LE SALON DE PARIS. 279
aucun jury, encore moins un jury français. Heureusement que vous n'avez que faire de médailles
pour ceux que passionne le vrai mérite; je vous ai entendu louer par trop de gens de goût pour
que vous ayez le moins du monde à regretter de ne pas figurer dans la fournée des récompensés.
Le choix des élus de la gravure est même tellement étrange cette année, qu'à mon sens c'est un
honneur de n'en point faire partie. Que l'on partage mon avis ou non, ce que je puis vous
assurer, c'est que plus d'un membre du jury se mord les doigts du résultat du vote et que
M. Gaucherel entre autres cache aussi peu que possible que l'on a commis à votre égard une
grande injustice. Une verte protestation de sa part n'eût peut-être pas été hors de saison s'il lui
était démontré, — ce qui ne m'est nullement prouvé, — qu'il lui était impossible de faire pencher
la balance de façon plus artistique et partant plus équitable.
Permettez-moi, Monsieur, de vous dédier cette revue des exposants de la gravure en signe
de profonde et sympathique admiration, et de vous encourager à ne vous laisser abattre par
aucune des difficultés de la carrière que vous avez embrassée. Vous êtes trop une organisation
d'élite pour ne pas atteindre glorieusement le but ; votre talent n'en est plus à donner des gages ;
hautement apprécié par les délicats qui en définitive jettent réellement les bases sérieuses de toute
réputation durable, il ne peut tarder à devenir populaire et à vous venger dignement des dédains
d'une coterie.
M. Théophile Chauvel a exposé quatre planches publiées par l'Art, — quatre grands succès
d'après Van Marcke *, Daubigny 2, Diaz 3 et Théodore Rousseau 4.
M. Léon Gaucherel n'avait qu'une seule eau-forte, une grande étude qui sent l'exécution sur
nature — Barques d'Ar romanche s [Calvados) — tant c'est prime-sautier, franc, net, enlevé du
premier coup et d'une étonnante vérité. Un seul reproche, — il y a lieu d'éteindre légèrement la
falaise d'arrière-plan ; elle avance plus que de raison.
M. Waltner ne connaît point de difficultés, si ce n'est pour s'en jouer; sa maestria va même
jusqu'à créer des obstacles, afin de s'amuser à les vaincre. Personne autre que lui n'aurait osé
tenter de traduire l'Infante Marguerite du Louvre comme il l'a délibérément entrepris. L'exécution
des vêtements est le dernier mot de la virtuosité, c'est du Velasquez pur sang. Mais tout en
admirant la prodigieuse finesse apportée à l'exécution de la figure et des mains, je crois que la
différence de procédé contraste d'une manière trop accentuée ; il en résulte un je ne sais quoi
d'un peu cotonneux, surtout dans le visage, qui doit avoir frappé M. Waltner lorsqu'il aura revu
sa planche au Salon ; aussi ne serais-je point surpris qu'il s'opposât à la publication de sa planche
avant qu'il l'ait retouchée.
M. Félix Buhot a un grand sentiment artistique; il jette à souhait sa première impression,
et il n'y a qu'à lui crier : Bravo ! continuez de la sorte ! ■— mais lorsqu'il s'agit d'achever,
l'esprit de suite lui manque souvent, et il lui arrive de compromettre en terminant un succès qui
paraissait assuré. Quant à M. Achille Gilbert, il n'y a qu'à louer — et sans restrictions — son
Philippe Rousseau d'après Dubufe 5 et son Forgeron d'après Vibert. Je voudrais en toute sincérité
pouvoir en dire autant de la grande eau-forte de M. Henri Redlich, de Cracovie, d'après le Ser-
mon de Skarga de son compatriote Matejko, mais je dois me borner à constater qu'elle a obtenu
la première médaille sans parvenir à m'expliquer peu ou prou ce qui a pu la faire décerner à
cette habileté d'une absolue uniformité. Tous ceux qui aiment cette note, cette unique note sans
effet, avaient le bonheur de constituer la majorité du jury. —■ Ce n'est point l'absence de variété
que l'on s'avisera de reprocher à M. Antonio Casanova, — un moderne Goya avec plus de
finesse ; — ses Andalouses pétillent de vie, de brio, d'imprévu ; ce sont des fascinatrices qui
n'ont jamais songé à poser pour la sévérité, même pour la sévérité du dessin. -— On avait affreu-
1. La Falaise. Voir l'Art, 2e année, tome II, page 148.
2. Printemps. Voir l'Art, y année, tome Ier, page 192.
5. Tronc d'arbre. Voir l'Art, j° année, tome I", page 56.
4. La Hutte. Voir l'Art, 20 année, tome IV, page jjj.
5. Voir l'Art, 2° année, tome III, page 72.
aucun jury, encore moins un jury français. Heureusement que vous n'avez que faire de médailles
pour ceux que passionne le vrai mérite; je vous ai entendu louer par trop de gens de goût pour
que vous ayez le moins du monde à regretter de ne pas figurer dans la fournée des récompensés.
