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L'ART.
sèment placé les dessins de M. Paul Renouard ; on ne pouvait faire moins pour ses deux fort
remarquables eaux-fortes modestement intitulées : Croquis ; on n'y a pas manqué. En revanche,
on s'est bien gardé d'oublier d'étaler à la cimaise « le Néophyte, eau-forte d'après un tableau du
graveur », car M. Gustave Doré ne saurait se contenter d'être illustrateur, peintre et sculpteur.
Hélas ! on n'imagine rien de plus vieillotin, de plus ennuyeux que son procédé de gravure ; cela
sent le ranci à trente pas ; pas un éditeur de musique qui voulût encore de cette manière pour
ses en-tête de romances ; toutes les figures de cette étrange estampe ont l'air d'être en vieille
pierre rongée ; une seule tête fait exception, celle du novice qui diffère tellement de tout le reste
que, malgré l'extrême bonne volonté que j'y ai apportée, je ne suis jamais parvenu à reconnaître
là la même main d'exécutant; je me trompe sans doute, et si ce novice semble seul être en chair
humaine, c'est que M. Doré, graveur, inaugure par lui une seconde manière, — la bonne. C'est
à celle-là que ferait bien aussi de se tenir M. Alfred Briend, dont le Michel-Ange d'après
M. Beer a très-grand caractère, tandis que son Officier de uhlans d'après M. de Neuville et son
Cuirassier au repos d'après M. Détaille ne sont que des images. M. Lehnert, lui, n'a pas à
abandonner une voie pour l'autre ; il n'a qu'à persévérer dans celle qu'il suit exclusivement et qui
est en tous points excellente. Ses quinze eaux-fortes : Espèce boi'ine, races étrangères, et ses
douze autres : Espèce bovine, races françaises, sont fort bien traitées, d'une manière savante et
libre qui rappelle les anciens maîtres, mais ne les copie pas. — M. Charbonnel n'est guère un
heureux traducteur d'autrui ; sa Respha n'est autre chose que le massacre de la grande toile de
M. G. Becker, mais quand il s'interprète lui-même, il ne s'égare pas de la sorte; il y a une
certaine individualité dans ses reproductions de ses propres tableaux. — Les douze pointes sèches
de M. Desboutin ont un extrême attrait artistique; ces croquis sont l'œuvre d'un très-habile
dessinateur. — La Jetée d'Erquy avait porté bonheur à M. Henri Saintin aquarelliste; l'aqua-
fortiste n'a pas été moins bien inspiré par l'Anse d'Erquy, comme pourront en juger les lecteurs
de l'Art qui a acquis cette planche d'une si franche venue et d'un très-joli effet.
J'ai peine à m'expliquer comment un artiste de la très-sérieuse valeur de M. Paul Rajon se
perd dans la recherche de détails, — voir son estampe d'après l'Empereur Claude de M. Alma-
Tadema, — à qui il attribue des valeurs presque toutes égales et qui, s'ils ne tuent pas
l'ensemble, lui nuisent énormément; ajoutez à cela que plus d'un de ces détails pris en particulier
n'est pas juste du tout, malgré les soins excessifs dont il est l'objet, témoin le marbre à droite
qui ne ressemble nullement à du marbre. M. Rajon se recommande beaucoup mieux par son
Sir Joshua Reynolds de la National G aller y ; s'attaquer à Lord Heathûeld après Earlom, ne laissait
pas que d'être audacieux. M. Rajon a eu l'audace heureuse. Les raffinés continueront cependant
à préférer sa planche d'après G. Reid, qui demeure son œuvre maîtresse.
M. Alfred Brunet-Debaines inspire trop de sympathie pour lui farder la vérité que l'on
préfère entendre sans détours quand on est aussi bien doué que lui. Depuis qu'il traduit de la
peinture anglaise, sa très-grande habileté a dégénéré en une uniformité de procédé qui lui fait,
sans qu'il s'en doute, friser la mollesse, erreur d'autant plus regrettable que personne n'est moins
mou que Constable dont la Ferme de la vallée est précisément un modèle de variété puissante,
tandis que l'eau-forte a un faux air de gravure à l'estompe vraiment fâcheux. Quant aux neuf
aqua-tinte d'après des croquis de Turner, ce sont neuf erreurs dans lesquelles il ne faut pas
retomber. Cela ne rend pas Turner du tout.
La Mort de Manon Lescaut de M. Charles Deblois est une jolie préparation d'après
M. James Bertrand ; les blancs sont très-bien, mais cela demande à être achevé. — Le Van
Goyefl, — Bords de l'YsseV, — de M. Gustave Greux est excellentissime ainsi que sa Plaine de
Haarlem d'après Philip De Koninck, et son Pettenkoffen, — Charrette de volontaires hongrois, —
est aussi consciencieux que spirituel. — Un aquafortiste qui nous arrive d'Italie, M. Alberto
Gilli a débuté par un coup d'éclat; son Salvator Rosa est la très-belle gravure d'un bien mauvais
tableau; M. Gilli manie la pointe avec une crânerie extraordinaire; on l'avait juché hospitalière-
l. Voir l'Art, i< année, tome II, page 512.
