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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 3)

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Hugonnet, Leon: L' Orient au Salon de 1880
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https://doi.org/10.11588/diglit.18609#0215

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L'ORIENT AU SALON DE 1880

'ai souvent rencontré, dans mes voyages,
des hommes du Nord qui, à l'exemple
de Byron, n'attachaient qu'une impor-
tance secondaire aux œuvres d'art. Pré-
férant de'penser leur fortune pour aller
à la recherche du beau dans la nature,
ils se contentaient du bonheur d'admirer
successivement les sites pittoresques, les
monuments remarquables et les types
les plus parfaits des différentes races du globe. Pour eux, l'art
n'était bon qu'à former le goût de ceux qui n'ont pas le loisir
de contempler la réalité, Encore trouvaient-ils qu'il remplit
fort mal sa mission, car souvent les artistes entreprennent de
montrer aux autres des choses qu'ils n'ont pas vues eux-mêmes
et qui sont souvent plus belles que leurs peintures.

Cette manière de juger me semble un peu paradoxale. Mais
elle contient cependant une certaine dose de vérité dont les
artistes feraient bien de profiter. Pour moi, la mission de l'art
ne consiste pas uniquement à nous montrer ce que nous con-
naissons déjà, en faisant ressortir les beautés qui échappent au
vulgaire, mais encore à nous faire voir l'image des choses que
nous sommes dans l'impossibilité d'aller admirer nous-mêmes.
Mais pour cela, beaucoup de conscience et d'exactitude sont
nécessaires. J'admets, en outre, la fantaisie pure, mais à la con-
dition que la fiction ne forme pas un mélange choquant avec la
réalité et que les genres ne soient pas confondus. Sans doute l'art
n'est pas de la science, mais il ne doit pas se trouver en con-
tradiction avec elle. C'est surtout en géographie et en ethnologie
que le savoir des artistes est souvent insuffisant. Parfois, à la
vue de certains tableaux, on éprouve un chagrin aussi vif que le
lecteur des splendides Orientales d'Hugo, lorsqu'il rencontre des
erreurs dans le genre des éléphants et des palmiers de Smyrne,

Un reproche que l'on a rarement l'occasion d'adresser à un
artiste, c'est celui d'être trop consciencieux. M. Heill cependant
n'en mérite pas d'autres. Mais l'excès a toujours ses inconvé-
nients. En voyant sa Jeune fille lisant le Coran, la plupart des
visiteurs la prennent pour une Japonaise et ils sont fort surpris
de lire dans le catalogue qu'elle est Turque. Le costume et la
forme des yeux expliquent cette erreur. M. Heill connaît l'Orient
et il peint avec goût, mais je l'engagerais, pour éviter toute
méprise de la part du public, à choisir des modèles se rappro-
chant davantage du type dominant dans une race. Je sais bien
que la réalité n'offre que des exceptions. Mais au milieu de la
grande agglomération constantinopolitaine, tant de peuples
divers se sont mélangés que les types trop caractérisés ont fini
par disparaître. Les croisements opérés dans les harems, et l'uni-
formité du genre de vie que mènent les femmes qui sortent peu
et ne travaillent pas, leur a fait perdre les formes sculpturales
des filles d'Asie Mineure. Elles ont quelque ressemblance avec
les Parisiennes et les femmes de toutes les grandes capitales,
avec cette particularité que l'usage du voile leur conserve un
teint très blanc. La jeune fille de M. Heill a la figure un peu
trop colorée et ses yeux ne sont pas vraisemblables. On sait que
le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable. C'est bien le
cas. A part cela tout le reste est irréprochable.

