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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 3)

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Heulhard, Arthur: Art dramatique, [1]: le Théatre Chez Madame
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ART DRAMATIQUE

LE THEATRE

« Tirer les couvertures à soi » est un terme de ménage et
même de communauté que le jargon des coulisses a détourné
de son sens primitif. Au théâtre, on ne tire les couvertures à
soi qu'en été. C'est le temps où tout artiste qui accapare une
partie de l'attention publique organise sa tournée en province ;
il bat monnaie avec le nom qu'il s'est fait à Paris, il tire les
couvertures à soi. A pareille époque, les auteurs, poussés par
l'amour-propre des représailles ou par les représailles de l'amour-
propre, tirent les couvertures à eux, en publiant quelque beau
livre d'histoire et de doctrine dramatiques, ou quelque corps
d'ouvrages proposés à l'examen de la critique. C'est avec cette
manne caniculaire que nous vivons dans la cruelle saison qui
nous sépare des concours du Conservatoire. Nous allons, si
vous le voulez bien, causer ensemble du Théâtre che\ Madame
que vient de publier l'auteur du Monde oh l'on s'ennuie,
M. Edouard Pailleron.

Le Théâtre cliej Madame ne constitue pas un répertoire
aussi étendu que le Théâtre de Madame, et vous ne ferez pas
la confusion. C'est, en somme, un tout petit livre, bien galant,
bien parfumé, et qui respire le bel air du dernier siècle. Je suis
sûr qu'on vous a déjà parlé, dans un coin de journal quotidien,
du Prologue en vers qui lève la toile sur ce décor rocaille. On
vous l'a beaucoup vanté, et c'est justice, car il se recommande
par des qualités assez rares en ce siècle naturaliste. M. Pail-
leron y a de l'esprit, un esprit qui ne va pas beaucoup au-delà
des pointes de l'ancien Caveau, mais qui est, au demeurant, de
souche française. Cet esprit a ce qu'on appelle de la race; mais
avec quels préjugés enfantins! M. Pailleron rime un prologue,
il répand dans le sein du lecteur (de la lectrice surtout) les
vifs regrets qu'il a du passé envolé; il soupire voluptueusement
au souvenir des boudoirs coquets où Dorât, Boufflers et Voi-
senon simulaient des vapeurs; c'est bien. On peut contester le
goût et le taxer de bizarrerie, mais comme tous les goûts,
celui-là est dans la nature, et Boufflers, je crois, un des dieux
de M. Pailleron, a dit quelque part :

Le meilleur est celui qu'on a.

Acceptons donc le goût de M. Pailleron. Où nous nous refu-
sons à le suivre, c'est dans les antithèses qu'il tire de la com-
paraison entre le xviil0 siècle, par exemple, et le nôtre. Après
avoir déclaré qu'il voudrait retourner à M. Dorât et « en habit
vert tendre s'ébattre » (ce qui arrivera fatalement quand il sera
de l'Académie française), M. Pailleron anathématise « les pots
de fer qui sont des cruches, les Dantons article Paris, le siècle
de Trinquet, les nouvelles couches, etc. », et il ajoute, avec
des sarcasmes :

Quand je vois pour unique effet,
Brailler le seul peuple qui cause,
Quand je vois les rois qu'il se fait
Et les dieux dont il est la cause;

Comme Bordas dans les Rachel,
Quand je vois dans les Longueville,
Madame Louise Michel
Rentrer dedans sa bonne ville!

Quand je vois (comme Petit-Jean)
Oser enfin tout ce qu'on ose...
J'ai le désir intransigeant
De m'évader de cette chose.

... Et je reviens avec excès,
A cette époque délicate
Où l'argot n'était pas français,
Où l'art n'était pas démocrate.

Tome XXVI.

CHEZ MADAME

En vérité, que signifie ce pathos de haute épicerie, et de qui
M. Pailleron se moque-t-il? Transporter la discussion sur
le terrain politique serait oiseux et hors de ton à cette place;
aussi ne le ferai-je point. Je demande simplement à qui tient
une plume, un scalpel, un burin, un pinceau ou tout autre
instrument d'art ou de science, si cette manie de dénigrement
n'est pas la plus insipide et la plus écœurante de toutes les
plaisanteries imaginables, et si elle n'exposera pas M. Pailleron
à rejoindre au plus bas du Parnasse « M. Dorât » et ses
compères ?

Passons. Il y a mieux dans le Théâtre de Madame, que ce
prologue qui fait tant de bruit. Il y a, non loin de là, trois
charmantes comédies d'un tour très différent, d'une langue
infiniment plus relevée, et d'un goût littéraire supérieur.
Toutes sont en vers; la rime n'y est nullement parnassienne;
c'est cette bonne rime par à peu près qui avait cours dans
l'âge d'or et qui tend encore le nez au bout des alexandrins
d'Augier. Vous n'y trouverez pas ce prestige de facture que
nos poètes ronsardisants étalent en caractères elzéviriens dans
les éditions de Lemerre. Mais force vous sera de vous incliner
devant l'excellente tenue qu'a le dialogue et de faire votre plus
belle révérence aux répliques accortes et pimpantes qui s'y
promènent en liberté! Je ne vous dirai rien de la comédie
intitulée : Après le bal; je vous en ai déjà touché quelques
mots lors de sa représentation à la Comédie-Française. Je
préfère vous entretenir, en glissant très légèrement sur le
Narcotique, parade renouvelée de Collé et de Gautier, du
Chevalier Trumeau, un petit chef-d'œuvre de philosophie
féminine, composé avec une fraîcheur et une délicatesse de
touche remarquables. Quand M. Pailleron appelle comédie le
Chevalier Trumeau, il ne ment pas; cet acte qui tiendrait,
plié en quatre, dans une boîte à mouches, est en effet la plus
ravissante comédie qui se puisse voir. Imaginez une fillette
dans la fleur de sa riante beauté, que son père veut marier
contre son gré; cet effort vous coûte peu. Elle se nomme
Isabelle, vous l'auriez deviné; elle a une suivante qui s'appelle
naturellement Marton; elle est à sa toilette et Marton l'accom-
mode. Tout ceci est d'invention fort antique. Voici où le
nouveau commence et tout le mérite en revient au développe-
ment. Marton relève d'un piment fort spirituel la mélancolie
d'Isabelle. Quoi! Mademoiselle se plaint qu'on la marie! Et
connaît-elle au moins son futur époux, le chevalier Trumeau?
Quel champion il a dans la personne remuante de Marton, ce
chevalier musqué! Trumeau, s'écrie-t-elle,

Trumeau! ce mari-là me ferait plus envie

Pour huit jours seulement qu'un autre pour la vie.

Mais Isabelle ne l'entend point de la même façon. C'est alors
que Marton, par un stratagème qui rappelle de très loin et,
sous toutes les réserves de la moralité, M,lc de Maupin, revêt
le pourpoint, se passe en flanc l'épée en verrouil, et par une
diplomatie merveilleusement combinée, triomphe, pour le
compte du chevalier, des résistances inconsidérées d'Isabelle.
La scène est délicieusement troussée, avec beaucoup d'apprêts,
beaucoup de rouge et de mouches, comme au siècle chéri de
M. Pailleron, mais enfin troussée de main de maître. On ne
saurait mieux faire les choses, le plan étant ainsi concerté.
Tout cela est fin au possible, et comme disait notre aïeul à
tous, maître François Rabelais, léger au pourchas et hardi à la
rencontre. Le Chevalier Trumeau fera plus de conquêtes
encore à la scène qu'à l'impression, quand Mlle Samary prendra

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