L'ART.
sèment placé les dessins de M. Paul Renouard ; on ne pouvait faire moins pour ses deux fort
remarquables eaux-fortes modestement intitulées : Croquis ; on n'y a pas manqué. En revanche,
on s'est bien gardé d'oublier d'étaler à la cimaise « le Néophyte, eau-forte d'après un tableau du
graveur », car M. Gustave Doré ne saurait se contenter d'être illustrateur, peintre et sculpteur.
Hélas ! on n'imagine rien de plus vieillotin, de plus ennuyeux que son procédé de gravure ; cela
sent le ranci à trente pas ; pas un éditeur de musique qui voulût encore de cette manière pour
ses en-tête de romances ; toutes les figures de cette étrange estampe ont l'air d'être en vieille
pierre rongée ; une seule tête fait exception, celle du novice qui diffère tellement de tout le reste
que, malgré l'extrême bonne volonté que j'y ai apportée, je ne suis jamais parvenu à reconnaître
là la même main d'exécutant; je me trompe sans doute, et si ce novice semble seul être en chair
humaine, c'est que M. Doré, graveur, inaugure par lui une seconde manière, — la bonne. C'est
à celle-là que ferait bien aussi de se tenir M. Alfred Briend, dont le Michel-Ange d'après
M. Beer a très-grand caractère, tandis que son Officier de uhlans d'après M. de Neuville et son
Cuirassier au repos d'après M. Détaille ne sont que des images. M. Lehnert, lui, n'a pas à
abandonner une voie pour l'autre ; il n'a qu'à persévérer dans celle qu'il suit exclusivement et qui
est en tous points excellente. Ses quinze eaux-fortes : Espèce boi'ine, races étrangères, et ses
douze autres : Espèce bovine, races françaises, sont fort bien traitées, d'une manière savante et
libre qui rappelle les anciens maîtres, mais ne les copie pas. — M. Charbonnel n'est guère un
heureux traducteur d'autrui ; sa Respha n'est autre chose que le massacre de la grande toile de
M. G. Becker, mais quand il s'interprète lui-même, il ne s'égare pas de la sorte; il y a une
certaine individualité dans ses reproductions de ses propres tableaux. — Les douze pointes sèches
de M. Desboutin ont un extrême attrait artistique; ces croquis sont l'œuvre d'un très-habile
dessinateur. — La Jetée d'Erquy avait porté bonheur à M. Henri Saintin aquarelliste; l'aqua-
fortiste n'a pas été moins bien inspiré par l'Anse d'Erquy, comme pourront en juger les lecteurs
de l'Art qui a acquis cette planche d'une si franche venue et d'un très-joli effet.
J'ai peine à m'expliquer comment un artiste de la très-sérieuse valeur de M. Paul Rajon se
perd dans la recherche de détails, — voir son estampe d'après l'Empereur Claude de M. Alma-
Tadema, — à qui il attribue des valeurs presque toutes égales et qui, s'ils ne tuent pas
l'ensemble, lui nuisent énormément; ajoutez à cela que plus d'un de ces détails pris en particulier
n'est pas juste du tout, malgré les soins excessifs dont il est l'objet, témoin le marbre à droite
qui ne ressemble nullement à du marbre. M. Rajon se recommande beaucoup mieux par son
Sir Joshua Reynolds de la National G aller y ; s'attaquer à Lord Heathûeld après Earlom, ne laissait
pas que d'être audacieux. M. Rajon a eu l'audace heureuse. Les raffinés continueront cependant
à préférer sa planche d'après G. Reid, qui demeure son œuvre maîtresse.
M. Alfred Brunet-Debaines inspire trop de sympathie pour lui farder la vérité que l'on
préfère entendre sans détours quand on est aussi bien doué que lui. Depuis qu'il traduit de la
peinture anglaise, sa très-grande habileté a dégénéré en une uniformité de procédé qui lui fait,
sans qu'il s'en doute, friser la mollesse, erreur d'autant plus regrettable que personne n'est moins
mou que Constable dont la Ferme de la vallée est précisément un modèle de variété puissante,
tandis que l'eau-forte a un faux air de gravure à l'estompe vraiment fâcheux. Quant aux neuf
aqua-tinte d'après des croquis de Turner, ce sont neuf erreurs dans lesquelles il ne faut pas
retomber. Cela ne rend pas Turner du tout.
La Mort de Manon Lescaut de M. Charles Deblois est une jolie préparation d'après
M. James Bertrand ; les blancs sont très-bien, mais cela demande à être achevé. — Le Van
Goyefl, — Bords de l'YsseV, — de M. Gustave Greux est excellentissime ainsi que sa Plaine de
Haarlem d'après Philip De Koninck, et son Pettenkoffen, — Charrette de volontaires hongrois, —
est aussi consciencieux que spirituel. — Un aquafortiste qui nous arrive d'Italie, M. Alberto
Gilli a débuté par un coup d'éclat; son Salvator Rosa est la très-belle gravure d'un bien mauvais
tableau; M. Gilli manie la pointe avec une crânerie extraordinaire; on l'avait juché hospitalière-
l. Voir l'Art, i< année, tome II, page 512.