LA CONSERVATION DES MONUMENTS HISTORIQUES.
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lacune importante dans notre législation en assurant la conser-
vation de tous ces pre'cieux débris et en établissant la responsa-
bilité des autorités locales, en cas d'infractions aux prescriptions
indiquées.
Comme il arrive en presque toutes choses, nous nous
sommes laissé devancer dans cette question de législation artis-
tique et archéologique par toutes les autres nations. En 1873,
le sénat italien a adopté un projet de loi présenté en 1872 par
M. Correnti, ministre de l'instruction publique, dont les disposi-
tions sont très-sévères. En voici les principales :
Tous les édifices remarquables par leur valeur au point de
vue de l'art ou par leur caractère historique, les ruines antiques,
les objets d'art, les inscriptions historiques appartenant aux
communes, aux provinces et à d'autres personnes morales sont
placés sous la surveillance de l'Etat. Tous les objets d'art et d'an-
tiquité, les inscriptions historiques doivent être maintenus dans
les lieux où ils se trouvent lorsqu'ils sont exposés publiquement
d'une manière permanente, même dans des édifices de propriété
privée. Ee ministre peut provoquer l'acquisition de ces objets
par voie d'expropriation pour cause d'utilité publique, si le pro-
priétaire dans son intérêt personnel en demande le déplace-
ment.
Il est absolument défendu de détruire, dégrader ou altérer
pour aucun motif, même dans le but de faire des réparations ou
des restaurations, les objets d'art et d'antiquité, les édifices, les
ruines monumentales, quand même ils appartiendraient à des
particuliers ou se trouveraient dans une propriété privée.
E'exportation à l'étranger des objets d'antiquité et objets
d'art d'auteurs non vivants et de tous objets pouvant convenir à
un musée artistique ou archéologique ne peut être faite sans
l'autorisation du ministre de l'instruction publique. Ee droit de
préemption est réservé au gouvernement. Le prix d'acquisition
est déterminé par deux experts nommés chacun par une des par-
ties, et en cas de dissentiment par un troisième expert ou par le
président du tribunal civil du lieu. Pour transporter dans l'inté-
rieur du royaume, d'un lieu à l'autre, les objets d'art et d'anti-
quité mobiliers, il est exigé une autorisation du préfet qui doit
prendre préalablement l'avis des commissions conservatrices
instituées dans chaque province pour veiller à l'observation de
la loi en question. Aucune vente, aliénation même à l'intérieur
du royaume ne peut être faite par les administrateurs d'églises
ou autres personnes morales, sans l'autorisation du ministre de
l'instruction publique. Le gouvernement peut acquérir par voie
d'expropriation pour cause d'utilité publique le terrain sur
lequel il se trouve des monuments ou ruines dont le propriétaire
ne veut pas s'engager à garantir la garde et l'entretien. Toute
contravention est punie d'une amende de 500 a 3,000 lires, à
laquelle les tribunaux peuvent ajouter la confiscation ou le
payement d'une indemnité.
On pourra s'étonner de la sévérité de cette loi, mais, comme
le disait avec raison le rapporteur de la commission sénatoriale
chargée de son examen, M. Miraglia, l'intérêt de l'État est avant
tout de veiller à la conservation des monuments précieux de
l'art et de l'antiquité ; il doit y veiller soigneusement et son
intervention dans tout ce qui compose le grand patrimoine de
la nation est parfaitement légitime. De cet intérêt d'un ordre si
élevé, il résulte qu'en principe l'Etat a seul le pouvoir d'entre-
prendre les restaurations, les changements de place, les travaux
quels qu'ils soient, et qu'il a pour devoir non-seulement de con-
server les monuments antiques pour l'éducation et le progrès
des études, mais encore de réprimer et de punir les tentatives
de vandalisme.
La Grèce a interdit l'exportation de tout objet d'art ou
d'antiquité. En Suède, en Danemark, en Nonvége, des lois
sévères défendent de vendre à des particuliers et même de gar-
der les objets ayant un intérêt archéologique quelconque ; celui
qui en a fait la découverte doit les offrir à l'État.
