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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 3.1877 (Teil 3)

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L'exposition de l'Académie d'Espagne à Rome
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https://doi.org/10.11588/diglit.16906#0091

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L'EXPOSITION DE L'ACADEMIE D'ESPAGNE A ROME

emème que l'année passée, l'Académie espagnole
à Rome a organisé cette année une exposition
des œuvres de ses pensionnaires, pour les sou-
mettre à l'appréciation et à la critique du
public.

Lettre de Commençons par rendre hommage au di-

Gcoflroy Tory. recteur de l'Académie, M. J. Casado del Alisal.

qui a su guider et maintenir ses élèves dans une
excellente voie, évitant avec soin les écueils de cette école du
brio à tout prix mise à la mode par Fortuny, et préférant sauve-
garder les principes de l'art dans leur plus noble et plus puissante
expression. L'incomparable habileté de Fortuny faisait illusion
sur l'éclat superficiel de sa peinture ; mais cet éclat s'émiette et
papillote entre les mains de ses trop nombreux imitateurs. Le
geai paré des plumes du paon, passe encore, mais le voyez-vous
paré des plumes du colibri ? M. Casado a pensé que les peintres
espagnols, coloristes d'instinct et de tradition, n'avaient pas
besoin, pour développer leurs dons naturels, d'entasser sous une
lumière le plus souvent factice un fouillis inconsidéré de cos-
tumes et de bibelots, de feuilles et de fleurs, insupportable amal-
game qui, sous prétexte de réaliser un étincelant effet de coloris,
ne réussit qu'à fatiguer la rétine sans rien dire à l'esprit. L'ave-
nir, il faut l'espérer, lui donnera raison.

L'exposition d'Espagne ne comprend qu'un nombre très-res-
treint de productions, quatre tableaux, deux sculptures et quel-
ques dessins architecturaux.

L'œuvre capitale de ce petit salon, celle qui s'impose à
tous, est sans contredit le tableau de M. F. Pradilla intitulé :
Jeanne la Folle, vaste toile, composition compliquée qui n'a
qu'un inconvénient : elle exige un bout de commentaire un peu
long.

On sait l'histoire de Jeanne la Folle, sa passion pour un
époux des plus volages, Philippe le Beau, sa jalousie, son déses-
poir et enfin sa folie. L'épisode mis en scène par M. Pradilla est
peut-être moins généralement connu. Après la mort de Philippe,
Jeanne accompagne le corps des provinces basques jusqu'à Gre-
nade, suivie d'un grand cortège, long et pénible voyage, entre-
coupé de nombreuses haltes dans les couvents qu'on rencontre
sur la route. Arrivée un soir à la porte d'un de ces couvents,
l'infortunée reine de Castille apprend que cette sainte retraite
est une maison de religieuses. Des femmes ! A cette idée, la
jalousie posthume qui obsède son cerveau malade lui dicte une
résolution insensée : elle ordonne que le cercueil du roi sorte du

à gauche, on voit, dans la plaine, tout un long cortège qui vient
rejoindre le groupe principal et, à droite, au sommet d'une petite
colline boisée, s'élève le couvent.

Cette imposante composition, magistralement établie, est
d'une couleur très-riche et d'une belle qualité de peinture. Les
étoffes sont largement traitées, et les accessoires de l'avant-plan
sont d'une justesse et d'une fermeté d'exécution qui les font
presque sortir du cadre sans qu'ils détournent l'attention des
figures principales.

De sévères critiques ont trouvé certaines poses trop acadé-
miques, certaines figures manquant de caractère. S'il y a du vrai
dans ces allégations, les qualités de cette peinture juste et puis-
sante s'affirment assez nettement pour les compenser.

