CHRONIQUE
supérieure aux nations qui ont existé avant elle, après elle et en
même temps qu'elle , l'étude conscieuse et approfondie de
M. Wœrmann fait ressortir leur côté faible et insuffisant. Selon
lui, on ne saurait douter que cette nation, si brillamment douée
d'un autre côté, subit aussi la grande loi de l'imperfection hu-
maine. Les Grecs ont poussé à leurs dernières limites la concep-
tion anthropomorphique de la nature; on n'a jamais représenté
aussi bien qu'eux la forme humaine, mais aussi on n'a jamais
méconnu plus complètement la grande vérité que l'homme n'est
qu'une partie de la nature, au-dessus de laquelle il ne lui est
pas donné de s'élever.
Aussi, la reproduction de la nature inanimée chez les Grecs
de l'époque classique ne fut jamais regardée que comme une
chose tout à fait secondaire et n'a jamais dépassé un niveau re-
lativement très-peu élevé, surtout si l'on tient compte du grand
développement de leurs moyens d'exécution et de la perfection
acquise par eux dans la reproduction de la forme humaine. C'est
seulement vers le déclin de l'art classique des Hellènes, lorsque
le monde barbare fit irruption dans la civilisation hellénique et
que les Grecs furent mélangés aux autres nations du vieux con-
tinent, aux Egyptiens, aux Persans, aux Romains, c'est alors
seulement que leur sentiment de la nature, dégagé de l'étreinte
de la religion anthropomorphique, s'éveilla. En effet ces nations,
infiniment moins bien partagées que les Hellènes sous tant d'au-
tres rapports, avaient gardé un sentiment bien plus vif, plus
profond de la nature, un sentiment dont l'exagération a même
produit chez un peuple de l'extrême Orient, les Hindous, un
résultat analogue à celui que l'auteur a constaté chez les Grecs
de l'âge classique, l'absence presque totale d'une véritable pein-
ture de paysage. Car si les Grecs n'ont, pour ainsi dire, jamais
vu que l'homme et la forme humaine dans la nature et dédaigné
tout le reste, les Hindous, péchant par l'excès contraire, se sont
tellement abandonnés à leur sentiment d'admiration et de véné-
ration profonde pour la nature entière que leur esprit et leur
âme se sont en quelque sorte fondus, évanouis devant elle,
perdant, avec la conscience de soi-même, la faculté et le cou-
rage de la représenter.
Quant à l'art assyrien, babylonien et égyptien, l'auteur es-
time qu'il faut tenir compte de l'immense supériorité qu'exer-
FRANÇAISE. 239
çait chez eux l'architecture sur toutes jcs autres branches de
l'art, de l'insuffisance de leurs moyens d'exécution et de notre
connaissance relativement bien plus restreinte de leurs produc-
tions artistiques. Mais il paraît convaincu qu'en somme leur
sentiment de la nature, et surtout en ce qui concerne la nature
inanimée, avait de l'ardeur et de la franchise; il reconnaît chez
eux un réalisme naïf, il est vrai, mais puissant, une bonne vo-
lonté évidente, en un mot, le vouloir bien supérieur au pou-
voir. Ces peuples, que les Grecs qualifiaient hautement de
barbares, possédaient pourtant des parcs et des jardins magni-
fiques (•rapiSeKTot). Ces jardins, ces paradis excitèrent le plus pro-
fond étonnement et la plus grande admiration des écrivains
graves qui évidemment n'avaient jamais rien vu de semblable
dans leur patrie. Cela prouve du moins que ces prétendus bar-
bares comprenaient et aimaient la nature, s'ils ne parvinrent
pas à la reproduire autrement que par des moyens primitifs et
enfantins.
