CHRONIQUE
FRANÇAISE
Exposition artistique au Palais de l'industrie. — L'exhibi-
tion organisée depuis le ier août aux Champs-Elysées, sous le
titre se'duisant d'exposition artistique, attire un assez grand
nombre de visiteurs. L'honorable industriel qui a eu la lucrative
ide'e de faire ouvrir à son entreprise les portes du Palais de
l'industrie a le bénéfice des souvenirs de l'Union centrale et
des Salons annuels. Le public ne voit qu'après coup qu'il a été
attiré par une étiquette.
Trois ou quatre salons du premier étage sont remplis par
des étalages de commerçants parisiens, tapis, faïences, meubles,
serrurerie, curiosités, bimbelots chinois et japonais, bronzes,
tableaux, etc. Beaucoup d'imitations modernes, en tableaux
surtout. Il y a là une centaine de toiles affublées crânement des
noms les plus illustres. Un gardien, voyant notre étonnement,
s'est mis obligeamment à notre disposition et nous a expliqué
que toutes ces merveilles étaient la propriété d' « amateurs »
dont les noms n'étaient pas sur le catalogue parce qu'ils dési-
raient rester inconnus. « Histoires de jalousies », ajouta-t-il
mystérieusement. Et il nous montra avec orgueil un Titien tout
neuf, un Ruysdaël, un grand Nattier, que lesdits amateurs
livrent à l'admiration publique. La lecture du catalogue nous
révéla d'autres œuvres précieuses : le Portrait d'un savant, par
Rambrant (1), une Terre cuite, par Léon de Barye (!). Un
second gardien, relayant le premier, nous confia que les pro-
priétaires de ces beautés, tout en étant désintéressés, n'avaient
pas un égoïste amour de l'art, et que le grand Nattier, par
exemple, moyennant 50,000 francs seulement, pourrait devenir
nôtre. Cela se passe dans un palais de l'État. Il est vrai qu'il
s'agit du Palais de l'industrie.
La curiosité de la foule se porte principalement sur les vête-
ments anciens. On voit, entre autres choses, la robe en dentelles,
vieux point d'Argentan, exécutée sous le règne de Louis XV,
pour la reine de France ; une autre robe en point d'Angleterre
avant appartenu à l'impératrice Marie-Louise ; l'uniforme d'offi-
cier de grenadiers porté en 1810 par Napoléon Ier; le costume de
cour du roi Louis XVI ; le costume de Masséna ; le modèle en
vermeil de la couronne et des diamants, exécuté pour le sacre du
roi Louis XV ; la robe de cérémonie du cardinal de Riche-
lieu, etc., etc. Il va sans dire que ces objets ne sont accompagnés
d'aucun parchemin attestant leur origine.
Nous devons citer à part les tapisseries de Flandre ou des
Gobelins, qui sont pour la plupart fort belles et bien conservées.
Les prix de Rome. — Le samedi, 11 août, distribution gé-
nérale des récompenses à l'Ecole des beaux-arts. Les noms des
lauréats du grand prix de Rome sont proclamés solennelle-
ment et, quelques jours après, leurs compositions sont de nou-
veau exposées une dernière fois.
Cette année, les trois concours de peinture, sculpture et ar-
chitecture ont excité comme d'habitude la curiosité du public,
qui aime à suivre cette espèce de lutte artistique à laquelle il lui
est permis d'assister. Nombre de journaux, pour guider la foule,
publient leurs appréciations sur le concours et décernent
avec assurance, avant le jugement du jury, le prix à tel ou tel
candidat. Rarement les pronostics sont exacts.
Le concours de peinture a été jugé le 28 juillet. Le sujet
était emprunté à l'histoire romaine, d'après Tite-Live. Au
moment où les Gaulois, après la victoire, pénétrèrent dans
Rome, ils trouvèrent la ville déserte. Seuls, les sénateurs,
revêtus de leurs ornements, étaient assis à la porte de leurs mai-
sons, imposant respect au vainqueur par un air majestueux. Un
des Gaulois, voyant le sénateur Papirius Cursor, passa douce-
ment la main dans sa barbe, que celui-ci portait fort longue,
comme c'était la coutume alors. Papirius, offensé, frappe le
Gaulois. Ce fut le signal du massacre des Romains.
