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DANTE ALIGHIERI.
l’immortel fléau du vice, et la récompense de la vertu, est en effet, pour
qui sait la comprendre, une école de la vie. C’est, au reste, ce que le
poète nous enseigne lui-même quand il dit :
« O vous qui avez l’intelligence saine, méditez la doctrine cachée
sous le voile des vers étranges. »
Dante naquit à Florence, au mois de mai 1265, de Alighiero des Ali-
ghieri et de madonna Sella. Il perdit son père étant encore enfant; mal-
gré cela, noble et ayant de la fortune, il se préserva de l’oisiveté : il
étudia les sciences physiques et morales sous Brunetto Latini, et apprit la
musique et le dessin avec Casella, et peut-être avec le Giotto. Agé de
neuf ans à peine, il fut touché par la beauté gracieuse, par la douce
gravité d’une autre enfant qui n’avait pas encore dépassé sa huitième
année : c’était Béatrix, fille de Folco des Portinari, et cet amour fut
assez fort dans le cœur du poète pour que ni le temps, ni la mort de
la jeune fille ne pussent l’affaiblir. A dater de cette perte affreuse, il ne
connut plus la joie, et ce fut alors que pour exhaler son chagrin, il
résolut de raconter en vers ses jeunes amours, et de procurer à la femme
tant aimée une vie nouvelle, et qui ne pourrait plus lui être enlevée.
Toutefois, l’éternel regret qu’il nourrit, ni la sévérité de ses études,
ne l’empêchèrent pas de se donner tout entier à la patrie, à l’exemple
des grands hommes de la Grèce et de Rome, qui mêlaient le bruit de
la guerre à la culture des lettres; il combattit à cheval (et au premier
rang) contre les Gibelins d’Arezzo, en 1289, et se consola de ses bles-
sures en voyant les siens vainqueurs à Campaldino. L’année suivante,
il fit également la campagne contre les Pisans : exemple mémorable,
et qu’il faut citer à ceux qui se font un manteau des charges publiques
pour couvrir la pusillanimité de leur nature. Cette vertu antique plai-
sait tellement à Lionardo Aretino qu’elle l’indignait contre Boccace :
« Je voudrais, dit-il, qu’il eût parlé de cela, et non point de ses amours
de neuf ans, ni des faiblesses d’un tel homme; mais la langue remue où
la dent fait mal, et celui qui aime à boire raisonne volontiers de la
boisson. » Dante eut beaucoup à souffrir de son union avec madonna
Gemma des Donati, dont l’humeur difficile lui causa tant de tourments
qu’il se sépara d’elle, et ne voulut jamais la revoir. Après avoir rempli
dignement plusieurs ambassades pour les Florentins, élevé à trente-
cinq ans au rang suprême des Prieurs 1, par le commun suffrage et non
par le sort, suivant l’usage, cette distinction lui valut, comme il le dit
lui-même, la haine de plusieurs et l’absinthe et le fiel de l’exil. Dans
ce temps, en effet, s’envenimaient de plus en plus les discordes allu-
mées par les divisions des Guelfes, entre les deux familles des Cerchi
et des Donati, auxquelles se joignirent les factions des Blancs et des
1 Les Prieurs étaient les premiers magistrats de la république de Florence : la durée
de leur charge n’était que de deux mois. (Abte du traducteur.)
DANTE ALIGHIERI.
l’immortel fléau du vice, et la récompense de la vertu, est en effet, pour
qui sait la comprendre, une école de la vie. C’est, au reste, ce que le
poète nous enseigne lui-même quand il dit :
« O vous qui avez l’intelligence saine, méditez la doctrine cachée
sous le voile des vers étranges. »
Dante naquit à Florence, au mois de mai 1265, de Alighiero des Ali-
ghieri et de madonna Sella. Il perdit son père étant encore enfant; mal-
gré cela, noble et ayant de la fortune, il se préserva de l’oisiveté : il
étudia les sciences physiques et morales sous Brunetto Latini, et apprit la
musique et le dessin avec Casella, et peut-être avec le Giotto. Agé de
neuf ans à peine, il fut touché par la beauté gracieuse, par la douce
gravité d’une autre enfant qui n’avait pas encore dépassé sa huitième
année : c’était Béatrix, fille de Folco des Portinari, et cet amour fut
assez fort dans le cœur du poète pour que ni le temps, ni la mort de
la jeune fille ne pussent l’affaiblir. A dater de cette perte affreuse, il ne
connut plus la joie, et ce fut alors que pour exhaler son chagrin, il
résolut de raconter en vers ses jeunes amours, et de procurer à la femme
tant aimée une vie nouvelle, et qui ne pourrait plus lui être enlevée.
Toutefois, l’éternel regret qu’il nourrit, ni la sévérité de ses études,
ne l’empêchèrent pas de se donner tout entier à la patrie, à l’exemple
des grands hommes de la Grèce et de Rome, qui mêlaient le bruit de
la guerre à la culture des lettres; il combattit à cheval (et au premier
rang) contre les Gibelins d’Arezzo, en 1289, et se consola de ses bles-
sures en voyant les siens vainqueurs à Campaldino. L’année suivante,
il fit également la campagne contre les Pisans : exemple mémorable,
et qu’il faut citer à ceux qui se font un manteau des charges publiques
pour couvrir la pusillanimité de leur nature. Cette vertu antique plai-
sait tellement à Lionardo Aretino qu’elle l’indignait contre Boccace :
« Je voudrais, dit-il, qu’il eût parlé de cela, et non point de ses amours
de neuf ans, ni des faiblesses d’un tel homme; mais la langue remue où
la dent fait mal, et celui qui aime à boire raisonne volontiers de la
boisson. » Dante eut beaucoup à souffrir de son union avec madonna
Gemma des Donati, dont l’humeur difficile lui causa tant de tourments
qu’il se sépara d’elle, et ne voulut jamais la revoir. Après avoir rempli
dignement plusieurs ambassades pour les Florentins, élevé à trente-
cinq ans au rang suprême des Prieurs 1, par le commun suffrage et non
par le sort, suivant l’usage, cette distinction lui valut, comme il le dit
lui-même, la haine de plusieurs et l’absinthe et le fiel de l’exil. Dans
ce temps, en effet, s’envenimaient de plus en plus les discordes allu-
mées par les divisions des Guelfes, entre les deux familles des Cerchi
et des Donati, auxquelles se joignirent les factions des Blancs et des
1 Les Prieurs étaient les premiers magistrats de la république de Florence : la durée
de leur charge n’était que de deux mois. (Abte du traducteur.)