cadre en fer damasquiné, par-exemple, avivé aux
saillies par des touches de lumière vive. Enfin, ici et là, des études peintes, des portraits ébauchés,
les sculpteurs —■ et les damasquineurs — éprouvant en général du plaisir à évoquer le relief, à
évider des noirs autrement que par l'action habituelle de leur outil, et se reposant, par les tons
multiples de la palette, de la monochromie austère du marbre, de la glaise ou du métal.

Alfred Gauvin est un grand garçon bien découplé, qui doit être vigoureux, et dont les doigts
longs, minces, évidés aux extrémités, révèlent l'adresse extrême. Il porte les cheveux rejetés en
arrière des oreilles et la jaquette de velours des romantiques de la première levée. Il a le
front haut et rond des entêtés intelligents, une physionomie un peu préoccupée et sur la défense,
avec le coup d'œil acéré des Normands. On lui a fait avaler beaucoup de vache enragée; il ne
l'a peut-être pas complètement digérée. Mais il est l'homme le plus généreux de sentiments qu'on
puisse rencontrer. Il a eu l'amitié de Louis Combes, un des historiens les moins « rengaine » de
notre génération, et de ce groupe qui, sous l'Empire, enfonçait patiemment les pilotis sur lesquels
devait s'asseoir l'édifice républicain. Il a suppléé sa famille, épuisée de fatigue et de douleur, et
a reçu son dernier soupir.

Gauvin s'est trempé lui-même, comme il trempe l'acier de ses outils.

Né en 1836, à Héricourt en Caux, dans un moulin, il a fait ses humanités à l'école commu-
nale du pays. Volontiers, il oubliait l'heure de la classe, pour peu qu'il fût devant un mur blanc
avec un morceau de braise, dessinant l'âne et les sacs de farine, et la blouse grise du meunier,
et la roue à palettes où pleurent des mousses vertes. Quand il eut reçu nombre de torgnioles, et
quand les jambes lui eurent poussé longues, il entra, à la ville, chez un huissier, en qualité de
saute-ruisseau. En Normandie, tout ce qui touche à la basoche a de l'avenir, mais Paris est
l'éternel miroir à alouettes. Il y vint, comme tant d'autres, résolu à tout essuyer plutôt que de
renoncer à ce je ne sais quoi qui vous y grise et vous fait croire à l'avenir : clerc chez un
vendeur de fonds de commerce, commis grainetier, valet de chambre, il déploya plus de talent
pour vivre « qu'il n'en fallait à un ministre pour gouverner pendant deux ans toutes les Espagnes! »
Et toujours secouant le poil sous l'averse, et toujours se distrayant à imiter ce qu'il avait sous
les yeux quand il rencontrait un crayon et une feuille de papier.

Un jour enfin qu'il s'oubliait, dans la cour de son patron, le grainetier, à dessiner les chevaux
qu'il aurait dû panser, il fut accosté par un M. Dournès qui demeurait dans la maison même.
M. Dournès fut frappé de la tournure de son croquis. C'était le fameux Dournès, de Toulouse,
restaurateur d'objets anciens et malades. La Providence revêt parfois les costumes les plus imprévus.
Les voies de salut sont multiples. M. Dournès prit avec lui Gauvin et lui donna des ivoires à
copier.

L'ivoire byzantin ou moyen-âge, le triptyque avec ses petits personnages aux gestes angu-
leux, les christs qui ont des yeux ronds et saillants en marrons d'Inde, les vierges glaciales qui
 
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