M. C. Plasencia a exposé une grande toile, malheureusement
inachevée, qui représente la mort de Lucrèce. Sur les marches
d'un temple on voit la victime étendue, tandis que Brutus, le
poignard sanglant à la main, harangue le peuple qui l'acclame
les bras tendus comme pour jurer avec lui la vengeance. L'en-
semble du tableau est d'un ton clair, distingué et lumineux ; le
coloris est sobre et puissant, les figures sont en général bien
dessinées, sauf, peut-être, le cadavre de Lucrèce qui, vu en rac-
courci, n'est pas d'un effet heureux, ni comme dessin, ni comme
couleur. Enfin le tableau a de grandes et sérieuses qualités qui
ne feront sans doute que se développer quand il sera terminé.
S'il a un défaut c'est un peu le manque d'originalité dans l'en-
semble des groupes et des mouvements principaux.

M. A. Ferrant nous donne aussi une vaste composition
non terminée: Les Chrétiens retirant de la Cloaca Maxima le
corps de saint Sébastien martyr. Il règne dans ce tableau un
ton sombre , froid et humide, évidemment cherché, qui
fait frissonner et s'harmonise avec la donnée du tableau. La
lumière tombe d'un soupirail sur le corps nu du saint que deux
robustes gaillards viennent de retirer du cloaque. Les chairs du
cadavre sont fermes, lumineuses et distinguées, et ce groupe de
trois figures forme un excellent morceau de peinture ; les
autres figures, et surtout la matrone romaine à gauche, sont
moins heureuses ; dessin lâché , attitudes conventionnelles .
couleur banale.

M. F. Morera est le seul paysagiste du Salon. Il nous
donne un lever du soleil sur une prairie émaillée de coquelicots,
où dort encore un troupeau de moutons, avec son berger.
M. Morera a de grandes qualités, une grande puissance de coloris
et une touche hardie ; il arrivera certainement un jour à faire

monastère et oblige son escorte à passer la nuit à la belle étoile I œuvre de véritable artiste, mais aujourd'hui il est encore froid,
au pied de la colline. sec et métallique. Les moutons sont mal dessinés, ils ont les
C'est là que M. Pradilla nous la représente au moment où ! jambes beaucoup trop longues, et la fumée qui s'élève tranquil-
le jour qui se lève, froid et gris, colore à peine le ciel d'une teinte 1 lement vers le ciel est trop lourde et semble plutôt une colonne
line et argentée. La foule des courtisans et des dames d'honneur, ! de marbre.

transie de froid, tombant de sommeil, entoure le sarcophage
couvert de velours noir brodé aux armes de Castille et d'Aragon,
déposé sur un brancard aux quatre coins duquel de gros cierges
de cire jaune jettent leurs dernières lueurs fumeuses.

Au centre du tableau, debout, grande, comme une statue de
pierre à côté du cercueil, se dresse la reine soulevant d'une main
le riche drap mortuaire; son œil fixe et hagard semble percer la
triple paroi de la bière funèbre. Tout de noir vêtue, insensible à
tout ce qui l'entoure, elle semble mêler dans sa rêverie folle les
désirs de l'amour perdu et la sombre poésie de la mort. Le vent
qui souffle avec violence et emporte au loin la fumée de quel-
ques tisons ardents qui brûlent non loin d'elle soulève ses voiles
et agite sa chevelure.

L indifférence des assistants contraste singulièrement avec
1 impression profonde qu'éprouve la souveraine. A l'arrière-plan,

M. Galoffre, l'autre paysagiste de l'Académie, n'ayant pas
rempli les conditions exigées par les règlements a perdu ses
droits à la pension et n'a pu par conséquent exposer cette année
avec ses collègues. Le public n'y aura certainement pas perdu
grand'chose.

La sculpture ne compte que deux œuvres :

L'Ange rebelle de Milton, par M. Bellver, est une heureuse
conception. L'ange tombé sur la terre menace du geste le ciel,
qu'il ose à peine regarder; on devine les paroles de haine, de
douleur et de rage, qui s'échappent de ses lèvres ; ses yeux furi-
bonds, ses cheveux épars achèvent de caractériser ses senti-
ments d'orgueil déçu et exaspéré. La tête rappelle trop quelque
Gorgone ou quelque Méduse due au crayon de Michel-Ange; il
est vrai que pareille parenté n'est pas déshonorante. Les
jambes entourées de serpents sont peut-être un peu grêles et la
 
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