Il y a peu de temps, la chambre des députés de Nonvége a
mis en état d'accusation deux ministres accusés d'avoir vendu
une église classée comme monument historique. Les chambres
austro-hongroises ont voté récemment une loi pour empêcher
la destruction et l'exportation à l'étranger des monuments et
des objets d'art présentant un intérêt historique. Le gouverne-
ment espagnol a pris de son côté des dispositions analogues. En
résumé presque tous les États de l'Europe sont en mesure d'as-
surer d'une manière efficace la conservation de leurs richesses
artistiques et archéologiques. Cette question est d'une telle im-
portance qu'elle a été même dans l'antiquité l'objet de disposi-
tions législatives et d'institutions particulières. A Rome, sous les
empereurs, un magistrat, cornes nitentium rerutn, était spécia-
lement chargé de veiller à la conservation des objets d'art. Une
loi fut promulguée, dans les premiers siècles de l'Église, pour
mettre obstacle au zèle inconsidéré des chrétiens et empêcher
la destruction complète de.tous les monuments de l'antiquité
profane.
Théodoric institua également des charges pour la conservation
et la restauration des constructions antiques les plus célèbres.
Sous les règnes de Vespasien et d'Adrien furent rendus deux
sénatus-consultes ayant pour objet de pourvoir à la conserva-
tion des marbres, statues, bronzes, tableaux et bibliothèques. Le
texte du dernier nous a été conservé par Ulpien. Ce document
est très-développé et les dispositions qu'il contient sont très-
sévères. Il était défendu, tant à Rome que dans les autres villes,
de détacher des édifices publics et privés, pour les vendre, les
marbres, colonnes et autres ornements précieux. Et pour la
même raison d'utilité publique, il était défendu d'en disposer à
titre particulier et de les séparer des édifices dont ils faisaient
partie intégrante. Il n'était permis au propriétaire d'enlever ces
objets des édifices où ils se trouvaient que lorsqu'il se proposait
d'en faire don à la commune ou pour les transporter dans un
autre édifice lui appartenant.
Le gouvernement pontifical eut le premier entre tous les
États de la péninsule l'honneur de remettre en vigueur ces dis-
positions du droit romain. En 1602, en Toscane, une loi était
édictée, qui interdisait la sortie des objets d'art de Florence.
Pareille interdiction faisait en 1755, à Naples, l'objet d'un édit
royal. Tous les autres gouvernements de la péninsule suivirent
cet exemple, et lorsque la question fut portée devant le Sénat
italien, en 1872, l'opinion publique était depuis longtemps
formée à cet égard et il ne s'agissait plus que d'accomplir un
simple travail d'unification de toutes ces lois particulières qui
pouvaient varier quant à la forme, mais qui toutes poursuivant
le même but étaient semblables pour le fond."
Le corollaire indispensable et urgent de la loi sur la con-
servation des monuments historiques est la constitution rapide
d'un inventaire général des richesses artistiques de la France.
Ce travail immense est commencé, grâce à l'activité de M. le
marquis de Chennevières, directeur des beaux-arts, qui, à défaut
de l'honneur de l'initiative de cette œuvre, aura du moins celui
d'en avoir poursuivi infatigablement l'entreprise.
D'aucuns ont réclamé pour M. Galichon, le savant et
regretté directeur de la Galette des beaux-arts, la gloire
posthume de cette idée. De son côté, dans son discours prononcé
cette année à la réunion des sociétés savantes à la Sorbonne,
M. de Chennevières, prenant date pour 1856, en revendique
pour lui-même la priorité. Nous mettrons tout le monde d'accord
en attribuant cette gloire à la commission des monuments insti-
tuée par la Convention, qui a non-seulement la première émis
l'idée, mais donné l'ordre d'exécuter un inventaire général des
richesses artistiques de la France. Le même travail, en outre, a
fait l'objet d'une disposition particulière dans un édit du cardinal
Pacca, camerlingue du Saint-Siège, publié le 7 avril 1820. Ren-
dons à César ce qui est à César. M. de Chennevières ne saurait
s'offenser de cette réclamation, que nous faisons uniquement
pour rectifier un point d'histoire artistique. Il ne s'agit point
seulement d'avoir d'excellentes idées, il faut, pour en revendi-
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lacune importante dans notre législation en assurant la conser-
vation de tous ces pre'cieux débris et en établissant la responsa-
bilité des autorités locales, en cas d'infractions aux prescriptions
indiquées.
