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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 3.1877 (Teil 3)

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Énault, Louis: Le musée de Sèvres, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.16906#0194

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L'ART.

Nevers et de Moustiers, de Strasbourg et de Marseille, se vendent aujourd'hui au poids de l'or, et
les amateurs se les disputent sous le feu des enchères, avec la même ardeur que les toiles et les
marbres des plus grands maîtres. Elles sortent du domaine de l'industrie pour entrer dans le
royaume de l'art.

On comprend maintenant que la réouverture du musée de Sèvres, après une clôture trop
prolongée, ait pris tout à coup les proportions d'un événement, et qu'une foule charmée prenne
chaque jour la route de ces jolies collines de Ville-d'Avray, au pied desquelles s'élèvent les bâti-
ments de la manufacture renouvelée et agrandie.

Disons tout de suite que le public n'est pas seulement admis à visiter les belles collections
composant ce que l'on appelle le musée de Sèvres, et dont notre confrère, M. Champfleury, est
aujourd'hui l'intelligent et sympathique conservateur; mais qu'on lui permet encore, — ce qui ne
s'était jamais fait jusqu'ici, — l'accès du laboratoire. Chacun peut donc, à présent, s'initier à
tous les secrets de la fabrication. Il n'y a plus à présent ni arcanes ni mystères dans la céra-
mique. C'est là un progrès notable, et dont il faut louer l'administration supérieure de Sèvres.

Jusqu'au siècle dernier, l'art industriel aimait à s'entourer d'ombres, qui ne lui semblaient
jamais assez épaisses. Tout devenait matière ou prétexte à dissimulation. On eût remplacé volon-
tiers dans les manufactures les chimistes par des alchimistes. La fabrication de la porcelaine
n'avait pas échappé à cette loi du silence et des ténèbres, legs du moyen âge que devaient répu-
dier les temps modernes. Les erreurs s'enchaînent l'une à l'autre. Celle-ci n'était que la consé-
quence des idées économiques de l'ancien régime.

La Saxe, qui avait eu la bonne fortune de découvrir, en 1709, cette matière première
excellente, cette argile incomparable, base aujourd'hui de toute céramique" supérieure, qui s'appelle
le kaolin, se montra jalouse de sa trouvaille jusqu'à la puérilité. Elle ne songea plus qu'à l'en-
tourer d'obstacles infranchissables. Le secret du kaolin fut traité comme un secret d'État, et la
fabrication de la porcelaine élevée à la hauteur d'une question politique. L'exportation de
l'argile sacro-sainte fut interdite sous les peines les plus sévères. Les caisses qui la contenaient
étaient scellées aux armes du prince, sur le lieu même du gisement, et accompagnées par la force
publique jusqu'à l'entrée des ateliers. Le château d'Albert (Albrecht-burg) où se fabriquait la por-
celaine avait plutôt l'air d'une forteresse que d'une usine. Il avait sa garnison, ses tours et ses
fossés, et ses ponts-levis armés de herses. Tous les employés juraient de garder jusqu'au tombeau
le secret de la fabrication à laquelle ils prenaient part, et l'on prévenait la récidive de ceux qui
avaient une fois violé leur serment en les envoyant mourir dans les basses-fosses du cachot de
Kœnigstein (le château du roi ; littéralement la pierre du roi). Si quelque personnage de distinc-
tion obtenait de l'électeur la permission de visiter la fabrique, les directeurs se hâtaient de sous-
traire à ses regards tout ce qui aurait pu le mettre sur la trace de leurs procédés. Ils voyaient
partout des rivaux, des contrefacteurs et des concurrents.

La France ne se montrait pas et ne pouvait pas se montrer plus libérale, à une époque où
personne ne l'était. Un privilège royal, portant la date de 1664, avait permis à un certain Claude
Révérend d'exploiter un secret admirable et curieux, qui est de faire la faïence et de contrefaire
la porcelaine, aussi belle et plus belle que celle qui vient des Indes Orientales.

Ce secret fut considéré comme la propriété de celui qui l'avait trouvé, et, pour le protéger
contre ceux qui parviendraient à le découvrir, il fut défendu, sous peine d'amende et de confisca-
tion, à toutes sortes de personnes, de quelque qualité et condition qu'elles fussent, de faire
fabriquer cette porcelaine façon des Indes, à trente lieues à la ronde de Paris, ni d'en faire venir
d'aucun pays étranger, pour en vendre ou en débiter.

On le voit, nous sommes complètement ici sous le règne du bon plaisir, de l'arbitraire et du
privilège. Il nous faudra attendre de longues années encore avant de jouir de la liberté indus-
trielle et commerciale.

En 1766, l'emploi de deux couleurs seulement était permis à ceux qui tentaient de lutter
contre la manufacture royale. Ils ne pouvaient peindre leurs faïences qu'en bleu ou en blanc, ou
bien encore en camaïeu d'une seule couleur, mais l'emploi de l'or leur était interdit, comme
 
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