Le choix des élus de la gravure est même tellement étrange cette année, qu'à mon sens c'est un
honneur de n'en point faire partie. Que l'on partage mon avis ou non, ce que je puis vous
assurer, c'est que plus d'un membre du jury se mord les doigts du résultat du vote et que
M. Gaucherel entre autres cache aussi peu que possible que l'on a commis à votre égard une
grande injustice. Une verte protestation de sa part n'eût peut-être pas été hors de saison s'il lui
était démontré, — ce qui ne m'est nullement prouvé, — qu'il lui était impossible de faire pencher
la balance de façon plus artistique et partant plus équitable.
Permettez-moi, Monsieur, de vous dédier cette revue des exposants de la gravure en signe
de profonde et sympathique admiration, et de vous encourager à ne vous laisser abattre par
aucune des difficultés de la carrière que vous avez embrassée. Vous êtes trop une organisation
d'élite pour ne pas atteindre glorieusement le but ; votre talent n'en est plus à donner des gages ;
hautement apprécié par les délicats qui en définitive jettent réellement les bases sérieuses de toute
réputation durable, il ne peut tarder à devenir populaire et à vous venger dignement des dédains
d'une coterie.
M. Théophile Chauvel a exposé quatre planches publiées par l'Art, — quatre grands succès
d'après Van Marcke *, Daubigny 2, Diaz 3 et Théodore Rousseau 4.
M. Léon Gaucherel n'avait qu'une seule eau-forte, une grande étude qui sent l'exécution sur
nature — Barques d'Ar romanche s [Calvados) — tant c'est prime-sautier, franc, net, enlevé du
premier coup et d'une étonnante vérité. Un seul reproche, — il y a lieu d'éteindre légèrement la
falaise d'arrière-plan ; elle avance plus que de raison.
M. Waltner ne connaît point de difficultés, si ce n'est pour s'en jouer; sa maestria va même
jusqu'à créer des obstacles, afin de s'amuser à les vaincre. Personne autre que lui n'aurait osé
tenter de traduire l'Infante Marguerite du Louvre comme il l'a délibérément entrepris. L'exécution
des vêtements est le dernier mot de la virtuosité, c'est du Velasquez pur sang. Mais tout en
admirant la prodigieuse finesse apportée à l'exécution de la figure et des mains, je crois que la
différence de procédé contraste d'une manière trop accentuée ; il en résulte un je ne sais quoi
d'un peu cotonneux, surtout dans le visage, qui doit avoir frappé M. Waltner lorsqu'il aura revu
sa planche au Salon ; aussi ne serais-je point surpris qu'il s'opposât à la publication de sa planche
avant qu'il l'ait retouchée.
M. Félix Buhot a un grand sentiment artistique; il jette à souhait sa première impression,
et il n'y a qu'à lui crier : Bravo ! continuez de la sorte ! ■— mais lorsqu'il s'agit d'achever,
l'esprit de suite lui manque souvent, et il lui arrive de compromettre en terminant un succès qui
paraissait assuré. Quant à M. Achille Gilbert, il n'y a qu'à louer — et sans restrictions — son
Philippe Rousseau d'après Dubufe 5 et son Forgeron d'après Vibert. Je voudrais en toute sincérité
pouvoir en dire autant de la grande eau-forte de M. Henri Redlich, de Cracovie, d'après le Ser-
mon de Skarga de son compatriote Matejko, mais je dois me borner à constater qu'elle a obtenu
la première médaille sans parvenir à m'expliquer peu ou prou ce qui a pu la faire décerner à
cette habileté d'une absolue uniformité. Tous ceux qui aiment cette note, cette unique note sans
effet, avaient le bonheur de constituer la majorité du jury. —■ Ce n'est point l'absence de variété
que l'on s'avisera de reprocher à M. Antonio Casanova, — un moderne Goya avec plus de
finesse ; — ses Andalouses pétillent de vie, de brio, d'imprévu ; ce sont des fascinatrices qui
n'ont jamais songé à poser pour la sévérité, même pour la sévérité du dessin. -— On avait affreu-
1. La Falaise. Voir l'Art, 2e année, tome II, page 148.
2. Printemps. Voir l'Art, y année, tome Ier, page 192.
5. Tronc d'arbre. Voir l'Art, j° année, tome I", page 56.
4. La Hutte. Voir l'Art, 20 année, tome IV, page jjj.
5. Voir l'Art, 2° année, tome III, page 72.