Comme il arrive en presque toutes choses, nous nous
sommes laissé devancer dans cette question de législation artis-
tique et archéologique par toutes les autres nations. En 1873,
le sénat italien a adopté un projet de loi présenté en 1872 par
M. Correnti, ministre de l'instruction publique, dont les disposi-
tions sont très-sévères. En voici les principales :
Tous les édifices remarquables par leur valeur au point de
vue de l'art ou par leur caractère historique, les ruines antiques,
les objets d'art, les inscriptions historiques appartenant aux
communes, aux provinces et à d'autres personnes morales sont
placés sous la surveillance de l'Etat. Tous les objets d'art et d'an-
tiquité, les inscriptions historiques doivent être maintenus dans
les lieux où ils se trouvent lorsqu'ils sont exposés publiquement
d'une manière permanente, même dans des édifices de propriété
privée. Ee ministre peut provoquer l'acquisition de ces objets
par voie d'expropriation pour cause d'utilité publique, si le pro-
priétaire dans son intérêt personnel en demande le déplace-
ment.
Il est absolument défendu de détruire, dégrader ou altérer
pour aucun motif, même dans le but de faire des réparations ou
des restaurations, les objets d'art et d'antiquité, les édifices, les
ruines monumentales, quand même ils appartiendraient à des
particuliers ou se trouveraient dans une propriété privée.
E'exportation à l'étranger des objets d'antiquité et objets
d'art d'auteurs non vivants et de tous objets pouvant convenir à
un musée artistique ou archéologique ne peut être faite sans
l'autorisation du ministre de l'instruction publique. Ee droit de
préemption est réservé au gouvernement. Le prix d'acquisition
est déterminé par deux experts nommés chacun par une des par-
ties, et en cas de dissentiment par un troisième expert ou par le
président du tribunal civil du lieu. Pour transporter dans l'inté-
rieur du royaume, d'un lieu à l'autre, les objets d'art et d'anti-
quité mobiliers, il est exigé une autorisation du préfet qui doit
prendre préalablement l'avis des commissions conservatrices
instituées dans chaque province pour veiller à l'observation de
la loi en question. Aucune vente, aliénation même à l'intérieur
du royaume ne peut être faite par les administrateurs d'églises
ou autres personnes morales, sans l'autorisation du ministre de
l'instruction publique. Le gouvernement peut acquérir par voie
d'expropriation pour cause d'utilité publique le terrain sur
lequel il se trouve des monuments ou ruines dont le propriétaire
ne veut pas s'engager à garantir la garde et l'entretien. Toute
contravention est punie d'une amende de 500 a 3,000 lires, à
laquelle les tribunaux peuvent ajouter la confiscation ou le
payement d'une indemnité.
On pourra s'étonner de la sévérité de cette loi, mais, comme
le disait avec raison le rapporteur de la commission sénatoriale
chargée de son examen, M. Miraglia, l'intérêt de l'État est avant
tout de veiller à la conservation des monuments précieux de
l'art et de l'antiquité ; il doit y veiller soigneusement et son
intervention dans tout ce qui compose le grand patrimoine de
la nation est parfaitement légitime. De cet intérêt d'un ordre si
élevé, il résulte qu'en principe l'Etat a seul le pouvoir d'entre-
prendre les restaurations, les changements de place, les travaux
quels qu'ils soient, et qu'il a pour devoir non-seulement de con-
server les monuments antiques pour l'éducation et le progrès
des études, mais encore de réprimer et de punir les tentatives
de vandalisme.
La Grèce a interdit l'exportation de tout objet d'art ou
d'antiquité. En Suède, en Danemark, en Nonvége, des lois
sévères défendent de vendre à des particuliers et même de gar-
der les objets ayant un intérêt archéologique quelconque ; celui
qui en a fait la découverte doit les offrir à l'État.
