3o8 L'ART.
le Retour du baptême, qu'on a failli prendre pour un tableau populaire alsacien, en dépit ou
peut-être à cause du costume.
Les Italiens et les Espagnols sont aujourd'hui les plus parisiens des peintres. Ils exploitent
avec une virtuosité pimpante l'art qui convient aux boudoirs à la mode. Combien de temps cela
durera-t-il? Chi lo sa? Le plus parisien des Italiens est M. de Nittis, dont le pinceau fin et
coquet, fait pour saisir dans toute sa vivacité élégante le mouvement de Paris, s'est imbibé un
instant des brouillards de Londres. L'influence de ce climat brumeux se trahissait à la droite
de son tableau de cette année : Paris, ■— pu du Pont-Royal, comme si le quai Malaquais était
au bord de la Tamise; en revanche, le Louvre à gauche resplendissait dans une atmosphère
ensoleillée d'une légèreté et d'une gaîté bien parisiennes.
Un Grec, un Grec authentique, un fils de Périclès, Périclès lui-même, M. Périclès Pantazis,
mais non pas un fils d'Apelles. Sa Tête d'étude dénonce un disciple de Courbet.
De tous les groupes d'artistes étrangers qui ont affronté avec une timidité ou une indifférence
regrettable la cohue du Salon de Paris, il en est un seul, le groupe slavo-magyare, qui manifeste
des tendances particulières assez nettement caractérisées pour éveiller dans l'esprit les idées
d'école et de nationalité artistique. Que les Magyares ne nous reprochent pas de les associer aux
Slaves pour lesquels, à en juger par les événements, ils n'éprouvent qu'une médiocre sympathie.
Nous ne parlons pas politique, nous parlons peinture, et si la politique non-seulement sépare les
Slaves des Magyares, mais encore divise les Slaves eux-mêmes, il semble, pour citer un mot de
M. Charles Blanc, que l'art soit appelé à les réconcilier ', qu'ils soient Bohèmes ou Hongrois,
Polonais ou Russes. M. Cermak est un ancien qui doit tout à l'école belge, M. Chlebowski un
nouveau qui doit tout à M. Gérôme, mais depuis M. Brozik, un élève, jusqu'à M. Munckaczy,
un maître, en passant par MM. Bruck-Lajos2, Paczka3, Chelmonski et Harlamoff, tous ces
peintres qui nous viennent de l'Europe orientale se reconnaissent à une certaine communauté
d'aspirations, à certaines analogies de procédés qu'il est assez malaisé de définir, mais qui
sautent aux yeux et qu'on n'oublie pas. Ce n'est pas que cette peinture ait une physionomie
absolument originale et nouvelle. Même en ces kermesses de Pologne ou d'Ukraine, d'où s'échappe
en quelque sorte non pas le parfum mais l'odeur du terroir, comme' si le peintre, M. Chelmonski,
avait trempé son pinceau dans la boisson locale qui enivre ses paysans crottés, comme s'il avait
jeté sur la toile un peu de la boue noirâtre au milieu de laquelle ils s'ébattent et pataugent,
même en ces compositions d'une observation si fortement imprégnée de localité, et qui donnent
l'idée d'un motif de Teniers interprété par un élève de Tourguéneff, on trouve des traces de l'art
de l'Occident. L'Orient slave n'y contredira pas, car quelles que soient ses ambitions, c'est par
l'Occident qu'il se civilise. Il en est de même des autres artistes que nous venons de citer. Cette
peinture a passé par Dusseldorf, Munich et Paris. Et cependant elle donne des preuves d'indivi-
dualité; elle se distingue déjà de l'art qu'elle imite; elle témoigne d'une certaine personnalité par
le tempérament sinon par le faire et le style. L'avenir est peut-être là.
Nous ne disons rien de l'Amérique, et pour cause. Elle existe pourtant, elle a des musées,
des écoles d'art, des artistes. Des collaborateurs compétents4 nous ont dit ses aspirations, ses
efforts, ses succès. Mais Christophe Colomb lui-même ne l'eût pas découverte au Salon de Paris.
Charles Tardieu.
1. Discours de M. Charles Blanc à Anvers, à l'occasion du centenaire de Rubens; voir l'Art, 5" année, tome III, page 250.
2. Voir dans l'Art, }' année, tome II, page 149, le dessin de M. Alex. Brun, d'après le tableau de M. Bruck-Lajos.
j. Voir dans l'Art, )' année, tome IL..page 252, l'eau-forte de M. Charles Waltner, d'après le tableau de M. Paczka, la Consolation.
4. Consulter notamment, dans l'Art, 2' année, tome II, page 169, et tome III, pages 97, 1 j6 et 157, les intéressantes études de M. Horatio
N. Powers sur l'Art en Amérique, et de M. William J. Hoppin, Esquisse d'une histoire de la peinture aux Etats-Unis d'Amérique.
le Retour du baptême, qu'on a failli prendre pour un tableau populaire alsacien, en dépit ou
peut-être à cause du costume.