La dernière partie du livre de M. Wœrmann est consacrée
au paysage dans l'art gréco-romain après le règne d'Alexandre
le Grand, et surtout aux fresques décoratives de Rome et des
villes de la Campanie, aux vases et aux mosaïques conservés
dans les musées de Rome et de Naples, où se trouvent réunis
les meilleurs produits de la peinture classique. Il les fait défiler
devant nous, presque un à un, les examinant soigneusement et
consciencieusement selon leur mérite artistique, l'observation
plus ou moins bonne de la perspective, la composition, la gra-
dation des ombres, de la couleur et de la lumière. Mais là
aussi, le résultat de ses recherches démontre que la peinture de
paysage n'a guère dépassé, chez les anciens, le niveau de la dé-
coration, qu'un art de paysage proprement dit n'a jamais existé
chez eux, et que de vrais, de grands artistes, qu'on pourrait
comparer, ne fût-ce que de très-loin, à ceux qui se sont occupés
de la reproduction de la forme humaine, n'ont jamais songe à
se vouer à la représentation de la nature inanimée. Pour élever
cet art à la hauteur qu'il occupe aujourd'hui, il ne fallait rien
moins qu'un changement radical dans les idées fondamentales
de l'humanité sur la nature et sur le rôle qu'elle-même est ap-
pelée à y remplir.
Christian von Weber.
CHRONIQUE FRANÇAISE
La manifestation a l'École des beaux-arts, faite par les
élèves lors de la distribution des prix, pour protester contre
l'absence du ministre à cette solennité, a provoqué les rigueurs
de l'administration. A la suite d'un rapport adressé le 15 août
par M. le marquis de Chennevières à M. Brunet, il a été décidé
que désormais la distribution des récompenses aux artistes du
Salon sera complètement distincte de celle faite aux élèves de
l'École.
Le budget des beaux-arts a la ville de Paris, pour l'année
1878, soumis au conseil municipal par le préfet de la Seine,
affecte, comme les années précédentes, une somme de ;00,000 fr.
pour les travaux de peinture, de sculpture et de gravure.
Cette somme ne compose pas à elle seule les sacrifices que la
\illc de Paris fera, l'année prochaine, en faveur des beaux-arts.
11 faut y ajouter :
10,000 francs pour encouragements aux compositeurs d'œu-
vres musicales, symphoniques et populaires ;
70,000 francs pour les publications relatives à l'histoire gé-
nérale de Paris ;
8,000 francs pour l'hôtel Carnavalet, où se trouve installée,
avec une collection d'objets d'art, la nouvelle Bibliothèque mu-
nicipale.
Une subvention de 77,400 francs vient en outre d'être
accordée aux écoles de dessin. L'administration a souscrit aussi
à cent cinquante exemplaires d'un ouvrage considérable préparé
par M. Narjoux sur les monuments du nouveau Paris.
Académie des inscriptions. — Dans un savant mémoire lu
à l'Académie, M. Ed. Le Blant ramène à ce qu'il croit être la
juste mesure, la préoccupation de ceux qui cherchent des inten-
tions de symbolisme dans les œuvres d'art du christianisme pri-
mitif. L'auteur reconnaît la réalité du symbolisme, mais il ne
pense pas que l'Eglise ait dirigé et tenu, en quelque sorte, la
main des artistes. Oui, dit-il, le symbolisme existe; cependant
les artistes (peintres, sculpteurs, verriers, etc.), ne l'ont pas
toujours eu en vue, et, de plus, la traduction païenne s'est fait
jour, non-seulement dans les motifs secondaires de leurs orne-
ments, mais encore dans les scènes principales. Les génies, les
fleuves, les nymphes, les divinités de l'Olympe surgissent par
place dans ces compositions, où l'on pourrait ne s'attendre à
rencontrer que des inspirations chrétiennes. La conclusion est
que les critiques, sous peine d'outrer la vérité, ne peuvent cher-
cher à dégager quand même le symbolisme des œuvres chré-
tiennes primitives, et qu'ils doivent attendre, pour le reconnaître,
qu'il les provoque et se' manifeste clairement.
