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GIAMBATT1STA NICCOLINI.
accomplis en Europe depuis vingt ans, il ne fut point, comme tant d’au-
tres, esclave delà grandeur, et au milieu de la bassesse des temps, il
garda une àme incorruptible. Je ne crois donc pas me tromper en affir-
mant que Niccolini est un des modernes qui ont le mieux mérité de
notre patrie, parce que, parmi ses vertus, il en a une qui met le com-
ble à sa gloire, c’est d’avoir cherché toujours à entretenir chez le peu-
ple italien le souvenir de sa grandeur passée, et à hâter le développe-
ment moral, qui est le seul chemin de l’indépendance.
Le génie de Niccolini est, pour ainsi dire, le reflet des temps où il
a vécu. Le goût italien n’était point encore corrompu par ces fausses
théories qui prétendent dégager la pensée des entraves de la forme,
et qui proscrivant l’art en littérature, tombent dans l’obscurité, la con-
fusion, la barbarie. Le Cantique de la Pitié, composé en 1804, lorsque
la peste ravageait Livourne, fut la première révélation du talent poéti-
que de Niccolini. Mais il ne devait pas s’arrêter là. Il se sentait entraîné
comme beaucoup des nôtres, vers cette école grecque d’où sorti-
rent Eschyle, Sophocle, Euripide, et il obéissait en cela à cette force
secrète qui domine les peuples de l’ancienne Grèce et ceux de la mo-
derne Italie, et qui fait d’eux, par la similitude du climat, et malgré
l’intervalle de tant de siècles, une seule famille, éprise des formes
belles, grandes, harmonieuses.
De cette contemplation de l’art grec sortit en 1810 la tragédie de
Polyxène. On y sent l’inspiration d’une âme qui, parvenue à s’isoler
de la lutte des peuples et des idées, s’est transportée au sein des anciens
âges sur les rives de l’Illissus et parmi les bosquets de l’Arcadie. La
pièce pèche par les caractères; de plus, elle a le tort de n’être point
empruntée à l’histoire nationale ; mais la chaleur des sentiments,
l’excellence du style, et plus que tout, la vertu de l’auteur firent présager
de nouvelles œuvres plus en rapport avec le besoin des temps et les
exigences de l’art.
Mathilde annonce déjà une tendance vers un but plus utile. Les armes
siciliennes résistent courageusement aux attaques des Français. Le
sujet n’est plus étranger. Le peuple qui regarde apprend comment on
doit, quand la patrie le commande, mettre de côté les divisions et les
haines. On y trouve quelques traces de romantisme ; mais bien que le
poète ne dédaignât pas d’emprunter quelquefois aux novateurs, il
sut toujours se garder de leurs excès, et ses dissertations dans l’Antho-
logie témoignent du constant attachement qu’il porta aux saines
doctrines.
Dans la tragédie d’Antonio Foscarini,, où l’on voit à quelles dures
extrémités Venise avait été réduite sous la tyrannie des inquisiteurs
d’État, Niccolini, sans s’écarter jamais de la vraisemblance, s’affran-
chit de l’unité de lieu et de temps, et donne un libre essor à son ima-
GIAMBATT1STA NICCOLINI.
accomplis en Europe depuis vingt ans, il ne fut point, comme tant d’au-
tres, esclave delà grandeur, et au milieu de la bassesse des temps, il
garda une àme incorruptible. Je ne crois donc pas me tromper en affir-
mant que Niccolini est un des modernes qui ont le mieux mérité de
notre patrie, parce que, parmi ses vertus, il en a une qui met le com-
ble à sa gloire, c’est d’avoir cherché toujours à entretenir chez le peu-
ple italien le souvenir de sa grandeur passée, et à hâter le développe-
ment moral, qui est le seul chemin de l’indépendance.
Le génie de Niccolini est, pour ainsi dire, le reflet des temps où il
a vécu. Le goût italien n’était point encore corrompu par ces fausses
théories qui prétendent dégager la pensée des entraves de la forme,
et qui proscrivant l’art en littérature, tombent dans l’obscurité, la con-
fusion, la barbarie. Le Cantique de la Pitié, composé en 1804, lorsque
la peste ravageait Livourne, fut la première révélation du talent poéti-
que de Niccolini. Mais il ne devait pas s’arrêter là. Il se sentait entraîné
comme beaucoup des nôtres, vers cette école grecque d’où sorti-
rent Eschyle, Sophocle, Euripide, et il obéissait en cela à cette force
secrète qui domine les peuples de l’ancienne Grèce et ceux de la mo-
derne Italie, et qui fait d’eux, par la similitude du climat, et malgré
l’intervalle de tant de siècles, une seule famille, éprise des formes
belles, grandes, harmonieuses.
De cette contemplation de l’art grec sortit en 1810 la tragédie de
Polyxène. On y sent l’inspiration d’une âme qui, parvenue à s’isoler
de la lutte des peuples et des idées, s’est transportée au sein des anciens
âges sur les rives de l’Illissus et parmi les bosquets de l’Arcadie. La
pièce pèche par les caractères; de plus, elle a le tort de n’être point
empruntée à l’histoire nationale ; mais la chaleur des sentiments,
l’excellence du style, et plus que tout, la vertu de l’auteur firent présager
de nouvelles œuvres plus en rapport avec le besoin des temps et les
exigences de l’art.
Mathilde annonce déjà une tendance vers un but plus utile. Les armes
siciliennes résistent courageusement aux attaques des Français. Le
sujet n’est plus étranger. Le peuple qui regarde apprend comment on
doit, quand la patrie le commande, mettre de côté les divisions et les
haines. On y trouve quelques traces de romantisme ; mais bien que le
poète ne dédaignât pas d’emprunter quelquefois aux novateurs, il
sut toujours se garder de leurs excès, et ses dissertations dans l’Antho-
logie témoignent du constant attachement qu’il porta aux saines
doctrines.
Dans la tragédie d’Antonio Foscarini,, où l’on voit à quelles dures
extrémités Venise avait été réduite sous la tyrannie des inquisiteurs
d’État, Niccolini, sans s’écarter jamais de la vraisemblance, s’affran-
chit de l’unité de lieu et de temps, et donne un libre essor à son ima-