LES FÊTES DU TROISIÈME CENTENAIRE DE RUBENS. A ANVERS
Correspondance particulière de l'Art
ontester le caractère flamand du génie j arrivé à personne de manquer un courrier ou un rendez-vous. A
de Rubens est si difficile qu'il est assez peine la cloche de la cathédrale a-t-elle sonné le dernier coup
indifférent, au point de vue de l'esthéti- ! ue huit heures, que M. Benoit donne le signal et que les cuivres
que, de l'histoire et de l'ethnographie de l'orchestre entonnent les premières fanfares de la cantate,
de l'art,sinon au point de vue purement j Pour un peu, on applaudissait. Le fait est qu'une cantate qui
biographique, de savoir si le maître commence à l'heure du programme, cela ne s'est jamais vu.
Les réjouissances dont j'ai à vous rendre compte sont trop
copieuses pour qu'il me soit possible d'analyser par le menu
ductions ingénieuses plutôt que de documents précis et explicites. { l'œuvre de MM. De Geyter et Benoit, mais je ne puis pourtant
Qu'il soit né à Anvers, ou bien à Cologne, ou bien à Siegen, ou . Pas me borner à en constater l'éclatant succès. Disons donc
en tout autre lieu, cela importe peu. Le caractère de la race et , quelques mots du poème et de la musique,
de l'école éclate dans son œuvre avec une souveraine puissance Le livret de M- De Geyter est l'expression naïve et poétique
et un incomparable éclat; maigre les influences qu'il a subies, j d'un sentiment qui est général à Anvers, celui de la supériorité
qu'il a cherchées dans ses voyages, et en dépit de tel ou tel em- j de cette ville sur toutes les cités de la Belgique et du monde,
est né à Anvers comme on le soutient
maintenant en cette ville à l'aide de dé-
prunt que l'on peut reconnaître, la nationalité artistique du grand
peintre est aussi saisissante que la personnalité de son talent.
De même Anvers est bien par excellence la ville flamande
en dépit des nationalités politiques si diverses par lesquelles elle
a passé depuis les premiers temps de son histoire jusqu'à nos
jours, en dépit des influences qui se la disputent et des popula-
tions qui s'v agglomèrent et s'y mêlent. L'homogénéité n'est
dans le passé, le présent et l'avenir ; sentiment excessif, mais
qui, fécondé par l'ambition de le justifier, corrige et relève l'or-
gueil par la passion du grand et du beau. Ce n'est pas seulement
la glorification de l'art flamand, c'est la glorification de la Flan-
dre et surtout d'Anvers qui se propose comme modèle à tous les
peuples de l'univers, et ceux-ci, assure le poète, ne font aucune
difficulté de reconnaître qu'ils ont trouvé leur maître. Ils sont
point complète, mais le vieux fond flamand perce les couches de venus à Anvers pour rendre hommage à Rubens, mais aussi pour
vernis dont la civilisation a enduit le tableau, et la langue qui Y apprendre l'art, la liberté, le travail et la paix. Bien qu'ils n'y
domine dans l'antique cité est toujours la langue flamande, ou, a'ent Passt-: qu'une huitaine de jours, espérons que la leçon leur
pour parler plus correctement, le néerlandais, la langue des aura été profitable, et qu'ils seront rentrés chez eux plus artistes,
Pays-Bas, la vieille langue des Provinces-Unies, domination
tellement tyrannique, indomptable, irrésistible, que les « classes
dirigeantes », après de longues et maladroites résistances, ont fini
par comprendre que ce qu'elles avaient de mieux à faire était de
s'v soumettre, de se faire entendre pour se faire écouter, de ga-
plus libres, plus laborieux et pacifiques qu'ils n'étaient partis.
