LE COMMERCE DES OBJETS D'ART
ET
LES VENTES PUBLIQUES
IV1
onsultons le procès-verbal de la vente de Claude Gouffier, docu-
ment récemment découvert et immédiatement enterré dans la
Revue des Sociétés savantes des Départements'1, et nous allons
apprendre par le menu comment se passait une vente au
xvi° siècle ;i.
Du personnage je ne dirai qu'un mot : Claude Gouffier,
seigneur de Boisy, duc de Roannès et grand-écuyer de France,
était un gentilhomme élégant et amateur par excellence ; il fut,
avec sa mère Hélène de Hangest-Genlis, le créateur des délicates
faïences d'Oiron. Amoureux passionné de l'art et des artistes, il
Lettre du xvia siècle. Collection Bonnafle.
les protégea si bien qu'à sa mort on fut obligé de vendre tous
ses meubles pour payer ses dettes. C'est pourquoi l'an 15:72, le jeudi 18 septembre, vingt-cinq
jours seulement après la Saint-Barthélemy, maître Claude Lamonyeulx, « premier huissier du roi
en la cour du Parlement », se transportait à l'hôtel de Boisy, rue Saint-Antoine, pour procéder à
l'adjudication des meubles de l'hôtel et dresser le procès-verbal.
La première vente comprend les meubles et les effets, elle dure quatorze jours et se tient
dans la cour de l'hôtel. Chaque jour, trois hommes de peine descendent les meubles « des
chambres haultes et les coffres de bahus plaincts de leinges * ».
La seconde vente, celle de « la vaisselle d'argent et des bagues d'or et sans pierrerye », ne
dure que trois jours ; elle est faite « en l'hostel de Jehan Langlois, marchand joaillier, priseur et
vendeur de biens , sciz sur le pont aux Changes, lieu accoustumé pour vendre bagues et
joyaulx ».
Chaque vacation est très-courte et ne dépasse pas une moyenne de vingt articles, adjugés au
fur et à mesure qu'ils se présentent, sans que M" Lamonyeulx paraisse faire un choix et adopter
un ordre de préséance. Presque toutes les adjudications dépassent la prisée ; souvent elles
atteignent le double et le triple. Deux articles seulement sont adjugés au rabais faute d'enchères,
une robe de velours noir et «une paire d'heures en parchemin, prisée 17^ livres, délivrée néant-
moings pour la somme de 15:? livres, après avoir icelle exposée en vente par chacun jour et
mainte fois criée ».
A voir le personnel des acheteurs et comme les enchères sont rondement menées, on ne se
douterait guère qu'on est au lendemain de l'épouvantable massacre du 24 août; mais il s'agit
d'une de ces ventes qui font courir le tout Paris de 1572. C'est le rendez-vous obligé du beau
monde, chacun veut y faire figure coûte que coûte, et prendre une part de ces dépouilles
opimes.
Jusque-là le spectacle n'a rien de bien nouveau, nous connaissons par cœur ces grandes
1. Voir l'Art, je année, tome III, pages 75, 145 et 19;.
2. Ce procès-verbal avait déjà été signalé par M. Benj. Fillon. Il a été inséré dans la Revue des Sociétés savantes des départements,
tome VII, avec une notice de MM. Célestin Port et Alfred Darcel.
). Du temps de Brantôme, ces ventes étaient une mode parisienne : « Ce bon gentilhomme vint quelque temps après à mourir, et toutes
ses hardes (effets et meubles), à la mode de Paris, vindrent à estre criées et vendues à l'encan. » Dames Gai., Disc. 1"'.
4. A la lin de la vente, ces trois hommes reçoivent chacun 10 livres tournois « pour leur salaire et vaccations ».
ET
LES VENTES PUBLIQUES
IV1
onsultons le procès-verbal de la vente de Claude Gouffier, docu-
ment récemment découvert et immédiatement enterré dans la
Revue des Sociétés savantes des Départements'1, et nous allons
apprendre par le menu comment se passait une vente au
xvi° siècle ;i.
Du personnage je ne dirai qu'un mot : Claude Gouffier,
seigneur de Boisy, duc de Roannès et grand-écuyer de France,
était un gentilhomme élégant et amateur par excellence ; il fut,
avec sa mère Hélène de Hangest-Genlis, le créateur des délicates
faïences d'Oiron. Amoureux passionné de l'art et des artistes, il
Lettre du xvia siècle. Collection Bonnafle.
les protégea si bien qu'à sa mort on fut obligé de vendre tous
ses meubles pour payer ses dettes. C'est pourquoi l'an 15:72, le jeudi 18 septembre, vingt-cinq
jours seulement après la Saint-Barthélemy, maître Claude Lamonyeulx, « premier huissier du roi
en la cour du Parlement », se transportait à l'hôtel de Boisy, rue Saint-Antoine, pour procéder à
l'adjudication des meubles de l'hôtel et dresser le procès-verbal.
La première vente comprend les meubles et les effets, elle dure quatorze jours et se tient
dans la cour de l'hôtel. Chaque jour, trois hommes de peine descendent les meubles « des
chambres haultes et les coffres de bahus plaincts de leinges * ».
La seconde vente, celle de « la vaisselle d'argent et des bagues d'or et sans pierrerye », ne
dure que trois jours ; elle est faite « en l'hostel de Jehan Langlois, marchand joaillier, priseur et
vendeur de biens , sciz sur le pont aux Changes, lieu accoustumé pour vendre bagues et
joyaulx ».
Chaque vacation est très-courte et ne dépasse pas une moyenne de vingt articles, adjugés au
fur et à mesure qu'ils se présentent, sans que M" Lamonyeulx paraisse faire un choix et adopter
un ordre de préséance. Presque toutes les adjudications dépassent la prisée ; souvent elles
atteignent le double et le triple. Deux articles seulement sont adjugés au rabais faute d'enchères,
une robe de velours noir et «une paire d'heures en parchemin, prisée 17^ livres, délivrée néant-
moings pour la somme de 15:? livres, après avoir icelle exposée en vente par chacun jour et
mainte fois criée ».
A voir le personnel des acheteurs et comme les enchères sont rondement menées, on ne se
douterait guère qu'on est au lendemain de l'épouvantable massacre du 24 août; mais il s'agit
d'une de ces ventes qui font courir le tout Paris de 1572. C'est le rendez-vous obligé du beau
monde, chacun veut y faire figure coûte que coûte, et prendre une part de ces dépouilles
opimes.
Jusque-là le spectacle n'a rien de bien nouveau, nous connaissons par cœur ces grandes
1. Voir l'Art, je année, tome III, pages 75, 145 et 19;.
2. Ce procès-verbal avait déjà été signalé par M. Benj. Fillon. Il a été inséré dans la Revue des Sociétés savantes des départements,
tome VII, avec une notice de MM. Célestin Port et Alfred Darcel.
). Du temps de Brantôme, ces ventes étaient une mode parisienne : « Ce bon gentilhomme vint quelque temps après à mourir, et toutes
ses hardes (effets et meubles), à la mode de Paris, vindrent à estre criées et vendues à l'encan. » Dames Gai., Disc. 1"'.
4. A la lin de la vente, ces trois hommes reçoivent chacun 10 livres tournois « pour leur salaire et vaccations ».