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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 3)

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Le Blanc du Vernet, ...: L' art japonais
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https://doi.org/10.11588/diglit.18609#0265

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L'ART JAPONAIS'

Depuis la révolution japonaise de 1868, qui a ouvert le Japon
aux étrangers, des spécimens de Fart japonais ont été importés
en Europe par des marchands, avec aussi peu de conviction et
de respect que s'il se fût agi d'une denrée coloniale. Ces pro-
ductions artistiques ont été hâtivement réalisées, au prorata des
prix de revient, sans conscience aucune de la valeur intrin-
sèque des objets vendus.

Ces négociants, dénués de critérium, espéraient renouveler
aisément leurs assortiments, mais le gouvernement japonais,
mis en éveil par le succès qu'ont obtenu, chez nous, les produits
du vieux Japon, a interdit l'exportation des spécimens de l'art
ancien, devenus rares et fort recherchés dans l'empire des
Mikados.

Les marchands -, démunis de pièces d'élection, qu'ils sont
dans l'impossibilité de remplacer par des équivalents, essayent
de préconiser les médiocrités modernes, plus aisément recru-
tables, au détriment des antiques chefs-d'œuvre. Cette manoeuvre
cauteleuse est absolument stérile. L'art ancien s'impose avec une
supériorité écrasante. Les raffinés se disputent à prix d'or les
pièces triées sur le volet, et la « camelotte » moderne, tombée à
vil prix, languit aux étalages banals des magasins de nouveautés, des chocolatiers et des confiseurs.

11 ne suffit pas d'être allé au Japon acheter de la graine de bombyx ou vendre de la
quincaillerie et d'avoir, au retour, rapporté une « pacotille » de « bibelots », parmi lesquels ont
pu se trouver, de hasard, quelques chefs-d'œuvre, pour se targuer de compétence dans l'inter-
prétation d'un art, qui exige une pénétration aiguisée et un flair affiné. Les propagateurs de cet
art seront les collectionneurs3 attentifs et avisés, qui auront su choisir, dans le fouillis d'objets
dont on nous inonde, les œuvres indiscutables, qui permettront de formuler une synthèse,
attestant virtuellement l'importance d'un art dont j'affirme la supériorité.

Je suis un partisan déclaré de cet art suggestif, mais comme tout prosélytisme devient
suspect de partialité devant le public ombrageux, je tiens à affirmer nettement mon éclectisme.
J'ai passé ma vie dans l'intimité des splendeurs artistiques de l'Occident, qui m'enchantent, mais
l'équité m'oblige à rendre hommage aux créations esthétiques de l'extrême Orient, qui me
ravissent.

L'art japonais n'a pas la moindre analogie avec les arts frénétiques des Accads, des
Égyptiens, des Hindous et des Kiners, éclos sous les ardeurs corrosives d'un ciel d'airain. Ces
arts cyclopéens sont des rêves surhumains de Titans, dans la réalisation desquels les bornes de
l'imagination sont dépassées. L'exécution de ces œuvres inquiétantes ne s'explique qu'en
admettant des civilisations théocratiques, opprimant des agglomérations 1 inertes de captifs et
d'esclaves, espèce de bétail humain asservi, dans des ergastuîes, à l'orgueil implacable de
monarques asiatiques, que le spleen des satiétés hantait sous leurs tiares étincelantes. La pensée
déconcertée s'épouvante devant les débauches mégalithiques de ces arts délirants.

1. Voir l'Art, 6" année, tome II, page 132.

2. Je connais un marchand de curiosités japonaises très autorisé, auquel je tiens à rendre justice; c'est M. Lebourgeois, l'habile restaura-
teur d'objets de la Chine et du Japon.

j. On cite avantageusement les collections de MM. Philippe Burty, E. de Goncourt, Alphonse Hirsch et Vial.

La Tragédienne.
Dessin de René de la Fontinelle, d'après une peinture
japonaise.
 
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