Le compositeur, M. Pierre Benoit, est peu connu en France,
et pour cause. La langue néerlandaise à laquelle il a consacré sa
vie et son art est, — pour emprunter un mot à M. Charles
Blanc, —■ non pas un royaume, mais une province, et la plus
gner le peuple en s'adressant à lui dans le seul idiome qu'il j reculée, dans l'empire de la linguistique. Jusqu'ici le flamand,
accepte et qu'il aime, et d'organiser dans ce pays de self-govern- j lanSue germanique, ne lui a pas plus ouvert l'Allemagne et l'An-
ment une sorte de self-civilisation. gleterre que la France. Est-ce parce que l'artiste s'est mis en tete
C'est ainsi que la première fête offerte à la population an- j non seulement d'écrire de la musique sur des poèmes flamands,
versoise et aux étrangers venus pour célébreravec elle le troisième j mais encore de créer une musique nouvelle, la musique fla-
centenaire de Pierre-Paul Rubens, a été l'exécution d'une can- ! mande, distincte de l'italienne, de l'allemande et de la française,
et reflétant aussi fidèlement que possible le caractère, le tempé-
rament, l'humeur du peuple dont elle s'efforce d'interpréter les
sentiments et les passions ? Non, car cette tentative, que nombre
de critiques considèrent comme chimérique, n'en est pas moins
légitime et respectable, et si elle réussit en pays flamand, son
succès ne sera pas un obstacle à sa diffusion à l'étranger. L'art
tate flamande, paroles flamandes et musique flamande d'un poëte
et d'un compositeur qui dès leur jeunesse se sont dévoués au
succès de ce qu'on appelle ici le mouvement flamand. Cette im-
posante solennité aura été la consécration et la récompense de
leurs efforts.
Vlaanderens Kunstroem (Gloire de l'art flamand), tel est le
titre de cette cantate, poème de M. Jules De Geyter, musique de j flamand des peintres s'est trop aisément répandu partout, pour
M. Pierre Benoit, exécutée le 18 août, sur la place Verte, devant j que l'art flamand des musiciens, s'il vaut l'autre, soit condamné
la statue de Rubens. à un isolement éternel.
Une foule innombrable encombre la place, située, comme on
sait, à deux pas de la cathédrale, dont la flèche élancée domine
la ville entière. Faisant face à la statue de Rubens une estrade
est dressée pour les musiciens, au nombre de 1,200, tout un
peuple d'instrumentistes et de chanteurs. On peut dire que toute
Si la musique dite flamande, et spécialement celle de M. Be-
noit qui a voulu en être l'initiateur, n'a pas encore dépassé la
frontière belge, — et c'est déjà quelque chose qu'elle ait pénétré
dans les provinces wallonnes de la Belgique,— cela tient plutôt
à ce que sa physionomie locale n'est pas aussi nettement caracté-
la ville chante, hommes, femmes et enfants, et c'est en vérité un risée que le supposent ses adeptes ; cela tient aussi à ce que,
charmant spectacle que celui de tant de dames et de jeunes filles malgré le talent et la persévérance de ceux-ci, l'inspiration qui
d'Anvers, groupées dans leurs plus beaux atours sous le bâton les anime ne s'est pas encore moulée dans une de ces formes
de mesure du compositeur, obéissantes, disciplinées, enthousias- pures, radieuses, définitives, qui commandent l'admiration du
tes, et donnant de la voix avec une ardeur et une sonorité à faire monde civilisé, sans distinction de race, de culte, de secte ou de
rougir de honte les ténors les plus aigus et les basses les plus nationalité.