M. Théobald Chartran, élève de M. Cabanel, qui avait le
numéro 2, a obtenu le grand prix de Rome. Il est né à Besan-
çon (Doubs) le 21 juillet 1849. Il avait obtenu le premier second
grand prix en 1S70, et n'avait pas cessé de concourir depuis
cette époque. Le jury du Salon de 1877 h" avait décerné une
troisième médaille pour son Saint Saturnin, martyr. Le
premier second grand prix a été accordé à M. Pierre Fri-
tel (n° 1), élève de M. Cabanel; le deuxième second grand prix
à M. G. Cl. Et. Courtois (n° 3) , élève de M. Gérome.
L'exposition pour le concours de sculpture du grand prix
de Rome a été ouverte le 31 juillet. Voici le sujet : « Orphée
ayant été déchiré par les Bacchantes, des pécheurs trouvent
sur les bords de l'Hèbrc. fleuve de Thrace, la lyre du poète et sa
tète, qui avait conservé toute sa fraîcheur et sa beauté. » Les
noms des dix logistes qui ont concouru sont les suivants :
MM. Grasset, J. B. A. Dampt, L. Fagel, Al. Am. Cordonnier,
Mombur, Lefevre, Labatut, Perrin, Hudelet, Guilbert.
La supériorité de la sculpture sur la peinture s'est de nou-
veau affirmée avec éclat dans ce concours. Sur les dix composi-
tions exposées, pas une n'était inférieure, presque toutes se va-
laient par le goût et la disposition, les qualités du dessin et du
modelé. Le jury a discuté pendant plus de trois heures avant de
décerner le grand prix à M. A. Cordonnier, dont le bas-relief est
remarquable par la simplicité des attitudes, la vérité de l'expres-
sion, et surtout par l'habile et délicate souplesse de la chair si
difficile à faire vivre en sculpture. M. Cordonnier, élève de
M. Dumont, est né à la Madeleine, près de Lille. Il a déjà eu
plusieurs médailles aux Salons et a obtenu en 1872, à Lille, le
prix Wicar qui lui a permis de passer quatre années à Rome.
M. J. Th. D. Labatut, élève de MM. Jouffroy et Mercié, né
à Toulouse, le 30 juillet 1851, a eu le premier second grand
prix. Sa composition est claire, vigoureuse, bien comprise,
pleine d'un mouvement peut-être exagéré, et empreinte d'une
certaine déclamation, mais elle indique un tempérament d'ar-
tiste, avec lequel il faut compter. Le deuxième second grand
prix a été donné à M. Cam. Lefèvre.
L'architecture n'a pas autant que la peinture et la statuaire
le privilège d'intéresser le public. Mais cet art n'en est pas moins
cultivé avec succès par les élevés, comme le montre le concours
de cette année. Le projet était un Athénée pour une ville capitale;
il supposait cet établissement destiné à la réunion de poètes, de
savants et d'artistes pour des cours publics et des lectures. Les
bâtiments devaient contenir: 1° un grand vestibule et des
salles d'attente ; 2" une vaste salle pour les réunions générales,
les lectures et les conférences; 30 une bibliothèque; 40 des
salles de cours publics, de physique, de minéralogie, des sciences
et des lettres, des arts géographiques, etc.; 50 une salle de
grande dimension pour l'enseignement du chant et devant servir
à des concerts populaires; 6° enfin, un jardin d'hiver, soit isolé,
soit en contiguïté avec les bâtiments.
Le grand prix a été donné, après de longs débats, à M. Me-
not, élève de MM. Lequeur, Questel et Pascal,- le premier second
grand prix à M. Mariaud, élève de M. André, et le deuxième
second grand prix à M. Chancel, élève de M. Moyaux.
Le Directeur-Gérant : EUGÈNE VÉRON.
