TERENZIO MAMIANI.
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Mamiani était un homme religieux qui, destinant son fils aux plus
hautes dignités ecclésiastiques, l’envoya à Rome à l’âge de seize ans
pour étudier la théologie au séminaire de cette ville et y recevoir la
tonsure en attendant la prélature. Mais cette destination n’était guère
du goût du jeune homme, qui s’étant mis à étudier la théologie unique-
ment pour obéir à son père, la prit bientôt tellement en aversion,
qu’au bout de trois ans il revint à Pesaro ayant quitté le petit collet.
Ennuyé de Pesaro, il vint à Florence où Anthologie, dans laquelle il
fit ses premiers essais, et le fils aîné de Louis Bonaparte qui devint son
disciple, le destinèrent à ces études vers lesquelles l’entraînait une an-
cienne et secrète affection. Nommé professeur de littérature à l’aca-
démie militaire de Turin, il y demeura deux années au bout desquelles
la mort inattendue de son père le rappela à Pesaro.
Sur ces entrefaites, la révolution de Paris de 1830 excita des trans-
ports unanimes de joie en Italie. Ce n’est pas qu’on eût de grands sujets
de se louer des étrangers dans la Péninsule ; mais une vieille et malheu-
reuse habitude la précipitait au-devant d’eux, comme s’ils dussent lui
donner cette liberté que les peuples ne doivent attendre que d’eux-
mêmes. Souvenirs douloureux de ces temps, d’autant plus douloureux
que moi-même je partageai ces folles espérances, pourquoi suis-je forcé
de vous rappeler ici ! Mamiani, élu membre du gouvernement provisoire
de la Romagne qui ne dura, comme on sait, que quelques jours, ayant
refusé de consentir à l’accord qui fut souscrit et signé par ses collègues à
Ancône, fut forcé de noliser un brigantin pour Corfou. Mais une frégate
autrichienne lui donna la chasse à lui et à ses compagnons; ils furent
pris et conduits à Venise où trois mois de captivité et la honte d’avoir
cru si légèrement à des promesses qui ne devaient pas se réaliser, ne
furent point jugés une expiation suffisante. 11 fut condamné à un ban-
nissement perpétuel. N’est-ce pas le plus grand de tous les supplices,
et le fameux Pérille en inventa-t-il jamais de plus cruel, que celui
qui vous enlève à l’air natal, aux caresses d’une mère? Les plantes elles-
mêmes, comme si elles étaient mues en secret par un sentiment d’amour,
refusent de prendre racine sur un sol étranger, et dédaignent d’étendre
la fraîcheur de leur ombre et la verdure de leur feuillage sur les terres
inconnues où elles ont été transportées.
Mamiani se réfugia en France ; mais, comme je l’ai dit plus haut, ni
les douleurs de l’exil, ni le mauvais état de sa santé ne purent l’ar-
racher à la poésie. Elle était en lui un don naturel. Jeune encore, com-
me il avait les yeux attachés continuellement sur la patrie, il composa
les Sonnets sur les monuments de Sainte-Croix à Florence, qui furent
comme la révélation de son génie. Ensuite, ayant entrepris de trans-
porter les couleurs éclatantes de la poésie homérique dans un sujet
chrétien, il imagina dans ses Hymnes sacrées, et particulièrement dans
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Mamiani était un homme religieux qui, destinant son fils aux plus
hautes dignités ecclésiastiques, l’envoya à Rome à l’âge de seize ans
pour étudier la théologie au séminaire de cette ville et y recevoir la
tonsure en attendant la prélature. Mais cette destination n’était guère
du goût du jeune homme, qui s’étant mis à étudier la théologie unique-
ment pour obéir à son père, la prit bientôt tellement en aversion,
qu’au bout de trois ans il revint à Pesaro ayant quitté le petit collet.
Ennuyé de Pesaro, il vint à Florence où Anthologie, dans laquelle il
fit ses premiers essais, et le fils aîné de Louis Bonaparte qui devint son
disciple, le destinèrent à ces études vers lesquelles l’entraînait une an-
cienne et secrète affection. Nommé professeur de littérature à l’aca-
démie militaire de Turin, il y demeura deux années au bout desquelles
la mort inattendue de son père le rappela à Pesaro.
Sur ces entrefaites, la révolution de Paris de 1830 excita des trans-
ports unanimes de joie en Italie. Ce n’est pas qu’on eût de grands sujets
de se louer des étrangers dans la Péninsule ; mais une vieille et malheu-
reuse habitude la précipitait au-devant d’eux, comme s’ils dussent lui
donner cette liberté que les peuples ne doivent attendre que d’eux-
mêmes. Souvenirs douloureux de ces temps, d’autant plus douloureux
que moi-même je partageai ces folles espérances, pourquoi suis-je forcé
de vous rappeler ici ! Mamiani, élu membre du gouvernement provisoire
de la Romagne qui ne dura, comme on sait, que quelques jours, ayant
refusé de consentir à l’accord qui fut souscrit et signé par ses collègues à
Ancône, fut forcé de noliser un brigantin pour Corfou. Mais une frégate
autrichienne lui donna la chasse à lui et à ses compagnons; ils furent
pris et conduits à Venise où trois mois de captivité et la honte d’avoir
cru si légèrement à des promesses qui ne devaient pas se réaliser, ne
furent point jugés une expiation suffisante. 11 fut condamné à un ban-
nissement perpétuel. N’est-ce pas le plus grand de tous les supplices,
et le fameux Pérille en inventa-t-il jamais de plus cruel, que celui
qui vous enlève à l’air natal, aux caresses d’une mère? Les plantes elles-
mêmes, comme si elles étaient mues en secret par un sentiment d’amour,
refusent de prendre racine sur un sol étranger, et dédaignent d’étendre
la fraîcheur de leur ombre et la verdure de leur feuillage sur les terres
inconnues où elles ont été transportées.
Mamiani se réfugia en France ; mais, comme je l’ai dit plus haut, ni
les douleurs de l’exil, ni le mauvais état de sa santé ne purent l’ar-
racher à la poésie. Elle était en lui un don naturel. Jeune encore, com-
me il avait les yeux attachés continuellement sur la patrie, il composa
les Sonnets sur les monuments de Sainte-Croix à Florence, qui furent
comme la révélation de son génie. Ensuite, ayant entrepris de trans-
porter les couleurs éclatantes de la poésie homérique dans un sujet
chrétien, il imagina dans ses Hymnes sacrées, et particulièrement dans