214
L'ART.
Rothschild au prix de 70,050 francs, a dû être exécuté vers 1765,
époque à laquelle la marquise avait environ vingt-deux ans.
Greuze l'a représentée dans le costume de Zaïre, qu'elle avait
joué dans une fête à la cour.
Le marquis de Chauvelin est mort subitement en 1774, à la
table de jeu de Louis XV, qui lui fit, séance tenante, cette tou-
chante oraison funèbre : « Ah! voilà Chauvelin qui fait comme
mon cheval avant-hier ! »
Le roi venait de perdre un cheval d'un coup de sang.
Avant de quitter la France, un mot aux naïfs qui fulminent
contre l'accaparement, à l'Hôtel Drouot, de presque toutes les
ventes artistiques du pays. Si la décentralisation a beaucoup de
bon, ce n'est peut-être pas précisément en matière de ventes
publiques; on nous communique comme pièce à l'appui le
Catalogue de la vente Chennevière, qui a eu lieu du 9 au
12 mai 187(7, à Elbeuf, par Mc Poulet, commissaire-priseur
audit Elbeuf. On y lit, page 13 et sous le n» 81 : « UNE GLACE
ANCIENNE, à cadre et à médaillon de cuivre doré, style
Louis XIV», et cette description est suivie de cette précieuse
indication, imprimée en italiques : « Cette glace provient du
Château d'Acquigny et a fait partie du mobilier de Diane de
Poitiers. »
Si vous m'en croyez, point de commentaires!
En Angleterre, la puissante maison Christie, Manson et
Woods a eu, comme chaque année, son encombrement de
ventes quotidien, mais la quantité cette fois est loin d'avoir été
en rapport avec la qualité. Celle-ci a même laissé terriblement à
désirer, et ce n'est pas des Auctioneers aussi fins connaisseurs que
MM. Christie et Woods qui ont pu s'y méprendre. Leurs deux
ventes les plus importantes ont été d'abord celle de la Shandon
Collection appartenant à feu Robert Napier, un célèbre construc-
teur de navires de Glasgow, qui avait entassé chez lui le plus
déplorable fouillis de bric-à-brac que puisse réunir un manque
de goût absolu, — le catalogue ne comprenait que 3,432 numé-
ros ! ! ! — le mauvais s'y heurtait au pire, et c'était miracle quand
de loin en loin se découvrait quelque bel objet ; — les tableaux
modernes de l'école anglaise, — 205, ni plus ni moins, —
rassemblés sous le titre de Kensington House Gallery, par
un financier qui a eu de nombreux et bruyants avatars ,
M. le baron Albert Grant, ne valaient guère mieux dans leur
genre que les bibelots de M. Robert Napier, avec lesquels ils
avaient un point incontestable de ressemblance; leurs aveugles
propriétaires avaient été l'un et l'autre étrillés de la belle façon,
mais leur vanité n'en était que plus satisfaite; plus ils payaient
cher, plus ils croyaient conquérir des chefs-d'œuvre à coups de
bank-notes.
Ce serait se tromper grossièrement que de considérer mon
jugement comme hostile ou exagéré; il reste au-dessous de la
vérité. C'est ce que s'est chargé de démontrer de façon irréfu-
table The Examiner, dans une étude très-bien faite consacrée à
la Kensington House Gallery '.
L'éminent collaborateur de cette excellente revue hebdoma-
daire n'y va point par quatre chemins pour parler franc :
« To speak frankly the character of the collection as a whole is
simply déplorable. After an impartial survey of the works exhi-
bited, one is forced to somewhat depressing reflections not so
much upon the condition of English art as upon the state of
English taste..... The collection displays no kind of taste orjud-
gment deserving the name..... Neither the owner of the Shandon
Collection, nor the possessor of the Kensington House Gallery,
is to be reckoned as exceptionally eccentric. They are to a certain
extent types of two distinct classes of modem patrons, and it is
just because they are types, and because their taste and judgment
is the taste and judgment of many others, that it is impossible to
feel any great satisfaction over the state of art cultivation in
England^. »
Une simple vente d'aquarelles a mérité bien mieux l'atten-
tion des connaisseurs ; il est vrai qu'il s'agissait uniquement
d'aquarelles de ce grand artiste qui fut Turner, et que feu
M. H. A. J. Munro de Novar avait précieusement abritées dans
ses portefeuilles. The Novar Turner Drawings, qui se sont
vendus le 2 juin, étaient au nombre de 55, tous d'une admirable
conservation, les uns de simples motifs de vignettes pour les
Scott's Poetical Works, pour les Scott's Prose Works, pour les
Einden's Illustrations to Lord Byron's Works, pour The Rivers
of France, pour les Milton's Poetical Works, pour Turner's
England and Wales, etc. La grande majorité est de très-petites
dimenf'ons; les prix n'ont pas été en raison de la taille, mais de
la qualité qui est exquise.
