170 L'ART.
plus que de démêler dans les choses les traces obscures et effacées qui leur restent du type idéal
dont elles sont les imparfaites copies, si la beauté absolue et infinie de l'être parfait n'était
pour la raison humaine un terme de comparaison toujours présent et ne lui servait à apprécier
la qualité et la quantité de beauté subsistant dans les choses finies.
Qu'est-ce à dire, sinon que l'intelligence humaine est par elle-même absolument incapable de
concevoir et de créer l'idée de beauté, et que nécessairement il lui faut un modèle réel, d'après
lequel elle formule ses conceptions ? Et en effet telle est bien la pensée, non-seulement de Platon,
mais de l'antiquité tout entière, et, il faut le dire, de toutes les doctrines philosophiques qui se
rattachent de près ou de loin aux théories antiques. La métaphysique officielle, nous ne saurions
trop le redire, est également fondée sur cette idée. D'après elle l'intelligence humaine n'est qu'un
miroir et n'a d'autre fonction que de refléter plus ou moins fidèlement les images et les choses.
Donc toutes les idées que nous trouvons dans notre intelligence répondent à des réalités
extérieures, physiques ou métaphysiques, et quand nous ne pouvons saisir de nos yeux ni toucher
de nos mains autour de nous le modèle de nos conceptions c'est que ce modèle existe uniquement
dans le monde des intelligibles.
Par une conséquence très-simple, puisque nous avons l'idée de la beauté parfaite, il en
résulte que cette beauté parfaite existe nécessairement. Nous ne la rencontrons pas dans ce
monde ; c'est qu'elle existe dans l'autre. Or la beauté parfaite ne saurait se trouver que dans
l'être parfait, lequel ne peut être que Dieu. Donc l'idée de Dieu devient en réalité le principe
formateur de l'art et en demeure la règle suprême.
Mais comme d'un autre coté, dans le système platonicien, la perfection entraine fatalement
l'exclusion de la matière, on en est réduit à se demander comment une beauté purement idéale,
sans lignes, sans contours, sans réalité matérielle, peut avoir un rapport quelconque avec les arts
plastiques. Car il ne faut pas s'y tromper, le dieu de Platon ne peut ni ne doit être conçu sous
une figure quelconque. Il est l'infini, l'immensité, il n'a ni limite ni forme.
Mais il suffit à ces puissants et ingénieux raisonneurs de quelques rapports de mots pour
identifier les choses. Les arts ont pour objet le beau, or la beauté est une perfection, qui ne peut
faire défaut à l'être parfait. Donc Dieu a la beauté, ou plutôt il est la beauté même, bien
qu'il soit contradictoire de lui rien attribuer qui rappelle l'idée de forme.
On peut en dire à peu près autant de ces types idéaux des choses qui sont, pour Platon, les
modèles mêmes des créations artistiques. Ces idéaux étant de simples essences, sans matière, ne
peuvent non plus avoir aucune forme. Ce sont de pures idées. Comment de pures idées peuvent-
elles se concevoir sous des figures ? Platon s'est laissé prendre à des apparences purement
verbales. Il est certain que dans notre esprit l'idée de lit ne saurait se confondre avec l'idée de
table, et que ces idées sont distinctes des réalités d'où elles proviennent. Mais pourquoi ne
peuvent-elles se confondre ? Simplement parce qu'elles persistent dans notre esprit avec le
souvenir des lignes et des figures qui les distinguent dans le monde des choses réelles. Or ces
lignes et ces figures ne sont possibles que par les caractères purement physiques des objets qui
se distinguent les uns des autres par la couleur et par la résistance. Ces conditions de lignes et
de formes sont donc des résultats de l'observation expérimentale, de la sensation, c'est-à-dire des
conditions matérielles qui ne peuvent évidemment convenir aux idées platoniciennes. Ces idées ne
représentent donc qu'une conception qui, au point de vue de la science, a le double tort d'être à
la fois hypothétique et contradictoire.
11 ne faut pas nous laisser abuser à cet égard par la signification vague et flottante que
l'ignorance générale a fini par donner à l'expression d'idéal. Dans le système platonicien, ce terme
a le sens très-précis que nous avons essayé de lui restituer, et la conception qu'il représente est
une des pièces principales, et l'on peut dire la pièce la plus essentielle de toute la théorie des
arts. L'esthétique platonicienne ne peut se tenir qu'à la condition que cette région moyenne de
l'idéal, placée à mi-chemin entre Dieu et l'homme, existe réellement. Sans elle tout s'écroule.