profondes. Il n'en est pas moins vrai que M. Benoit est un musicien de
Il fait nuit, car déjà les journées sont courtes. Il a été décidé grande valeur et d'un puissant tempérament. Il a surtout un mé-
que la cantate commencerait à huit heures du soir. Prodige de rite qu'on ne peut lui ravir, celui d'avoir enflammé et passionné
l'exactitude anversoise ! On voit bien que nous sommes dans une de musique une grande ville dont l'initiative musicale était nulle
ville de commerce, où le temps a son prix, où il n'est jamais 1 avant qu'il s'en mêlât, d'avoir, utilisant l'amour-propre et Tarn-
Correspondance particulière de l'Art
ontester le caractère flamand du génie j arrivé à personne de manquer un courrier ou un rendez-vous. A
de Rubens est si difficile qu'il est assez peine la cloche de la cathédrale a-t-elle sonné le dernier coup
indifférent, au point de vue de l'esthéti- ! ue huit heures, que M. Benoit donne le signal et que les cuivres
que, de l'histoire et de l'ethnographie de l'orchestre entonnent les premières fanfares de la cantate,
de l'art,sinon au point de vue purement j Pour un peu, on applaudissait. Le fait est qu'une cantate qui
biographique, de savoir si le maître commence à l'heure du programme, cela ne s'est jamais vu.
Les réjouissances dont j'ai à vous rendre compte sont trop
copieuses pour qu'il me soit possible d'analyser par le menu
ductions ingénieuses plutôt que de documents précis et explicites. { l'œuvre de MM. De Geyter et Benoit, mais je ne puis pourtant
Qu'il soit né à Anvers, ou bien à Cologne, ou bien à Siegen, ou . Pas me borner à en constater l'éclatant succès. Disons donc
en tout autre lieu, cela importe peu. Le caractère de la race et , quelques mots du poème et de la musique,
de l'école éclate dans son œuvre avec une souveraine puissance Le livret de M- De Geyter est l'expression naïve et poétique
et un incomparable éclat; maigre les influences qu'il a subies, j d'un sentiment qui est général à Anvers, celui de la supériorité
qu'il a cherchées dans ses voyages, et en dépit de tel ou tel em- j de cette ville sur toutes les cités de la Belgique et du monde,
est né à Anvers comme on le soutient
maintenant en cette ville à l'aide de dé-
prunt que l'on peut reconnaître, la nationalité artistique du grand
peintre est aussi saisissante que la personnalité de son talent.
De même Anvers est bien par excellence la ville flamande
en dépit des nationalités politiques si diverses par lesquelles elle
a passé depuis les premiers temps de son histoire jusqu'à nos
jours, en dépit des influences qui se la disputent et des popula-
tions qui s'v agglomèrent et s'y mêlent. L'homogénéité n'est
dans le passé, le présent et l'avenir ; sentiment excessif, mais
qui, fécondé par l'ambition de le justifier, corrige et relève l'or-
gueil par la passion du grand et du beau. Ce n'est pas seulement
la glorification de l'art flamand, c'est la glorification de la Flan-
dre et surtout d'Anvers qui se propose comme modèle à tous les
peuples de l'univers, et ceux-ci, assure le poète, ne font aucune
difficulté de reconnaître qu'ils ont trouvé leur maître. Ils sont
point complète, mais le vieux fond flamand perce les couches de venus à Anvers pour rendre hommage à Rubens, mais aussi pour
vernis dont la civilisation a enduit le tableau, et la langue qui Y apprendre l'art, la liberté, le travail et la paix. Bien qu'ils n'y
domine dans l'antique cité est toujours la langue flamande, ou, a'ent Passt-: qu'une huitaine de jours, espérons que la leçon leur
pour parler plus correctement, le néerlandais, la langue des aura été profitable, et qu'ils seront rentrés chez eux plus artistes,
Pays-Bas, la vieille langue des Provinces-Unies, domination
tellement tyrannique, indomptable, irrésistible, que les « classes
dirigeantes », après de longues et maladroites résistances, ont fini
par comprendre que ce qu'elles avaient de mieux à faire était de
s'v soumettre, de se faire entendre pour se faire écouter, de ga-
plus libres, plus laborieux et pacifiques qu'ils n'étaient partis.