Johnnie Armstrong's Tower a été adjugé à 399 livres ster-
ling (9,975 fr.) ; Norham Castle, même prix; Dunfermline,
404 livres 5 shillings (10,106 fr. 25); Winchelsea, 651 livres
(16,275 fr.) ; le Rhigi, 661 livres 10 shillings (16,537 fr- 5°)i
Lucerne, effet de nuit, 892 livres 10 shillings (22,312 fr. 50);
Nantes, 819 livres (20,475 fr-) ! Marly, 420 livres (10,500 fr.) ;
Bridge at Narni (Un pont à Narni), 619 livres 10 shillings
(15,487 fr. 50); Criccieth Castle, 651 livres (16,275 fr.); Kenil-
worth, 1,265 livres 5 shillings (31,631 fr. 25); Kidwelly Castle,
640 livres 10 shillings (16,012 fr. 50); Lancaster Sands,
882 livres (22,050 fr.) ; Leicester Abbey, 6)1 livres (16,275 fr-) '■>
Bedford, 504 livres (12,600 fr.) ; Caernarvon Castle, 798 livres
(19,950 fr.) ; Coventry, 1,081 livres 10 shillings (27,037 fr. 50) ;
Valle Crucis Abbey, 918 livres 15 shillings (22,969 fr. 75), et
Whitehaven, 777 livres (19,425 fr.).
La moindre de ces aquarelles n'était pas grande comme la
moitié du doigt, mais elle portait la griffe d'un homme de génie
et l'on a eu raison de se la disputer jusqu'à 1,207 fr- repré-
sente la Tombe de Dryden à Westminster, dans le coin des
poètes.
Tous ceux qui font de l'art non une sotte question d'igno-
rante ostentation, mais de noble passion, noble entre les plus
nobles, n'ont eu souci du pèle-mèle de M. Robert Napier ou de
M. Albert Grant, mais se sont enflammés pour ces 55 aquarelles
de l'immortel Turner, et n'ont pas ménagé les applaudissements
en apprenant le total de la vente qui, en moins d'une heure, a
atteint 20,763 livres et 15 shillings, — 519,093 francs 75 cen-
times.
La Hollande, qui a un si honorable et si légitime renom
commercial, est en train de le compromettre singulièrement
pour ce qui concerne les ventes d'œuvres d'art, et cela grâce à
MM. Van Pappelendam et Schouten qui se sont permis d'attirer
force étrangers à Amsterdam, le 16 mai, pour une vente, vraie
mystification de la pire espèce que ne laissait pas soupçonner
un catalogue audacieusement louangeur. Jamais on n'a menti
avec pareil aplomb; il s'agissait avant tout de trois Frans Hais,
d'abord deux portraits, —■ homme et femme, — proclamés dans
une préface de haute fantaisie, « les dignes rivaux de ceux qui
se trouvent à l'Hospice de Beresteyn à Haarlem, et qui, comme
on sait, sont l'objet de la convoitise universelle » ; ces dignes
rivaux n'avaient que le malheur d'être aussi faux que possible ;
— puis la Bonne Trouvaille, une pochade de Hais, provenant de
M. Quarles van Ufford, de Zutphen, et qu'a gravée De Frey; —
authenticité incontestable, mais vulgarité à l'avenant. Le reste
de la vacation était agrémenté de faux Aelbert Cuyp, de
1. n° du 28 avril 1877, pages jjj et 534.
2. « Pour parler franc, le caractère de la collection, dans son ensemble, est simplement déplorable. Après un impartial examen des ouvrages exposés, on est
entraîné à de pénibles réflexions, non pas tant sur la situation de l'art anglais, que sur la condition du goût anglais... La collection n'indique aucune espèce de goût
ni de jugement dignes de ce nom... Ni le propriétaire de la Shandon Collection, ni le possesseur de la Kensington House Gallery ne doivent être considérés comme
exceptionnellement excentriques. Ils sont, à certains égards, des types de deux genres spéciaux de modernes Mécènes, et c'est précisément parce que ce sont des types
et parce que leur goût et leur jugement représentent le goût et le jugement de beaucoup d'autres, qu'il est impossible de ressentir la moindre satisfaction de l'état
actuel de la culture artistique en Angleterre. »
L'ART.