Beaucoup d'autres peintres ont des défauts plus graves. La
plupart de ceux qui parcourent l'Orient, en touristes, ne tra-
vaillent pas, dans ce pays, en présence des modèles, ils se con-
tentent de collectionner des armes, des costumes, des bibelots,
des photographies ; ils rapportent des croquis, mais n'ayant
étudié ni les mœurs ni les langues, ils composent, en se servant
de modèles parisiens, des scènes inexactes. Comme exemple, je
puis citer la Danse dans un café au Caire, de M. Baugnies.
Parmi les personnages, il y en a un qui porte le burnous rouge

du sphinx en granit, etc. Dans le jardin de l'art, il n'y a pas de des spahis algériens, inconnu en Egypte. Un autre fume dans

fruit défendu. L'artiste peut prendre ses sujets où il l'entend et
je ne refuse pas de me placer à son point de vue; mais il serait
bon de déterminer les domaines respectifs de la fantaisie et de
la réalité. Un peintre a parfaitement le droit d'imaginer une
conception quelconque, pourvu qu'il ne nous présente pas son
invention comme l'image d'un objet auquel il ne ressemble
nullement. Trop souvent j'ai eu occasion de me rappeler l'étu-
diant dont parle la romance espagnole et qui, voulant peindre
la lune, était tellement tourmenté parla faim, qu'il peignait un
pain de munition.

Je vais examiner rapidement quelques-unes des œuvres du
Salon, non pour en faire la description, mais pour montrer en
quoi la manière de procéder propre à quelques artistes me
semble parfois défectueuse. Si je choisis mes exemples parmi les
tableaux destinés à nous faire connaître l'Orient, c'est parce que
les contrées ensoleillées sont plus particulièrement connues de
moi et que le principe de la division du travail me semble
excellent.

Les orientalistes qui n'ont jamais quitté Paris feraient bien
de se contenter de peindre modestement des natures mortes.
C'est ce qu'ont fait MM. Jourdeuil et Martin pour leurs tableaux
intitulés : Armes orientales et Chej un orientaliste. Le second
surtout a reproduit, avec une grande exactitude et un soin mi-
nutieux, ces objets d'un transport facile qui constituent tout
l'Orient des ateliers parisiens et dont chacun peut vérifier la
ressemblance. Ils ont rendu consciencieusement la seule chose
qui soit vraie dans les tableaux de la plupart de leurs confrères,
et sans avoir la prétention de mettre ces accessoires à la place
qu'ils occupent dans la vie réelle et de nous en expliquer
l'usage.

un magnifique calion persan, semblable à ceux que l'on peut
acheter au Palais-Royal, mais absolument introuvable au Caire.
Le modeste narghilé des fellahs se compose d'une boule remplie
d'eau et munie de deux roseaux. Au milieu de son tableau,
M . Baugnies a placé une gaouasi (danseuse), qu'il ne faut pas
confondre, comme on le fait généralement, avec les Aimées
(chanteuses). Je dois ajouter qu'elle ne ressemble nullement à
celles du Caire; ni son costume, ni ses bijoux, ni ses traits ni les
tons violacés de sa peau ne sont égyptiens. Enfin, jamais les dan-
seuses d'Égypte ne font vis-à-vis à un homme. Les deux sexes
dansent séparément. Le Joueur de flûte de M. Baugnies oublie
que son rôle doit se borner à accompagner. Il a également
l'habitude de se coiffer d'un bonnet de feutre blanc, semblable
à celui des Mirdites albanais, mais très différent de celui des
fellahs.

M. Bonneau a exposé une Jeune fille des Ouled Nàil, dont
le c orps et la tète ont bien le ton voulu. Ses bijoux ne manquent
pas de couleur locale. Mais pourquoi cette chevelure de
négresse ? Elle gâte tout le tableau et il serait bon de la dissimu-
ler sous une pièce de soie. Du reste, il n'est pas rare que les artis-
tes confondent les races. Pour plusieurs, tout ce qui n'est pas
blanc est nègre. Tel est notamment M. Munoz-Degrain qui,
voulant peindre Othello, n'a trouvé rien de mieux que d'en faire
un nègre. A qui fera-t-on croire qu'avec ce type-là, le héros de
Shakespeare ait pu enflammer le cœur de Desdémone? Non
le Maure de Venise devait avoir, comme ses compatriotes, le
profil correct, les traits fins, le teint œuf d'autruche si souvent
célébré par les poètes arabes.

Le Bain de M. Castelnau est aussi faux que celui de
M. Ingres. Le Hammam, turc ou arabe, est chauffé à la vapeur

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