Le compositeur, M. Pierre Benoit, est peu connu en France,
et pour cause. La langue néerlandaise à laquelle il a consacré sa
vie et son art est, — pour emprunter un mot à M. Charles
Blanc, —■ non pas un royaume, mais une province, et la plus
gner le peuple en s'adressant à lui dans le seul idiome qu'il j reculée, dans l'empire de la linguistique. Jusqu'ici le flamand,
accepte et qu'il aime, et d'organiser dans ce pays de self-govern- j lanSue germanique, ne lui a pas plus ouvert l'Allemagne et l'An-
ment une sorte de self-civilisation. gleterre que la France. Est-ce parce que l'artiste s'est mis en tete
C'est ainsi que la première fête offerte à la population an- j non seulement d'écrire de la musique sur des poèmes flamands,
versoise et aux étrangers venus pour célébreravec elle le troisième j mais encore de créer une musique nouvelle, la musique fla-
centenaire de Pierre-Paul Rubens, a été l'exécution d'une can- ! mande, distincte de l'italienne, de l'allemande et de la française,
et reflétant aussi fidèlement que possible le caractère, le tempé-
rament, l'humeur du peuple dont elle s'efforce d'interpréter les
sentiments et les passions ? Non, car cette tentative, que nombre
de critiques considèrent comme chimérique, n'en est pas moins
légitime et respectable, et si elle réussit en pays flamand, son
succès ne sera pas un obstacle à sa diffusion à l'étranger. L'art
tate flamande, paroles flamandes et musique flamande d'un poëte
et d'un compositeur qui dès leur jeunesse se sont dévoués au
succès de ce qu'on appelle ici le mouvement flamand. Cette im-
posante solennité aura été la consécration et la récompense de
leurs efforts.
Vlaanderens Kunstroem (Gloire de l'art flamand), tel est le
titre de cette cantate, poème de M. Jules De Geyter, musique de j flamand des peintres s'est trop aisément répandu partout, pour
M. Pierre Benoit, exécutée le 18 août, sur la place Verte, devant j que l'art flamand des musiciens, s'il vaut l'autre, soit condamné
la statue de Rubens. à un isolement éternel.
Une foule innombrable encombre la place, située, comme on
sait, à deux pas de la cathédrale, dont la flèche élancée domine
la ville entière. Faisant face à la statue de Rubens une estrade
est dressée pour les musiciens, au nombre de 1,200, tout un
peuple d'instrumentistes et de chanteurs. On peut dire que toute
Si la musique dite flamande, et spécialement celle de M. Be-
noit qui a voulu en être l'initiateur, n'a pas encore dépassé la
frontière belge, — et c'est déjà quelque chose qu'elle ait pénétré
dans les provinces wallonnes de la Belgique,— cela tient plutôt
à ce que sa physionomie locale n'est pas aussi nettement caracté-
la ville chante, hommes, femmes et enfants, et c'est en vérité un risée que le supposent ses adeptes ; cela tient aussi à ce que,
charmant spectacle que celui de tant de dames et de jeunes filles malgré le talent et la persévérance de ceux-ci, l'inspiration qui
d'Anvers, groupées dans leurs plus beaux atours sous le bâton les anime ne s'est pas encore moulée dans une de ces formes
de mesure du compositeur, obéissantes, disciplinées, enthousias- pures, radieuses, définitives, qui commandent l'admiration du
tes, et donnant de la voix avec une ardeur et une sonorité à faire monde civilisé, sans distinction de race, de culte, de secte ou de
rougir de honte les ténors les plus aigus et les basses les plus nationalité.
profondes. Il n'en est pas moins vrai que M. Benoit est un musicien de
Il fait nuit, car déjà les journées sont courtes. Il a été décidé grande valeur et d'un puissant tempérament. Il a surtout un mé-
que la cantate commencerait à huit heures du soir. Prodige de rite qu'on ne peut lui ravir, celui d'avoir enflammé et passionné
l'exactitude anversoise ! On voit bien que nous sommes dans une de musique une grande ville dont l'initiative musicale était nulle
ville de commerce, où le temps a son prix, où il n'est jamais 1 avant qu'il s'en mêlât, d'avoir, utilisant l'amour-propre et Tarn-