Rothschild au prix de 70,050 francs, a dû être exécuté vers 1765,
époque à laquelle la marquise avait environ vingt-deux ans.
Greuze l'a représentée dans le costume de Zaïre, qu'elle avait
joué dans une fête à la cour.
Le marquis de Chauvelin est mort subitement en 1774, à la
table de jeu de Louis XV, qui lui fit, séance tenante, cette tou-
chante oraison funèbre : « Ah! voilà Chauvelin qui fait comme
mon cheval avant-hier ! »
Le roi venait de perdre un cheval d'un coup de sang.
Avant de quitter la France, un mot aux naïfs qui fulminent
contre l'accaparement, à l'Hôtel Drouot, de presque toutes les
ventes artistiques du pays. Si la décentralisation a beaucoup de
bon, ce n'est peut-être pas précisément en matière de ventes
publiques; on nous communique comme pièce à l'appui le
Catalogue de la vente Chennevière, qui a eu lieu du 9 au
12 mai 187(7, à Elbeuf, par Mc Poulet, commissaire-priseur
audit Elbeuf. On y lit, page 13 et sous le n» 81 : « UNE GLACE
ANCIENNE, à cadre et à médaillon de cuivre doré, style
Louis XIV», et cette description est suivie de cette précieuse
indication, imprimée en italiques : « Cette glace provient du
Château d'Acquigny et a fait partie du mobilier de Diane de
Poitiers. »
Si vous m'en croyez, point de commentaires!
En Angleterre, la puissante maison Christie, Manson et
Woods a eu, comme chaque année, son encombrement de
ventes quotidien, mais la quantité cette fois est loin d'avoir été
en rapport avec la qualité. Celle-ci a même laissé terriblement à
désirer, et ce n'est pas des Auctioneers aussi fins connaisseurs que
MM. Christie et Woods qui ont pu s'y méprendre. Leurs deux
ventes les plus importantes ont été d'abord celle de la Shandon
Collection appartenant à feu Robert Napier, un célèbre construc-
teur de navires de Glasgow, qui avait entassé chez lui le plus
déplorable fouillis de bric-à-brac que puisse réunir un manque
de goût absolu, — le catalogue ne comprenait que 3,432 numé-
ros ! ! ! — le mauvais s'y heurtait au pire, et c'était miracle quand
de loin en loin se découvrait quelque bel objet ; — les tableaux
modernes de l'école anglaise, — 205, ni plus ni moins, —
rassemblés sous le titre de Kensington House Gallery, par
un financier qui a eu de nombreux et bruyants avatars ,
M. le baron Albert Grant, ne valaient guère mieux dans leur
genre que les bibelots de M. Robert Napier, avec lesquels ils
avaient un point incontestable de ressemblance; leurs aveugles
propriétaires avaient été l'un et l'autre étrillés de la belle façon,
mais leur vanité n'en était que plus satisfaite; plus ils payaient
cher, plus ils croyaient conquérir des chefs-d'œuvre à coups de
bank-notes.
Ce serait se tromper grossièrement que de considérer mon
jugement comme hostile ou exagéré; il reste au-dessous de la
vérité. C'est ce que s'est chargé de démontrer de façon irréfu-
table The Examiner, dans une étude très-bien faite consacrée à
la Kensington House Gallery '.
L'éminent collaborateur de cette excellente revue hebdoma-
daire n'y va point par quatre chemins pour parler franc :
« To speak frankly the character of the collection as a whole is
simply déplorable. After an impartial survey of the works exhi-
bited, one is forced to somewhat depressing reflections not so
much upon the condition of English art as upon the state of
English taste..... The collection displays no kind of taste orjud-
gment deserving the name..... Neither the owner of the Shandon
Collection, nor the possessor of the Kensington House Gallery,
is to be reckoned as exceptionally eccentric. They are to a certain
extent types of two distinct classes of modem patrons, and it is
just because they are types, and because their taste and judgment
is the taste and judgment of many others, that it is impossible to
feel any great satisfaction over the state of art cultivation in
England^. »
Une simple vente d'aquarelles a mérité bien mieux l'atten-
tion des connaisseurs ; il est vrai qu'il s'agissait uniquement
d'aquarelles de ce grand artiste qui fut Turner, et que feu
M. H. A. J. Munro de Novar avait précieusement abritées dans
ses portefeuilles. The Novar Turner Drawings, qui se sont
vendus le 2 juin, étaient au nombre de 55, tous d'une admirable
conservation, les uns de simples motifs de vignettes pour les
Scott's Poetical Works, pour les Scott's Prose Works, pour les
Einden's Illustrations to Lord Byron's Works, pour The Rivers
of France, pour les Milton's Poetical Works, pour Turner's
England and Wales, etc. La grande majorité est de très-petites
dimenf'ons; les prix n'ont pas été en raison de la taille, mais de
la qualité qui est exquise.