Il y a peu de temps, la chambre des députés de Nonvége a
mis en état d'accusation deux ministres accusés d'avoir vendu
une église classée comme monument historique. Les chambres
austro-hongroises ont voté récemment une loi pour empêcher
la destruction et l'exportation à l'étranger des monuments et
des objets d'art présentant un intérêt historique. Le gouverne-
ment espagnol a pris de son côté des dispositions analogues. En
résumé presque tous les États de l'Europe sont en mesure d'as-
surer d'une manière efficace la conservation de leurs richesses
artistiques et archéologiques. Cette question est d'une telle im-
portance qu'elle a été même dans l'antiquité l'objet de disposi-
tions législatives et d'institutions particulières. A Rome, sous les
empereurs, un magistrat, cornes nitentium rerutn, était spécia-
lement chargé de veiller à la conservation des objets d'art. Une
loi fut promulguée, dans les premiers siècles de l'Église, pour
mettre obstacle au zèle inconsidéré des chrétiens et empêcher
la destruction complète de.tous les monuments de l'antiquité
profane.
Théodoric institua également des charges pour la conservation
et la restauration des constructions antiques les plus célèbres.
Sous les règnes de Vespasien et d'Adrien furent rendus deux
sénatus-consultes ayant pour objet de pourvoir à la conserva-
tion des marbres, statues, bronzes, tableaux et bibliothèques. Le
texte du dernier nous a été conservé par Ulpien. Ce document
est très-développé et les dispositions qu'il contient sont très-
sévères. Il était défendu, tant à Rome que dans les autres villes,
de détacher des édifices publics et privés, pour les vendre, les
marbres, colonnes et autres ornements précieux. Et pour la
même raison d'utilité publique, il était défendu d'en disposer à
titre particulier et de les séparer des édifices dont ils faisaient
partie intégrante. Il n'était permis au propriétaire d'enlever ces
objets des édifices où ils se trouvaient que lorsqu'il se proposait
d'en faire don à la commune ou pour les transporter dans un
autre édifice lui appartenant.
Le gouvernement pontifical eut le premier entre tous les
États de la péninsule l'honneur de remettre en vigueur ces dis-
positions du droit romain. En 1602, en Toscane, une loi était
édictée, qui interdisait la sortie des objets d'art de Florence.
Pareille interdiction faisait en 1755, à Naples, l'objet d'un édit
royal. Tous les autres gouvernements de la péninsule suivirent
cet exemple, et lorsque la question fut portée devant le Sénat
italien, en 1872, l'opinion publique était depuis longtemps
formée à cet égard et il ne s'agissait plus que d'accomplir un
simple travail d'unification de toutes ces lois particulières qui
pouvaient varier quant à la forme, mais qui toutes poursuivant
le même but étaient semblables pour le fond."
Le corollaire indispensable et urgent de la loi sur la con-
servation des monuments historiques est la constitution rapide
d'un inventaire général des richesses artistiques de la France.
Ce travail immense est commencé, grâce à l'activité de M. le
marquis de Chennevières, directeur des beaux-arts, qui, à défaut
de l'honneur de l'initiative de cette œuvre, aura du moins celui
d'en avoir poursuivi infatigablement l'entreprise.
D'aucuns ont réclamé pour M. Galichon, le savant et
regretté directeur de la Galette des beaux-arts, la gloire
posthume de cette idée. De son côté, dans son discours prononcé
cette année à la réunion des sociétés savantes à la Sorbonne,
M. de Chennevières, prenant date pour 1856, en revendique
pour lui-même la priorité. Nous mettrons tout le monde d'accord
en attribuant cette gloire à la commission des monuments insti-
tuée par la Convention, qui a non-seulement la première émis
l'idée, mais donné l'ordre d'exécuter un inventaire général des
richesses artistiques de la France. Le même travail, en outre, a
fait l'objet d'une disposition particulière dans un édit du cardinal
Pacca, camerlingue du Saint-Siège, publié le 7 avril 1820. Ren-
dons à César ce qui est à César. M. de Chennevières ne saurait
s'offenser de cette réclamation, que nous faisons uniquement
pour rectifier un point d'histoire artistique. Il ne s'agit point
seulement d'avoir d'excellentes idées, il faut, pour en revendi-