FRANÇAISE
Exposition artistique au Palais de l'industrie. — L'exhibi-
tion organisée depuis le ier août aux Champs-Elysées, sous le
titre se'duisant d'exposition artistique, attire un assez grand
nombre de visiteurs. L'honorable industriel qui a eu la lucrative
ide'e de faire ouvrir à son entreprise les portes du Palais de
l'industrie a le bénéfice des souvenirs de l'Union centrale et
des Salons annuels. Le public ne voit qu'après coup qu'il a été
attiré par une étiquette.
Trois ou quatre salons du premier étage sont remplis par
des étalages de commerçants parisiens, tapis, faïences, meubles,
serrurerie, curiosités, bimbelots chinois et japonais, bronzes,
tableaux, etc. Beaucoup d'imitations modernes, en tableaux
surtout. Il y a là une centaine de toiles affublées crânement des
noms les plus illustres. Un gardien, voyant notre étonnement,
s'est mis obligeamment à notre disposition et nous a expliqué
que toutes ces merveilles étaient la propriété d' « amateurs »
dont les noms n'étaient pas sur le catalogue parce qu'ils dési-
raient rester inconnus. « Histoires de jalousies », ajouta-t-il
mystérieusement. Et il nous montra avec orgueil un Titien tout
neuf, un Ruysdaël, un grand Nattier, que lesdits amateurs
livrent à l'admiration publique. La lecture du catalogue nous
révéla d'autres œuvres précieuses : le Portrait d'un savant, par
Rambrant (1), une Terre cuite, par Léon de Barye (!). Un
second gardien, relayant le premier, nous confia que les pro-
priétaires de ces beautés, tout en étant désintéressés, n'avaient
pas un égoïste amour de l'art, et que le grand Nattier, par
exemple, moyennant 50,000 francs seulement, pourrait devenir
nôtre. Cela se passe dans un palais de l'État. Il est vrai qu'il
s'agit du Palais de l'industrie.
La curiosité de la foule se porte principalement sur les vête-
ments anciens. On voit, entre autres choses, la robe en dentelles,
vieux point d'Argentan, exécutée sous le règne de Louis XV,
pour la reine de France ; une autre robe en point d'Angleterre
avant appartenu à l'impératrice Marie-Louise ; l'uniforme d'offi-
cier de grenadiers porté en 1810 par Napoléon Ier; le costume de
cour du roi Louis XVI ; le costume de Masséna ; le modèle en
vermeil de la couronne et des diamants, exécuté pour le sacre du
roi Louis XV ; la robe de cérémonie du cardinal de Riche-
lieu, etc., etc. Il va sans dire que ces objets ne sont accompagnés
d'aucun parchemin attestant leur origine.
Nous devons citer à part les tapisseries de Flandre ou des
Gobelins, qui sont pour la plupart fort belles et bien conservées.
Les prix de Rome. — Le samedi, 11 août, distribution gé-
nérale des récompenses à l'Ecole des beaux-arts. Les noms des
lauréats du grand prix de Rome sont proclamés solennelle-
ment et, quelques jours après, leurs compositions sont de nou-
veau exposées une dernière fois.
Cette année, les trois concours de peinture, sculpture et ar-
chitecture ont excité comme d'habitude la curiosité du public,
qui aime à suivre cette espèce de lutte artistique à laquelle il lui
est permis d'assister. Nombre de journaux, pour guider la foule,
publient leurs appréciations sur le concours et décernent
avec assurance, avant le jugement du jury, le prix à tel ou tel
candidat. Rarement les pronostics sont exacts.
Le concours de peinture a été jugé le 28 juillet. Le sujet
était emprunté à l'histoire romaine, d'après Tite-Live. Au
moment où les Gaulois, après la victoire, pénétrèrent dans
Rome, ils trouvèrent la ville déserte. Seuls, les sénateurs,
revêtus de leurs ornements, étaient assis à la porte de leurs mai-
sons, imposant respect au vainqueur par un air majestueux. Un
des Gaulois, voyant le sénateur Papirius Cursor, passa douce-
ment la main dans sa barbe, que celui-ci portait fort longue,
comme c'était la coutume alors. Papirius, offensé, frappe le
Gaulois. Ce fut le signal du massacre des Romains.
