GIAMBÀTTïSTA MARINO. 111
posé dans sa jeunesse , et où il y avait quelques octaves injurieuses
que l’on pouvait croire à l’adresse du duc, il témoigna sa recon-
naissance à son rival, en envoyant ces octaves à Charles-Em-
manuel. Il eut bientôt la satisfaction d’apprendre que le Marino avait
été jeté en prison. Toutefois celui-ci se disculpa aisément, et fut relâ-
ché presque aussitôt. Mais craignant de nouvelles calomnies, et appelé
d’ailleurs par la reine Marguerite, il se réfugia en France. Il mentionne
également ce voyage dans V Adonis, et cette fois le souvenir de sa
bienfaitrice lui fait négliger ces pointes froides et puériles qui glacent
le sentiment :
« Je franchis les Alpes et vis ce beau pays de France, où les lis d’or
prêtèrent un moment l’asile de leur ombre à ma vie agitée. Je vis la
vertu et la beauté françaises, et cette terre fortunée où régnent l’hon-
neur et la courtoisie, si riche de tous les dons que je ne saurais dire si
elle est une province ou le monde tout entier. »
Il ne fut pas donné à Marino de voir Marguerite, qui était morte
quand il arriva à Paris; mais la reine Marie de Médicis ne lui fut pas
moins courtoise, et bien avant l’apothéose qu’il fit d’elle dans son
poëme du Temple, elle avait fait porter la pension du poète à dix mille
livres. Il acheva VAdonis, dont chaque copie manuscrite se vendit,
dit-on, cinquante écus d’or. Imprimé à Paris en 1623, il fut porté aux
nues. « Ceux de mes amis qui l’ont vu, écrivait-il, en sont fous. »
Nicius Erythrœus (J. Victor Rossi) prétendit que le Marino avait semé
dans ce poëme toutes les fleurs, toutes les grâces, tous les agréments.
Claude Achillini, celui-là même que Louis XIII gratifia d’une somme
de cinquante mille livres pour une canzone, écrivait de Bologne à
Marino : « Dans la plus pure partie de mon être cette opinion demeure
vivante, que vous êtes le premier parmi tous les poëtes qui ont paru
parmi les Toscans, les Latins, les Grecs, les Égyptiens, les Arabes, les
Chaldéens.... Les abeilles du Pinde ne sauraient distiller de plus doux
rayons que ceux qu’elles produisent dans votre bouche, et la renom-
mée poétique ne sait pas voler avec d’autres ailes que votre plume. »
Mais ce ne furent pas seulement les beaux esprits de l’époque qui pro-
diguèrent à Marino ces louanges merveilleuses : le cardinal Bentivoglio
lui-même se laissa prendre à l’engouement général :
« Si je n’ai pu jouir de votre entretien, écrivait-il à Marino, j’ai joui au
moins de celui de vos vers dans l’harmonie de votre douce Musette. Elle a
fait mes délices pendant le chemin, et maintenant que je suis arrivé, je
n’ai pas de plus chère récréation. O quelle veine ! quelle pureté ! quels
traits exquis ! Mais touchant cette foule d’autres compositions qui sont ou
achevées ou en train de s’achever, quelle détermination prendrez-vous?
Vous feriez un grand tort à votre gloire, à la libéralité d’un aussi grand
monarque, à la France et à l’Italie, qui ne forment qu’un vœu, ou
posé dans sa jeunesse , et où il y avait quelques octaves injurieuses
que l’on pouvait croire à l’adresse du duc, il témoigna sa recon-
naissance à son rival, en envoyant ces octaves à Charles-Em-
manuel. Il eut bientôt la satisfaction d’apprendre que le Marino avait
été jeté en prison. Toutefois celui-ci se disculpa aisément, et fut relâ-
ché presque aussitôt. Mais craignant de nouvelles calomnies, et appelé
d’ailleurs par la reine Marguerite, il se réfugia en France. Il mentionne
également ce voyage dans V Adonis, et cette fois le souvenir de sa
bienfaitrice lui fait négliger ces pointes froides et puériles qui glacent
le sentiment :
« Je franchis les Alpes et vis ce beau pays de France, où les lis d’or
prêtèrent un moment l’asile de leur ombre à ma vie agitée. Je vis la
vertu et la beauté françaises, et cette terre fortunée où régnent l’hon-
neur et la courtoisie, si riche de tous les dons que je ne saurais dire si
elle est une province ou le monde tout entier. »
Il ne fut pas donné à Marino de voir Marguerite, qui était morte
quand il arriva à Paris; mais la reine Marie de Médicis ne lui fut pas
moins courtoise, et bien avant l’apothéose qu’il fit d’elle dans son
poëme du Temple, elle avait fait porter la pension du poète à dix mille
livres. Il acheva VAdonis, dont chaque copie manuscrite se vendit,
dit-on, cinquante écus d’or. Imprimé à Paris en 1623, il fut porté aux
nues. « Ceux de mes amis qui l’ont vu, écrivait-il, en sont fous. »
Nicius Erythrœus (J. Victor Rossi) prétendit que le Marino avait semé
dans ce poëme toutes les fleurs, toutes les grâces, tous les agréments.
Claude Achillini, celui-là même que Louis XIII gratifia d’une somme
de cinquante mille livres pour une canzone, écrivait de Bologne à
Marino : « Dans la plus pure partie de mon être cette opinion demeure
vivante, que vous êtes le premier parmi tous les poëtes qui ont paru
parmi les Toscans, les Latins, les Grecs, les Égyptiens, les Arabes, les
Chaldéens.... Les abeilles du Pinde ne sauraient distiller de plus doux
rayons que ceux qu’elles produisent dans votre bouche, et la renom-
mée poétique ne sait pas voler avec d’autres ailes que votre plume. »
Mais ce ne furent pas seulement les beaux esprits de l’époque qui pro-
diguèrent à Marino ces louanges merveilleuses : le cardinal Bentivoglio
lui-même se laissa prendre à l’engouement général :
« Si je n’ai pu jouir de votre entretien, écrivait-il à Marino, j’ai joui au
moins de celui de vos vers dans l’harmonie de votre douce Musette. Elle a
fait mes délices pendant le chemin, et maintenant que je suis arrivé, je
n’ai pas de plus chère récréation. O quelle veine ! quelle pureté ! quels
traits exquis ! Mais touchant cette foule d’autres compositions qui sont ou
achevées ou en train de s’achever, quelle détermination prendrez-vous?
Vous feriez un grand tort à votre gloire, à la libéralité d’un aussi grand
monarque, à la France et à l’Italie, qui ne forment qu’un vœu, ou