42
L'ART.
une importation absolument italienne que ce motif de décora-
tion appliqué au bandeau. Il a été puisé aux sources les plus
lointaines et les plus pures de l'art transalpin, puisqu'on en
retrouve le germe déjà développé dans l'art étrusque1, et
des rosaces, si familière à Bullant en dessin et en exécution,
elle décore précisément la petite maison de Magny. L'identité
entre les monuments confrontés est complète, absolue, comme
on en peut juger par les figures qui accompagnent ce texte.
qu'un des principaux monuments de la République romaine, le N'oublions pas surtout que nous sommes en France, c'est-
sarcophage de Scipion Barbatus au Vatican, en porte les
marques 2.
Les architectes italiens, il est vrai, en ont abusé, depuis
le xv° siècle, au point d'en dégoûter un observateur attentif; et
il n'y a guère de palais ou de monuments qui, dans le nord de
la péninsule, n'étalent avec une insipide banalité 3 la formule
si élégante léguée par l'antiquité classique4. Mais en France,
les artistes voyageurs de la première moitié du xvi° siècle
employèrent seuls ce procédé de décoration, le raffinèrent et
à-dire dans un pays où l'architecture était encore empreinte
de l'esprit des maîtres gothiques et où le système des frises
interrompues par des triglyphes était absolument inusité, bien
loin d'être de style courant et banal comme il le sera au
xvn° siècle. On reconnaîtra alors qu'un rapport indiscutable et
direct existe entre le petit édicule de Magny et la grande
construction d'Écouen. Reste à savoir à quelles proportions
ce rapport évident doit être réduit.
On pressent dès maintenant l'intérêt de la question. En
lui donnèrent, par un usage dehors d'Écouen il ne subsiste
discret et des proportions rien de certain de l'œuvre de
nouvelles, une véritable per- h . Jean Bullant, qui cependant
^1 -1----r ---1--1— i-j---
sonnalité. On peut même dire JpïSs. H-—T —^--F \r^~~^7~ na Pas trava''^ exclusivement
que quelques-uns d'entre eux ] M4>''7m /ilâlls^ 1 K'Wr'Vl pour le connétable de Mont-
s'en firent un attribut distinc- ffl^/ i (h) $ ^vW^ * lli/ morency8. La maison de
tif ; car, aux premières heures | ||| ]]] \ || ||j | j^.— J UJ_|[| I Magny pourrait-elle être de
de la Renaissance, loin des 2333 ™ ' ^ Bullant lui-même? Je n'ai
modèles trop répétés et de Frise sculptée sur la maison de Magny. pas> p0Ur trancher le débat
l'écœurement produit par des dans un sens ou dans l'autre,
de preuve légale, judiciaire, péremptoire à alléguer comme
exemples dégénérés, le motif ne tomba pas immédiatement dans
le domaine public. *
Philibert Dclorme a laissé en ce genre des modèles célèbres;
et celui du portail d'Anet enseigne encore actuellement à l'École
des beaux-arts. Jean Bullant était, lui aussi, de sa glorieuse
époque et connaissait tout aussi bien l'Italie. Les corniches
d'ordre dorique avaient sollicité son attention. Dans sa Reigie
généralle d'architecture des cinq manières de colonness, il a
dessiné un entablement ainsi qualifié par lui : « Cet ordre
dorique'est à un arc triumphal qui se voit encores à présent à
vingt sept milles de Rome. » Sur la frise fractionnée par des
triglyphes, on remarque des bucranes alternant avec des patères
à ombilic ou des rosaces. Les bandeaux d'Écouen, semés égale-
ment de bucranes et de rosaces, jouissent d'une universelle popu-
larité c. L'École des beaux-arts possède et expose de nombreux
un contrat notarié ou un extrait de compte. Mais, à défaut de
certitude matérielle, la vraisemblance pourrait nous suffire et,
même au point de vue de la vraisemblance, ce petit problème
vaut la peine d'être examiné.
Nous savons très exactement quand on construisit la maison
de Magny ; sur un angle se dessine l'H de Henri II, et la date
de 1555 se lit sur une clef de fer : Bullant était déjà célèbre9.
De 1542 à 1547, il avait commencé à rebâtir le château
d'Écouen. En 1557, il était contrôleur des bâtiments de la cou-
ronne. Il n'y aurait donc pas d'impossibilité chronologique à
supposer qu'il ait participé, dans une mesure quelconque, à une
bâtisse élevée en 1555.
