FRANÇOIS PÉTRARQUE. 47
mon humble origine, qu’ils sachent ceux-là, que l’an 1304 de cette
ère qui a pris son origine et son nom de Jésus-Christ, par qui et en qui
j’espère, le 20 du mois de juin, un lundi, comme se levait l’aurore ,
dans un faubourg d’Arezzo, nommé l’Orto ( le Jardin) je naquis exilé,
de parents nobles , originaires de Florence , d’une fortune médiocre ,
et, pour dire vrai, voisine de la pauvreté ; ce qui tenait à leur longue
proscription. Pour moi, je ne fus jamais ni très-riche, ni très-pauvre.
Telle est la nature des richesses , que plus elles croissent, plus croît
notre ambition , et partant notre pauvreté, mal que je ne connus ja-
mais. Ma nourriture, frugale et simple, avait plus de charmes pour
moi que n’en ont jamais trouvé dans leurs mets recherchés tous les
successeurs d’Apicius. Mon esprit, droit plutôt que profond, fut porté
à toutes les belles et salutaires études, mais incliné principalement à
la philosophie morale et à la poésie. Plus tard cependant je négligeai
celle-ci pour me vouer tout entier à la littérature sacrée , dans laquelle
je trouve un charme secret que je n’avais pas encore connu, et ne vis
plus dans les lettres profanes qu’un divertissement. L’unique but de
mes nombreuses études fut la connaissance de l’antiquité, parce que
ce siècle où je suis né m’a toujours déplu. C’est au point que si l’amour
de tous les miens n’eût créé en moi un contraire désir, j’eusse souhaité
d’être né dans tout autre temps plutôt que dans celui-ci, et qu’à cette
heure, je voudrais le perdre entièrement de vue pour vivre continuelle-
ment par la pensée dans les anciens âges. Mon langage eut, à ce qu’on
a prétendu, de la clarté et de la force ; pour moi il me paraissait obscur
et faible : il ne m’est jamais arrivé, quand je m’entretenais avec mes
amis ou avec mes intimes, de viser à l’éloquence, et je m’émerveille
que César Auguste ait pu prendre un soin pareil.
« Maintenant je dirai comment les circonstances ou ma volonté par-
tagèrent ma vie. Je n’avais pas accompli ma première année quand je
quittai ma ville natale d’Arezzo ; je passai les six années suivantes à
Ancise, dans la maison de campagne de mon père, à quatorze milles
au-dessus de Florence, ma mère ayant été rappelée de l’exil ; la hui-
tième à Pise , la neuvième et les suivantes dans la Gaule transalpine,
sur la rive gauche du Rhône , à Avignon, où le souverain pontife tient
l’Église du Christ dans un honteux exil. C’est là, sur les bords de ce
fleuve orageux, que je passai mon enfance sous l’empire de mes parents,
puis sous celui de mes vanités mon adolescence tout entière, toutefois
sans de grands changements. »
Pour vain, il l’était en effet, si l’on s’en rapporte à ce que lui-
même raconte dans un autre endroit de ses Lettres. Il prenait tant
de soin, à cette époque, d’embellir sa personne par toutes les recher-
ches de la parure, qu’il se désolait si par hasard une boucle de ses
cheveux venait à se déranger, et qu’il mettait ses pieds à la torture
mon humble origine, qu’ils sachent ceux-là, que l’an 1304 de cette
ère qui a pris son origine et son nom de Jésus-Christ, par qui et en qui
j’espère, le 20 du mois de juin, un lundi, comme se levait l’aurore ,
dans un faubourg d’Arezzo, nommé l’Orto ( le Jardin) je naquis exilé,
de parents nobles , originaires de Florence , d’une fortune médiocre ,
et, pour dire vrai, voisine de la pauvreté ; ce qui tenait à leur longue
proscription. Pour moi, je ne fus jamais ni très-riche, ni très-pauvre.
Telle est la nature des richesses , que plus elles croissent, plus croît
notre ambition , et partant notre pauvreté, mal que je ne connus ja-
mais. Ma nourriture, frugale et simple, avait plus de charmes pour
moi que n’en ont jamais trouvé dans leurs mets recherchés tous les
successeurs d’Apicius. Mon esprit, droit plutôt que profond, fut porté
à toutes les belles et salutaires études, mais incliné principalement à
la philosophie morale et à la poésie. Plus tard cependant je négligeai
celle-ci pour me vouer tout entier à la littérature sacrée , dans laquelle
je trouve un charme secret que je n’avais pas encore connu, et ne vis
plus dans les lettres profanes qu’un divertissement. L’unique but de
mes nombreuses études fut la connaissance de l’antiquité, parce que
ce siècle où je suis né m’a toujours déplu. C’est au point que si l’amour
de tous les miens n’eût créé en moi un contraire désir, j’eusse souhaité
d’être né dans tout autre temps plutôt que dans celui-ci, et qu’à cette
heure, je voudrais le perdre entièrement de vue pour vivre continuelle-
ment par la pensée dans les anciens âges. Mon langage eut, à ce qu’on
a prétendu, de la clarté et de la force ; pour moi il me paraissait obscur
et faible : il ne m’est jamais arrivé, quand je m’entretenais avec mes
amis ou avec mes intimes, de viser à l’éloquence, et je m’émerveille
que César Auguste ait pu prendre un soin pareil.
« Maintenant je dirai comment les circonstances ou ma volonté par-
tagèrent ma vie. Je n’avais pas accompli ma première année quand je
quittai ma ville natale d’Arezzo ; je passai les six années suivantes à
Ancise, dans la maison de campagne de mon père, à quatorze milles
au-dessus de Florence, ma mère ayant été rappelée de l’exil ; la hui-
tième à Pise , la neuvième et les suivantes dans la Gaule transalpine,
sur la rive gauche du Rhône , à Avignon, où le souverain pontife tient
l’Église du Christ dans un honteux exil. C’est là, sur les bords de ce
fleuve orageux, que je passai mon enfance sous l’empire de mes parents,
puis sous celui de mes vanités mon adolescence tout entière, toutefois
sans de grands changements. »
Pour vain, il l’était en effet, si l’on s’en rapporte à ce que lui-
même raconte dans un autre endroit de ses Lettres. Il prenait tant
de soin, à cette époque, d’embellir sa personne par toutes les recher-
ches de la parure, qu’il se désolait si par hasard une boucle de ses
cheveux venait à se déranger, et qu’il mettait ses pieds à la torture