supérieure aux nations qui ont existé avant elle, après elle et en
même temps qu'elle , l'étude conscieuse et approfondie de
M. Wœrmann fait ressortir leur côté faible et insuffisant. Selon
lui, on ne saurait douter que cette nation, si brillamment douée
d'un autre côté, subit aussi la grande loi de l'imperfection hu-
maine. Les Grecs ont poussé à leurs dernières limites la concep-
tion anthropomorphique de la nature; on n'a jamais représenté
aussi bien qu'eux la forme humaine, mais aussi on n'a jamais
méconnu plus complètement la grande vérité que l'homme n'est
qu'une partie de la nature, au-dessus de laquelle il ne lui est
pas donné de s'élever.
Aussi, la reproduction de la nature inanimée chez les Grecs
de l'époque classique ne fut jamais regardée que comme une
chose tout à fait secondaire et n'a jamais dépassé un niveau re-
lativement très-peu élevé, surtout si l'on tient compte du grand
développement de leurs moyens d'exécution et de la perfection
acquise par eux dans la reproduction de la forme humaine. C'est
seulement vers le déclin de l'art classique des Hellènes, lorsque
le monde barbare fit irruption dans la civilisation hellénique et
que les Grecs furent mélangés aux autres nations du vieux con-
tinent, aux Egyptiens, aux Persans, aux Romains, c'est alors
seulement que leur sentiment de la nature, dégagé de l'étreinte
de la religion anthropomorphique, s'éveilla. En effet ces nations,
infiniment moins bien partagées que les Hellènes sous tant d'au-
tres rapports, avaient gardé un sentiment bien plus vif, plus
profond de la nature, un sentiment dont l'exagération a même
produit chez un peuple de l'extrême Orient, les Hindous, un
résultat analogue à celui que l'auteur a constaté chez les Grecs
de l'âge classique, l'absence presque totale d'une véritable pein-
ture de paysage. Car si les Grecs n'ont, pour ainsi dire, jamais
vu que l'homme et la forme humaine dans la nature et dédaigné
tout le reste, les Hindous, péchant par l'excès contraire, se sont
tellement abandonnés à leur sentiment d'admiration et de véné-
ration profonde pour la nature entière que leur esprit et leur
âme se sont en quelque sorte fondus, évanouis devant elle,
perdant, avec la conscience de soi-même, la faculté et le cou-
rage de la représenter.
Quant à l'art assyrien, babylonien et égyptien, l'auteur es-
time qu'il faut tenir compte de l'immense supériorité qu'exer-
FRANÇAISE. 239
çait chez eux l'architecture sur toutes jcs autres branches de
l'art, de l'insuffisance de leurs moyens d'exécution et de notre
connaissance relativement bien plus restreinte de leurs produc-
tions artistiques. Mais il paraît convaincu qu'en somme leur
sentiment de la nature, et surtout en ce qui concerne la nature
inanimée, avait de l'ardeur et de la franchise; il reconnaît chez
eux un réalisme naïf, il est vrai, mais puissant, une bonne vo-
lonté évidente, en un mot, le vouloir bien supérieur au pou-
voir. Ces peuples, que les Grecs qualifiaient hautement de
barbares, possédaient pourtant des parcs et des jardins magni-
fiques (•rapiSeKTot). Ces jardins, ces paradis excitèrent le plus pro-
fond étonnement et la plus grande admiration des écrivains
graves qui évidemment n'avaient jamais rien vu de semblable
dans leur patrie. Cela prouve du moins que ces prétendus bar-
bares comprenaient et aimaient la nature, s'ils ne parvinrent
pas à la reproduire autrement que par des moyens primitifs et
enfantins.