Nous avons dit ci-dessus que la maison portait des insignes
rappelant qu'elle dut avoir une affectation publique ou royale.
fragments provenant du merveilleux château du connétable de : et, d'ailleurs, l'importance relative de cette construction soignée,
Montmorency. Dans la seconde cour en hémicycle qui précède assise au cœur d'une petite ville, indique qu'elle eut vraisem-
le Musée des études, une parcelle des fameux bandeaux repose j blablement pour constructeur le roi de France ou le seigneur
sur deux colonnes. On en voit, au-dessus, un fragment un peu
plus considérable 7. Or, cette frise aux bucranes alternant avec
local. En effet, ce n'est pas un château, ni l'hôtel d'un noble; ce
n'est pas non plus la demeure d'un bourgeois que ce petit logis
1. On voit à Florence, au Musée étrusque de la via Faenza, une petite plaque d'ivoire portant comme motif d'ornement une série de bucranes alternant avec
des patères à ombilic ou des rosaces et séparés de celles-ci par des triglyphes.
2. Ritschl, Priscœ latinitatis monumenta epigraphica, pl. xxxvn, b.
3. Il est impossible de faire un pas dans Gênes sans être frappé par la vue de ce motif d'ornementation dont la formule s'est transmise jusqu'aux constructions
modernes. Voyez notamment, à cause de leur ressemblance absolue avec les monuments qui nous intéressent, une maison de la Piazza Rovere et la frise de la Porta
Siberia, près du port. Il en est de même à Padoue; cf., dans le tome IV de l'Art, 2° année, page 237, une gravure sur bois représentant l'arcade centrale de la loggia
Cornaro.
Un des meilleurs exemples italiens de cette décoration architectonique est fourni par le dessin exposé au Musée du Louvre, sous le n° 1634, dans un des porte-
dessins à volets.
4. Comme exemples de l'emploi du procédé chez les Grecs, je puis citer : la frise décorée de bucranes et de rosaces rapportée de Samothrace au Louvre et
provenant des fouilles de M. Coquart. (Cf. également Neue àrchœologische Untersuchungen auf Samothrakc, yon Alcxander Conze, Alois Hauser, Otto Benndorf.
Wien, 1880, in-f», pl. xxxvin, xxxix, xlv et xlvi) ; le.fragment d'architecture, trouvé par M. F. Lenormant à F.leusis, datant de l'an ;o6 de Rome (48 avant J'.-C.j,
et publié sous le 11° 619 dans le tome i" du Corpus inscript, latin.; ainsi que la frise dorique d'un temple d'Athènes qu'on suppose dédié à Rome et à Auguste,
et qui est gravée dans Stuart et Rcvett, The anliquities of Athens, Londres, 1762, tome i"'', chapitre 1". La plupart de ces indications bibliographiques m'ont été
obligeamment communiquées par mon ami et collègue M. Héron de Villetosse.
ï. Reiglc généralle d'architecture des cinq manières de colonnes à sçavoir tuscane, dorique, ionique, corinthe et composite ; et enrichi de plusieurs autres
à l'exemple de l'antique, etc. Au profflt de tous les ouvriers besongnans au compas et à Pesquièrre. A Ecouen par lean Bullant, etc. La première édition de ce livre
ne date que de 1,-64, maisi <iuand ellc parut, Bullant avait déjà employé à Ecouen, dont le gros œuvre est antérieur à 1542, sa formule favorite de décoration. Il lui
avait même donné, autour de lui et parmi les maîtres qui furent ses collaborateurs, une certaine notoriété. En effet, lorsque Jean Goujon dessina, en 1547, les
figures du Vitruve de Jean Martin, {Architecture ou art de bien bastir de Marc Vitruve Pollion, autheur, etc.. mis de latin en françoys par lan Martin secrétaire
de Mgr le cardinal de Lenoncourt pour le roy très chrestien Henry IL A Paris avec privilège du Roy, 1547, in-f"), il y inséra, page 52 verso, une frise formée de
rosaces et de bucranes alternés. Je sais bien que le motif pouvait provenir d'une source commune aux deux artistes, mais, outre qu'il n'est pas établi que Goujon
ait vu l'Italie, les rapports entre Bullant et Goujon sont assez étroits pour faire supposer une communication directe de l'un à l'autre. Cf. A. de Montaiglon, Archvi.
de l'art français, tome VI, p. 329 et suiv. / '
6. Ils sont gravés dans le grand ouvrage de Baltard, Paris et ses Monuments, 1803-iSoï. Voyez les planches 3 et 4 de la description d'Ecouen. Un fragment
de la planche 3 est reproduit par nous. ,. .•.
7. Voyez ci-après, en appendice, la description du panneau situé dans la seconde cour de l'École des Beaux-Arts où ces fragments sont encastrés.
