Lettre tirée de V «Orthographia » de Joli. Daniel Preisler,
publiée par Joli. Christoph Weigel.
L'OEUVRE DE RUBENS AU LOUVRE
LA GALERIE MÉDICIS
ubens, génie essentiellement décoratif, aimait
avant tout la grande peinture, celle qui, sans
s'arrêter aux détails, peuple les murs d'un
palais ou d'une église de créatures humaines
qui semblent vivre autour de vous. Le véri-
table terrain des grands artistes c'est la fres-
que, mais la fresque n'était ni de son temps
ni de son pays. Pierre-Paul la remplace par
des séries de grands tableaux où son imagina-
tion se donne libre carrière, s'inspirant tour à
tour et parfois simultanément de l'histoire, de
la légende et de la mythologie, et ne crai-
gnant pas de mêler l'allégorie à la réalité, les
conceptions poétiques du passé aux faits con-
temporains.
On a blâmé ce mélange dans la galerie
de Médicis, dont les peintures ornent main-
tenant la grande galerie du Louvre. Certains
critiques ne peuvent admettre cette association de personnages fictifs et de personnages réels, ces
dieux à peine vêtus de leurs draperies traditionnelles à côté de seigneurs en pourpoint, ces déesses
à demi nues qui se faufilent parmi les princesses.
On a peut-être eu tort.
Telle quelle est, la galerie Médicis nous donne de l'histoire du temps et de la vie des cours
a l'époque de la Renaissance une idée plus exacte que des peintures strictement historiques ; non
point que Henri IV soit réellement monté au ciel à cheval sur un aigle, que Marie de Médicis
ait remis le pouvoir à son fils, sous la forme d'un gouvernail d'or, ou qu'on vît alors plus com-
munément qu'aujourd'hui, dans une réunion de courtisans, un Mercure nu à côté d'un cardinal.
Ces fictions sont démodées, mais alors elles vivaient. N'oublions pas quelle vie nouvelle la Renais-
sance avait rendue à Jupiter, Neptune, Minerve et Vénus, quel paganisme profond dominait alors
les imaginations lettrées et savantes.
Boileau, en plein xvii" siècle, s'est indigné contre ceux qui voulaient chasser les Tritons de
l'empire des eaux, enlever à Thémis ses plateaux et sa balance, et qui se refusaient
A figurer aux yeux la Guerre au front d'airain.
Tous ces êtres allégoriques avaient pénétré dans la vie princière du temps : ils étaient égale-
ment familiers aux Flamands et aux Italiens, et Rubens aurait presque dénaturé l'histoire s'il les
avait oubliés.
Voici, d'après un livre récent et curieux le récit des fêtes qui furent données à Florence â
propos du mariage de Marie de Médicis :
« Le soir des épousailles, après les danses qui eurent lieu au palais Pitti, on servit dans une
salle autour de laquelle semblaient présider à la fête les effigies et statues des princes de la
i. Henri IV et Marie de Médicis, par Bèrthoi.d Zeller. i' édition.
publiée par Joli. Christoph Weigel.
L'OEUVRE DE RUBENS AU LOUVRE
LA GALERIE MÉDICIS
ubens, génie essentiellement décoratif, aimait
avant tout la grande peinture, celle qui, sans
s'arrêter aux détails, peuple les murs d'un
palais ou d'une église de créatures humaines
qui semblent vivre autour de vous. Le véri-
table terrain des grands artistes c'est la fres-
que, mais la fresque n'était ni de son temps
ni de son pays. Pierre-Paul la remplace par
des séries de grands tableaux où son imagina-
tion se donne libre carrière, s'inspirant tour à
tour et parfois simultanément de l'histoire, de
la légende et de la mythologie, et ne crai-
gnant pas de mêler l'allégorie à la réalité, les
conceptions poétiques du passé aux faits con-
temporains.
On a blâmé ce mélange dans la galerie
de Médicis, dont les peintures ornent main-
tenant la grande galerie du Louvre. Certains
critiques ne peuvent admettre cette association de personnages fictifs et de personnages réels, ces
dieux à peine vêtus de leurs draperies traditionnelles à côté de seigneurs en pourpoint, ces déesses
à demi nues qui se faufilent parmi les princesses.
On a peut-être eu tort.
Telle quelle est, la galerie Médicis nous donne de l'histoire du temps et de la vie des cours
a l'époque de la Renaissance une idée plus exacte que des peintures strictement historiques ; non
point que Henri IV soit réellement monté au ciel à cheval sur un aigle, que Marie de Médicis
ait remis le pouvoir à son fils, sous la forme d'un gouvernail d'or, ou qu'on vît alors plus com-
munément qu'aujourd'hui, dans une réunion de courtisans, un Mercure nu à côté d'un cardinal.
Ces fictions sont démodées, mais alors elles vivaient. N'oublions pas quelle vie nouvelle la Renais-
sance avait rendue à Jupiter, Neptune, Minerve et Vénus, quel paganisme profond dominait alors
les imaginations lettrées et savantes.
Boileau, en plein xvii" siècle, s'est indigné contre ceux qui voulaient chasser les Tritons de
l'empire des eaux, enlever à Thémis ses plateaux et sa balance, et qui se refusaient
A figurer aux yeux la Guerre au front d'airain.
Tous ces êtres allégoriques avaient pénétré dans la vie princière du temps : ils étaient égale-
ment familiers aux Flamands et aux Italiens, et Rubens aurait presque dénaturé l'histoire s'il les
avait oubliés.
Voici, d'après un livre récent et curieux le récit des fêtes qui furent données à Florence â
propos du mariage de Marie de Médicis :
« Le soir des épousailles, après les danses qui eurent lieu au palais Pitti, on servit dans une
salle autour de laquelle semblaient présider à la fête les effigies et statues des princes de la
i. Henri IV et Marie de Médicis, par Bèrthoi.d Zeller. i' édition.