La dernière partie du livre de M. Wœrmann est consacrée
au paysage dans l'art gréco-romain après le règne d'Alexandre
le Grand, et surtout aux fresques décoratives de Rome et des
villes de la Campanie, aux vases et aux mosaïques conservés
dans les musées de Rome et de Naples, où se trouvent réunis
les meilleurs produits de la peinture classique. Il les fait défiler
devant nous, presque un à un, les examinant soigneusement et
consciencieusement selon leur mérite artistique, l'observation
plus ou moins bonne de la perspective, la composition, la gra-
dation des ombres, de la couleur et de la lumière. Mais là
aussi, le résultat de ses recherches démontre que la peinture de
paysage n'a guère dépassé, chez les anciens, le niveau de la dé-
coration, qu'un art de paysage proprement dit n'a jamais existé
chez eux, et que de vrais, de grands artistes, qu'on pourrait
comparer, ne fût-ce que de très-loin, à ceux qui se sont occupés
de la reproduction de la forme humaine, n'ont jamais songe à
se vouer à la représentation de la nature inanimée. Pour élever
cet art à la hauteur qu'il occupe aujourd'hui, il ne fallait rien
moins qu'un changement radical dans les idées fondamentales
de l'humanité sur la nature et sur le rôle qu'elle-même est ap-
pelée à y remplir.
Christian von Weber.
CHRONIQUE FRANÇAISE
La manifestation a l'École des beaux-arts, faite par les
élèves lors de la distribution des prix, pour protester contre
l'absence du ministre à cette solennité, a provoqué les rigueurs
de l'administration. A la suite d'un rapport adressé le 15 août
par M. le marquis de Chennevières à M. Brunet, il a été décidé
que désormais la distribution des récompenses aux artistes du
Salon sera complètement distincte de celle faite aux élèves de
l'École.
Le budget des beaux-arts a la ville de Paris, pour l'année
1878, soumis au conseil municipal par le préfet de la Seine,
affecte, comme les années précédentes, une somme de ;00,000 fr.
pour les travaux de peinture, de sculpture et de gravure.
Cette somme ne compose pas à elle seule les sacrifices que la
\illc de Paris fera, l'année prochaine, en faveur des beaux-arts.
11 faut y ajouter :
10,000 francs pour encouragements aux compositeurs d'œu-
vres musicales, symphoniques et populaires ;
70,000 francs pour les publications relatives à l'histoire gé-
nérale de Paris ;
8,000 francs pour l'hôtel Carnavalet, où se trouve installée,
avec une collection d'objets d'art, la nouvelle Bibliothèque mu-
nicipale.
Une subvention de 77,400 francs vient en outre d'être
accordée aux écoles de dessin. L'administration a souscrit aussi
à cent cinquante exemplaires d'un ouvrage considérable préparé
par M. Narjoux sur les monuments du nouveau Paris.
Académie des inscriptions. — Dans un savant mémoire lu
à l'Académie, M. Ed. Le Blant ramène à ce qu'il croit être la
juste mesure, la préoccupation de ceux qui cherchent des inten-
tions de symbolisme dans les œuvres d'art du christianisme pri-
mitif. L'auteur reconnaît la réalité du symbolisme, mais il ne
pense pas que l'Eglise ait dirigé et tenu, en quelque sorte, la
main des artistes. Oui, dit-il, le symbolisme existe; cependant
les artistes (peintres, sculpteurs, verriers, etc.), ne l'ont pas
toujours eu en vue, et, de plus, la traduction païenne s'est fait
jour, non-seulement dans les motifs secondaires de leurs orne-
ments, mais encore dans les scènes principales. Les génies, les
fleuves, les nymphes, les divinités de l'Olympe surgissent par
place dans ces compositions, où l'on pourrait ne s'attendre à
rencontrer que des inspirations chrétiennes. La conclusion est
que les critiques, sous peine d'outrer la vérité, ne peuvent cher-
cher à dégager quand même le symbolisme des œuvres chré-
tiennes primitives, et qu'ils doivent attendre, pour le reconnaître,
qu'il les provoque et se' manifeste clairement.