8. Voyez A. Berty, les Grands Architectes-français de la Renaissance, et l'excellente notice de M. de Montaiglon dans les Archives de l'art français, tome VI,
-P-'î<>'î * j59- ' ' - 1 1 i
9. A. Berty, les Grands Architectes français de la Renaissance, Paris, 1860, p. 152. . . . ,
L'ART.
une importation absolument italienne que ce motif de décora-
tion appliqué au bandeau. Il a été puisé aux sources les plus
lointaines et les plus pures de l'art transalpin, puisqu'on en
retrouve le germe déjà développé dans l'art étrusque1, et
des rosaces, si familière à Bullant en dessin et en exécution,
elle décore précisément la petite maison de Magny. L'identité
entre les monuments confrontés est complète, absolue, comme
on en peut juger par les figures qui accompagnent ce texte.
qu'un des principaux monuments de la République romaine, le N'oublions pas surtout que nous sommes en France, c'est-
sarcophage de Scipion Barbatus au Vatican, en porte les
marques 2.
Les architectes italiens, il est vrai, en ont abusé, depuis
le xv° siècle, au point d'en dégoûter un observateur attentif; et
il n'y a guère de palais ou de monuments qui, dans le nord de
la péninsule, n'étalent avec une insipide banalité 3 la formule
si élégante léguée par l'antiquité classique4. Mais en France,
les artistes voyageurs de la première moitié du xvi° siècle
employèrent seuls ce procédé de décoration, le raffinèrent et
à-dire dans un pays où l'architecture était encore empreinte
de l'esprit des maîtres gothiques et où le système des frises
interrompues par des triglyphes était absolument inusité, bien
loin d'être de style courant et banal comme il le sera au
xvn° siècle. On reconnaîtra alors qu'un rapport indiscutable et
direct existe entre le petit édicule de Magny et la grande
construction d'Écouen. Reste à savoir à quelles proportions
ce rapport évident doit être réduit.
On pressent dès maintenant l'intérêt de la question. En
lui donnèrent, par un usage dehors d'Écouen il ne subsiste
discret et des proportions rien de certain de l'œuvre de
nouvelles, une véritable per- h . Jean Bullant, qui cependant
^1 -1----r ---1--1— i-j---
sonnalité. On peut même dire JpïSs. H-—T —^--F \r^~~^7~ na Pas trava''^ exclusivement
que quelques-uns d'entre eux ] M4>''7m /ilâlls^ 1 K'Wr'Vl pour le connétable de Mont-
s'en firent un attribut distinc- ffl^/ i (h) $ ^vW^ * lli/ morency8. La maison de
tif ; car, aux premières heures | ||| ]]] \ || ||j | j^.— J UJ_|[| I Magny pourrait-elle être de
de la Renaissance, loin des 2333 ™ ' ^ Bullant lui-même? Je n'ai
modèles trop répétés et de Frise sculptée sur la maison de Magny. pas> p0Ur trancher le débat
l'écœurement produit par des dans un sens ou dans l'autre,
de preuve légale, judiciaire, péremptoire à alléguer comme
exemples dégénérés, le motif ne tomba pas immédiatement dans
le domaine public. *
Philibert Dclorme a laissé en ce genre des modèles célèbres;
et celui du portail d'Anet enseigne encore actuellement à l'École
des beaux-arts. Jean Bullant était, lui aussi, de sa glorieuse
époque et connaissait tout aussi bien l'Italie. Les corniches
d'ordre dorique avaient sollicité son attention. Dans sa Reigie
généralle d'architecture des cinq manières de colonness, il a
dessiné un entablement ainsi qualifié par lui : « Cet ordre
dorique'est à un arc triumphal qui se voit encores à présent à
vingt sept milles de Rome. » Sur la frise fractionnée par des
triglyphes, on remarque des bucranes alternant avec des patères
à ombilic ou des rosaces. Les bandeaux d'Écouen, semés égale-
ment de bucranes et de rosaces, jouissent d'une universelle popu-
larité c. L'École des beaux-arts possède et expose de nombreux
un contrat notarié ou un extrait de compte. Mais, à défaut de
certitude matérielle, la vraisemblance pourrait nous suffire et,
même au point de vue de la vraisemblance, ce petit problème
vaut la peine d'être examiné.
Nous savons très exactement quand on construisit la maison
de Magny ; sur un angle se dessine l'H de Henri II, et la date
de 1555 se lit sur une clef de fer : Bullant était déjà célèbre9.
De 1542 à 1547, il avait commencé à rebâtir le château
d'Écouen. En 1557, il était contrôleur des bâtiments de la cou-
ronne. Il n'y aurait donc pas d'impossibilité chronologique à
supposer qu'il ait participé, dans une mesure quelconque, à une
bâtisse élevée en 1555.