Johnnie Armstrong's Tower a été adjugé à 399 livres ster-
ling (9,975 fr.) ; Norham Castle, même prix; Dunfermline,
404 livres 5 shillings (10,106 fr. 25); Winchelsea, 651 livres
(16,275 fr.) ; le Rhigi, 661 livres 10 shillings (16,537 fr- 5°)i
Lucerne, effet de nuit, 892 livres 10 shillings (22,312 fr. 50);
Nantes, 819 livres (20,475 fr-) ! Marly, 420 livres (10,500 fr.) ;
Bridge at Narni (Un pont à Narni), 619 livres 10 shillings
(15,487 fr. 50); Criccieth Castle, 651 livres (16,275 fr.); Kenil-
worth, 1,265 livres 5 shillings (31,631 fr. 25); Kidwelly Castle,
640 livres 10 shillings (16,012 fr. 50); Lancaster Sands,
882 livres (22,050 fr.) ; Leicester Abbey, 6)1 livres (16,275 fr-) '■>
Bedford, 504 livres (12,600 fr.) ; Caernarvon Castle, 798 livres
(19,950 fr.) ; Coventry, 1,081 livres 10 shillings (27,037 fr. 50) ;
Valle Crucis Abbey, 918 livres 15 shillings (22,969 fr. 75), et
Whitehaven, 777 livres (19,425 fr.).
La moindre de ces aquarelles n'était pas grande comme la
moitié du doigt, mais elle portait la griffe d'un homme de génie
et l'on a eu raison de se la disputer jusqu'à 1,207 fr- repré-
sente la Tombe de Dryden à Westminster, dans le coin des
poètes.
Tous ceux qui font de l'art non une sotte question d'igno-
rante ostentation, mais de noble passion, noble entre les plus
nobles, n'ont eu souci du pèle-mèle de M. Robert Napier ou de
M. Albert Grant, mais se sont enflammés pour ces 55 aquarelles
de l'immortel Turner, et n'ont pas ménagé les applaudissements
en apprenant le total de la vente qui, en moins d'une heure, a
atteint 20,763 livres et 15 shillings, — 519,093 francs 75 cen-
times.
La Hollande, qui a un si honorable et si légitime renom
commercial, est en train de le compromettre singulièrement
pour ce qui concerne les ventes d'œuvres d'art, et cela grâce à
MM. Van Pappelendam et Schouten qui se sont permis d'attirer
force étrangers à Amsterdam, le 16 mai, pour une vente, vraie
mystification de la pire espèce que ne laissait pas soupçonner
un catalogue audacieusement louangeur. Jamais on n'a menti
avec pareil aplomb; il s'agissait avant tout de trois Frans Hais,
d'abord deux portraits, —■ homme et femme, — proclamés dans
une préface de haute fantaisie, « les dignes rivaux de ceux qui
se trouvent à l'Hospice de Beresteyn à Haarlem, et qui, comme
on sait, sont l'objet de la convoitise universelle » ; ces dignes
rivaux n'avaient que le malheur d'être aussi faux que possible ;
— puis la Bonne Trouvaille, une pochade de Hais, provenant de
M. Quarles van Ufford, de Zutphen, et qu'a gravée De Frey; —
authenticité incontestable, mais vulgarité à l'avenant. Le reste
de la vacation était agrémenté de faux Aelbert Cuyp, de
1. n° du 28 avril 1877, pages jjj et 534.
2. « Pour parler franc, le caractère de la collection, dans son ensemble, est simplement déplorable. Après un impartial examen des ouvrages exposés, on est
entraîné à de pénibles réflexions, non pas tant sur la situation de l'art anglais, que sur la condition du goût anglais... La collection n'indique aucune espèce de goût
ni de jugement dignes de ce nom... Ni le propriétaire de la Shandon Collection, ni le possesseur de la Kensington House Gallery ne doivent être considérés comme
exceptionnellement excentriques. Ils sont, à certains égards, des types de deux genres spéciaux de modernes Mécènes, et c'est précisément parce que ce sont des types
et parce que leur goût et leur jugement représentent le goût et le jugement de beaucoup d'autres, qu'il est impossible de ressentir la moindre satisfaction de l'état
actuel de la culture artistique en Angleterre. »