Platon, non content d'affirmer cette existence, à laquelle il tient uniquement parce qu'elle est
nécessaire à son système, et qu'il aurait niée avec la même facilité et la même assurance, s'il
plus que de démêler dans les choses les traces obscures et effacées qui leur restent du type idéal
dont elles sont les imparfaites copies, si la beauté absolue et infinie de l'être parfait n'était
pour la raison humaine un terme de comparaison toujours présent et ne lui servait à apprécier
la qualité et la quantité de beauté subsistant dans les choses finies.
Qu'est-ce à dire, sinon que l'intelligence humaine est par elle-même absolument incapable de
concevoir et de créer l'idée de beauté, et que nécessairement il lui faut un modèle réel, d'après
lequel elle formule ses conceptions ? Et en effet telle est bien la pensée, non-seulement de Platon,
mais de l'antiquité tout entière, et, il faut le dire, de toutes les doctrines philosophiques qui se
rattachent de près ou de loin aux théories antiques. La métaphysique officielle, nous ne saurions
trop le redire, est également fondée sur cette idée. D'après elle l'intelligence humaine n'est qu'un
miroir et n'a d'autre fonction que de refléter plus ou moins fidèlement les images et les choses.
Donc toutes les idées que nous trouvons dans notre intelligence répondent à des réalités
extérieures, physiques ou métaphysiques, et quand nous ne pouvons saisir de nos yeux ni toucher
de nos mains autour de nous le modèle de nos conceptions c'est que ce modèle existe uniquement
dans le monde des intelligibles.
Par une conséquence très-simple, puisque nous avons l'idée de la beauté parfaite, il en
résulte que cette beauté parfaite existe nécessairement. Nous ne la rencontrons pas dans ce
monde ; c'est qu'elle existe dans l'autre. Or la beauté parfaite ne saurait se trouver que dans
l'être parfait, lequel ne peut être que Dieu. Donc l'idée de Dieu devient en réalité le principe
formateur de l'art et en demeure la règle suprême.
Mais comme d'un autre coté, dans le système platonicien, la perfection entraine fatalement
l'exclusion de la matière, on en est réduit à se demander comment une beauté purement idéale,
sans lignes, sans contours, sans réalité matérielle, peut avoir un rapport quelconque avec les arts
plastiques. Car il ne faut pas s'y tromper, le dieu de Platon ne peut ni ne doit être conçu sous
une figure quelconque. Il est l'infini, l'immensité, il n'a ni limite ni forme.
Mais il suffit à ces puissants et ingénieux raisonneurs de quelques rapports de mots pour
identifier les choses. Les arts ont pour objet le beau, or la beauté est une perfection, qui ne peut
faire défaut à l'être parfait. Donc Dieu a la beauté, ou plutôt il est la beauté même, bien
qu'il soit contradictoire de lui rien attribuer qui rappelle l'idée de forme.
On peut en dire à peu près autant de ces types idéaux des choses qui sont, pour Platon, les
modèles mêmes des créations artistiques. Ces idéaux étant de simples essences, sans matière, ne
peuvent non plus avoir aucune forme. Ce sont de pures idées. Comment de pures idées peuvent-
elles se concevoir sous des figures ? Platon s'est laissé prendre à des apparences purement
verbales. Il est certain que dans notre esprit l'idée de lit ne saurait se confondre avec l'idée de
table, et que ces idées sont distinctes des réalités d'où elles proviennent. Mais pourquoi ne
peuvent-elles se confondre ? Simplement parce qu'elles persistent dans notre esprit avec le
souvenir des lignes et des figures qui les distinguent dans le monde des choses réelles. Or ces
lignes et ces figures ne sont possibles que par les caractères purement physiques des objets qui
se distinguent les uns des autres par la couleur et par la résistance. Ces conditions de lignes et
de formes sont donc des résultats de l'observation expérimentale, de la sensation, c'est-à-dire des
conditions matérielles qui ne peuvent évidemment convenir aux idées platoniciennes. Ces idées ne
représentent donc qu'une conception qui, au point de vue de la science, a le double tort d'être à
la fois hypothétique et contradictoire.
11 ne faut pas nous laisser abuser à cet égard par la signification vague et flottante que
l'ignorance générale a fini par donner à l'expression d'idéal. Dans le système platonicien, ce terme
a le sens très-précis que nous avons essayé de lui restituer, et la conception qu'il représente est
une des pièces principales, et l'on peut dire la pièce la plus essentielle de toute la théorie des
arts. L'esthétique platonicienne ne peut se tenir qu'à la condition que cette région moyenne de
l'idéal, placée à mi-chemin entre Dieu et l'homme, existe réellement. Sans elle tout s'écroule.
Platon, non content d'affirmer cette existence, à laquelle il tient uniquement parce qu'elle est
nécessaire à son système, et qu'il aurait niée avec la même facilité et la même assurance, s'il