Nous avons dit ci-dessus que la maison portait des insignes
rappelant qu'elle dut avoir une affectation publique ou royale.
fragments provenant du merveilleux château du connétable de : et, d'ailleurs, l'importance relative de cette construction soignée,
Montmorency. Dans la seconde cour en hémicycle qui précède assise au cœur d'une petite ville, indique qu'elle eut vraisem-
le Musée des études, une parcelle des fameux bandeaux repose j blablement pour constructeur le roi de France ou le seigneur
sur deux colonnes. On en voit, au-dessus, un fragment un peu
plus considérable 7. Or, cette frise aux bucranes alternant avec
local. En effet, ce n'est pas un château, ni l'hôtel d'un noble; ce
n'est pas non plus la demeure d'un bourgeois que ce petit logis
1. On voit à Florence, au Musée étrusque de la via Faenza, une petite plaque d'ivoire portant comme motif d'ornement une série de bucranes alternant avec
des patères à ombilic ou des rosaces et séparés de celles-ci par des triglyphes.
2. Ritschl, Priscœ latinitatis monumenta epigraphica, pl. xxxvn, b.
3. Il est impossible de faire un pas dans Gênes sans être frappé par la vue de ce motif d'ornementation dont la formule s'est transmise jusqu'aux constructions
modernes. Voyez notamment, à cause de leur ressemblance absolue avec les monuments qui nous intéressent, une maison de la Piazza Rovere et la frise de la Porta
Siberia, près du port. Il en est de même à Padoue; cf., dans le tome IV de l'Art, 2° année, page 237, une gravure sur bois représentant l'arcade centrale de la loggia
Cornaro.
Un des meilleurs exemples italiens de cette décoration architectonique est fourni par le dessin exposé au Musée du Louvre, sous le n° 1634, dans un des porte-
dessins à volets.
4. Comme exemples de l'emploi du procédé chez les Grecs, je puis citer : la frise décorée de bucranes et de rosaces rapportée de Samothrace au Louvre et
provenant des fouilles de M. Coquart. (Cf. également Neue àrchœologische Untersuchungen auf Samothrakc, yon Alcxander Conze, Alois Hauser, Otto Benndorf.
Wien, 1880, in-f», pl. xxxvin, xxxix, xlv et xlvi) ; le.fragment d'architecture, trouvé par M. F. Lenormant à F.leusis, datant de l'an ;o6 de Rome (48 avant J'.-C.j,
et publié sous le 11° 619 dans le tome i" du Corpus inscript, latin.; ainsi que la frise dorique d'un temple d'Athènes qu'on suppose dédié à Rome et à Auguste,
et qui est gravée dans Stuart et Rcvett, The anliquities of Athens, Londres, 1762, tome i"'', chapitre 1". La plupart de ces indications bibliographiques m'ont été
obligeamment communiquées par mon ami et collègue M. Héron de Villetosse.
ï. Reiglc généralle d'architecture des cinq manières de colonnes à sçavoir tuscane, dorique, ionique, corinthe et composite ; et enrichi de plusieurs autres
à l'exemple de l'antique, etc. Au profflt de tous les ouvriers besongnans au compas et à Pesquièrre. A Ecouen par lean Bullant, etc. La première édition de ce livre
ne date que de 1,-64, maisi <iuand ellc parut, Bullant avait déjà employé à Ecouen, dont le gros œuvre est antérieur à 1542, sa formule favorite de décoration. Il lui
avait même donné, autour de lui et parmi les maîtres qui furent ses collaborateurs, une certaine notoriété. En effet, lorsque Jean Goujon dessina, en 1547, les
figures du Vitruve de Jean Martin, {Architecture ou art de bien bastir de Marc Vitruve Pollion, autheur, etc.. mis de latin en françoys par lan Martin secrétaire
de Mgr le cardinal de Lenoncourt pour le roy très chrestien Henry IL A Paris avec privilège du Roy, 1547, in-f"), il y inséra, page 52 verso, une frise formée de
rosaces et de bucranes alternés. Je sais bien que le motif pouvait provenir d'une source commune aux deux artistes, mais, outre qu'il n'est pas établi que Goujon
ait vu l'Italie, les rapports entre Bullant et Goujon sont assez étroits pour faire supposer une communication directe de l'un à l'autre. Cf. A. de Montaiglon, Archvi.
de l'art français, tome VI, p. 329 et suiv. / '
6. Ils sont gravés dans le grand ouvrage de Baltard, Paris et ses Monuments, 1803-iSoï. Voyez les planches 3 et 4 de la description d'Ecouen. Un fragment
de la planche 3 est reproduit par nous. ,. .•.
7. Voyez ci-après, en appendice, la description du panneau situé dans la seconde cour de l'École des Beaux-Arts où ces fragments sont encastrés.
8. Voyez A. Berty, les Grands Architectes-français de la Renaissance, et l'excellente notice de M. de Montaiglon dans les Archives de l'art français, tome VI,
-P-'î<>'î * j59- ' ' - 1 1 i
9. A. Berty, les Grands Architectes français de la Renaissance, Paris, 1860, p. 152. . . . ,