Les Italiens et les Espagnols sont aujourd'hui les plus parisiens des peintres. Ils exploitent
avec une virtuosité pimpante l'art qui convient aux boudoirs à la mode. Combien de temps cela
durera-t-il? Chi lo sa? Le plus parisien des Italiens est M. de Nittis, dont le pinceau fin et
coquet, fait pour saisir dans toute sa vivacité élégante le mouvement de Paris, s'est imbibé un
instant des brouillards de Londres. L'influence de ce climat brumeux se trahissait à la droite
de son tableau de cette année : Paris, ■— pu du Pont-Royal, comme si le quai Malaquais était
au bord de la Tamise; en revanche, le Louvre à gauche resplendissait dans une atmosphère
ensoleillée d'une légèreté et d'une gaîté bien parisiennes.
Un Grec, un Grec authentique, un fils de Périclès, Périclès lui-même, M. Périclès Pantazis,
mais non pas un fils d'Apelles. Sa Tête d'étude dénonce un disciple de Courbet.
De tous les groupes d'artistes étrangers qui ont affronté avec une timidité ou une indifférence
regrettable la cohue du Salon de Paris, il en est un seul, le groupe slavo-magyare, qui manifeste
des tendances particulières assez nettement caractérisées pour éveiller dans l'esprit les idées
d'école et de nationalité artistique. Que les Magyares ne nous reprochent pas de les associer aux
Slaves pour lesquels, à en juger par les événements, ils n'éprouvent qu'une médiocre sympathie.
Nous ne parlons pas politique, nous parlons peinture, et si la politique non-seulement sépare les
Slaves des Magyares, mais encore divise les Slaves eux-mêmes, il semble, pour citer un mot de
M. Charles Blanc, que l'art soit appelé à les réconcilier ', qu'ils soient Bohèmes ou Hongrois,
Polonais ou Russes. M. Cermak est un ancien qui doit tout à l'école belge, M. Chlebowski un
nouveau qui doit tout à M. Gérôme, mais depuis M. Brozik, un élève, jusqu'à M. Munckaczy,
un maître, en passant par MM. Bruck-Lajos2, Paczka3, Chelmonski et Harlamoff, tous ces
peintres qui nous viennent de l'Europe orientale se reconnaissent à une certaine communauté
d'aspirations, à certaines analogies de procédés qu'il est assez malaisé de définir, mais qui
sautent aux yeux et qu'on n'oublie pas. Ce n'est pas que cette peinture ait une physionomie
absolument originale et nouvelle. Même en ces kermesses de Pologne ou d'Ukraine, d'où s'échappe
en quelque sorte non pas le parfum mais l'odeur du terroir, comme' si le peintre, M. Chelmonski,
avait trempé son pinceau dans la boisson locale qui enivre ses paysans crottés, comme s'il avait
jeté sur la toile un peu de la boue noirâtre au milieu de laquelle ils s'ébattent et pataugent,
même en ces compositions d'une observation si fortement imprégnée de localité, et qui donnent
l'idée d'un motif de Teniers interprété par un élève de Tourguéneff, on trouve des traces de l'art
de l'Occident. L'Orient slave n'y contredira pas, car quelles que soient ses ambitions, c'est par
l'Occident qu'il se civilise. Il en est de même des autres artistes que nous venons de citer. Cette
peinture a passé par Dusseldorf, Munich et Paris. Et cependant elle donne des preuves d'indivi-
dualité; elle se distingue déjà de l'art qu'elle imite; elle témoigne d'une certaine personnalité par
le tempérament sinon par le faire et le style. L'avenir est peut-être là.
Nous ne disons rien de l'Amérique, et pour cause. Elle existe pourtant, elle a des musées,
des écoles d'art, des artistes. Des collaborateurs compétents4 nous ont dit ses aspirations, ses
efforts, ses succès. Mais Christophe Colomb lui-même ne l'eût pas découverte au Salon de Paris.
Charles Tardieu.
1. Discours de M. Charles Blanc à Anvers, à l'occasion du centenaire de Rubens; voir l'Art, 5" année, tome III, page 250.
2. Voir dans l'Art, }' année, tome II, page 149, le dessin de M. Alex. Brun, d'après le tableau de M. Bruck-Lajos.
j. Voir dans l'Art, )' année, tome IL..page 252, l'eau-forte de M. Charles Waltner, d'après le tableau de M. Paczka, la Consolation.
4. Consulter notamment, dans l'Art, 2' année, tome II, page 169, et tome III, pages 97, 1 j6 et 157, les intéressantes études de M. Horatio
N. Powers sur l'Art en Amérique, et de M. William J. Hoppin, Esquisse d'une histoire de la peinture aux Etats-Unis d'Amérique.