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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 3)

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Soldi, Émile: L' art Khmer, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.18609#0053

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4o L'ART.

des Orientaux, unie au goût délicat du Khmer et au fini précieux de l'artiste indou. L'allée qui
conduit à la porte khmer consiste en une longue chaussée, pont gigantesque traversant le fossé
qui entoure la citadelle. Le parapet de cette chaussée est formé par un alignement formidable de
plus de cinquante géants (Yacksas) portant comme un cordon le divin serpent (Nagas) dont
l'énorme tête heptacéphalique tenue par un Nagas polycéphale se déploie, se redresse comme un
éventail, et forme une immense courbe de cinq mètres de hauteur du plus majestueux effet.
A chaque côté de l'entrée du pont, encadrée dans cette perspective solennelle, apparaît la porte
monumentale, véritable arc triomphal, qui sert d'entrée à la citadelle. 11 semble que tout
l'Olympe bouddhique, toutes les divinités hybrides, tous les habitants de la ville se soient
rassemblés, aient escaladé toutes les parties de l'immense portique. Au fronton : la guerre, la
poursuite de l'ennemi sur la terre et dans les airs, les dieux et les hommes se confondent dans
la mêlée.

Les côtés de la porte sont flanqués de douze éléphants montés par des divinités ; sur tous les
murs sont sculptés des combats contre les monstres, des apparitions surnaturelles, un monde de
statues, de bas-reliefs, d'ornements. Au-dessus de cet ensemble, apparaissent d'immenses têtes de
Bouddha, dont les tiares dentelées représentent trois tours aux sommets dorés. Le tout forme une
entrée merveilleuse, d'une architecture aussi puissante que gracieuse, où les profusions sculptu-
rales se lient avec la sévérité de l'architecture, dont le détail est aussi admirable que
l'ensemble.

Partout la grâce s'allie à la force, la grandeur à la douceur. Il semble que, comme dans les
cent mille distiques du Mahabharata — l'immense poème religieux dont il est l'expression — l'art
khmer est accumulé dans un immense pandémonium architectural. Les globes qui habitent le
paradis d'Indra, tenus en échec par la main caressante d'un enfant, l'avalanche des mille chars
de guerre et toutes les épouvantes sont arrêtés court à la vue d'une Devadassy souriante et sortant
de la fleur d'un lotus.

Tout étrange que paraît la conception de ce monument, on y reconnaît instantanément une
science supérieure d'art et d'architecture, v une imagination, un foyer d'idées d'une telle richesse
que l'art cambodgien pourrait largement en fournir à bien d'autres pays que l'on considère comme
supérieurs.

On a parfois comparé avec raison les monuments de l'Inde, surchargés de sculptures, aux
façades de nos cathédrales gothiques, où la Trinité et tous les saints du ciel et de la terre, les
démons, les anges et les archanges, le roi et l'esclave, se superposent, s'amoncellent et s'encadrent
dans des lignes voulues. De même dans la porte d'Angkor, les tours, les figures, l'ornementation
excessive, la richesse inouïe, insensée, rappellent nos plus beaux monuments du xme siècle.

Seulement tous les avantages sont pour l'art du Cambodge, car celui-ci n'a pas à traduire
les sévères légendes de la féodalité, mais des aventures souvent aussi gracieuses et aussi légères
que celles des mythes grecs. L'artiste cambodgien, qui possède une pierre d'un grain tendre et
fin, une habileté d'outils, une dextérité de main incomparables, excelle dans ce détail si délicat
et si plein de charme qui rappelle notre Renaissance. Au milieu de la porte d'Angkor s'épanouit
le sourire de Bouddha, son grand masque bienveillant est entouré de jeunes filles qui jettent des
fleurs. L'art qu'il a enfanté est lui-même une immense floraison, une luxuriante verdure; il est
apparu et a disparu avec le peuple khmer comme une suite de bouquets et de gerbes d'artifices
apparaissent dans les airs, se répandent de tous côtés, et s'évanouissent comme dans un
enchantement. L'art du moyen âge s'était révélé de même instantanément; seulement, né dans les
larmes et l'angoisse, son rayonnement eut un éclat sombre comme ses vitraux. L'art khmer
ressuscite aujourd'hui, mais avec le charme de tous les arts de l'Orient, en rappelant et en
présentant tout ce qui est magique, les fleurs, la jeunesse, l'imagination, la grâce naïve, la
richesse et le sourire !

Émii.e Soldi.

(La suite prochainement.)
 
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