M. Théobald Chartran, élève de M. Cabanel, qui avait le
numéro 2, a obtenu le grand prix de Rome. Il est né à Besan-
çon (Doubs) le 21 juillet 1849. Il avait obtenu le premier second
grand prix en 1S70, et n'avait pas cessé de concourir depuis
cette époque. Le jury du Salon de 1877 h" avait décerné une
troisième médaille pour son Saint Saturnin, martyr. Le
premier second grand prix a été accordé à M. Pierre Fri-
tel (n° 1), élève de M. Cabanel; le deuxième second grand prix
à M. G. Cl. Et. Courtois (n° 3) , élève de M. Gérome.
L'exposition pour le concours de sculpture du grand prix
de Rome a été ouverte le 31 juillet. Voici le sujet : « Orphée
ayant été déchiré par les Bacchantes, des pécheurs trouvent
sur les bords de l'Hèbrc. fleuve de Thrace, la lyre du poète et sa
tète, qui avait conservé toute sa fraîcheur et sa beauté. » Les
noms des dix logistes qui ont concouru sont les suivants :
MM. Grasset, J. B. A. Dampt, L. Fagel, Al. Am. Cordonnier,
Mombur, Lefevre, Labatut, Perrin, Hudelet, Guilbert.
La supériorité de la sculpture sur la peinture s'est de nou-
veau affirmée avec éclat dans ce concours. Sur les dix composi-
tions exposées, pas une n'était inférieure, presque toutes se va-
laient par le goût et la disposition, les qualités du dessin et du
modelé. Le jury a discuté pendant plus de trois heures avant de
décerner le grand prix à M. A. Cordonnier, dont le bas-relief est
remarquable par la simplicité des attitudes, la vérité de l'expres-
sion, et surtout par l'habile et délicate souplesse de la chair si
difficile à faire vivre en sculpture. M. Cordonnier, élève de
M. Dumont, est né à la Madeleine, près de Lille. Il a déjà eu
plusieurs médailles aux Salons et a obtenu en 1872, à Lille, le
prix Wicar qui lui a permis de passer quatre années à Rome.
M. J. Th. D. Labatut, élève de MM. Jouffroy et Mercié, né
à Toulouse, le 30 juillet 1851, a eu le premier second grand
prix. Sa composition est claire, vigoureuse, bien comprise,
pleine d'un mouvement peut-être exagéré, et empreinte d'une
certaine déclamation, mais elle indique un tempérament d'ar-
tiste, avec lequel il faut compter. Le deuxième second grand
prix a été donné à M. Cam. Lefèvre.
L'architecture n'a pas autant que la peinture et la statuaire
le privilège d'intéresser le public. Mais cet art n'en est pas moins
cultivé avec succès par les élevés, comme le montre le concours
de cette année. Le projet était un Athénée pour une ville capitale;
il supposait cet établissement destiné à la réunion de poètes, de
savants et d'artistes pour des cours publics et des lectures. Les
bâtiments devaient contenir: 1° un grand vestibule et des
salles d'attente ; 2" une vaste salle pour les réunions générales,
les lectures et les conférences; 30 une bibliothèque; 40 des
salles de cours publics, de physique, de minéralogie, des sciences
et des lettres, des arts géographiques, etc.; 50 une salle de
grande dimension pour l'enseignement du chant et devant servir
à des concerts populaires; 6° enfin, un jardin d'hiver, soit isolé,
soit en contiguïté avec les bâtiments.
Le grand prix a été donné, après de longs débats, à M. Me-
not, élève de MM. Lequeur, Questel et Pascal,- le premier second
grand prix à M. Mariaud, élève de M. André, et le deuxième
second grand prix à M. Chancel, élève de M. Moyaux.
Le Directeur-Gérant : EUGÈNE VÉRON.