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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 3)

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Heulhard, Arthur: Art dramatique, [6]: théatre de la gaité: Le Patriote - Gymnase; Les Elections
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ART DRAMATIQUE

THÉÂTRE DE LA GAITÉ : LE PATRIOTE — GYMNASE : LES ÉLECTIONS

uisque le directeur de la Gaîté se donne le luxe
de fêter à sa façon la proclamation de l'Indé-
pendance américaine, il me sera bien permis de
regretter que le drame représenté au square des
Arts-et-Métiers ne soit point celui qui avait été
distingué entre tous et primé au concours institué en 1S76 : je
veux parler du Nouveau-Monde, de M. Villiers de l'Isle-Adam.
Deux jurys d'examen, composés des principaux critiques de la
presse théâtrale en France, et de MM. Victor Hugo, Augier,
Octave Feuillet, Legouvé, Greenville-Murray, représentant le
New-York-Héraldi et Emile Perrin, représentant le Théâtre-
Français, ont solennellement reconnu, avec l'autorité qui s'at-
tache à de telles lumières, la supériorité du Nouveau-Monde.
Sur les cent ouvrages présentés en concurrence, le directeur de
la Gaîté semble en décider autrement en montant le Patriote,
à l'exclusion de la pièce couronnée.

Je saisis avec empressement cette occasion de dire tout le
bien que je pense de l'œuvre de M. Villiers de l'Isle-Adam,
parue naguère en librairie. Le drame est trop touffu pour que
je songe à le mettre sous vos yeux dans tous ses éléments.
D'ailleurs la consigne avait prescrit à l'auteur une intrigue
intime où l'événement du 4 juillet 1776, journée de la procla-
mation de l'Indépendance des Etats-Unis, ne devait que se
surajouter. Le développement historique était quasiment
interdit au drame. C'est pourquoi les Américains n'y voient
point le passage de la Delaware, où quatre-vingts des leurs
périrent ensevelis dans les glaces du fleuve, sans pousser un
seul cri qui parvînt à l'oreille des sentinelles anglaises : c'est
pour la même raison que les Français n'y surprennent qu'au
vol le nom du brave général Lafayette. M. de l'Isle-Adam n'en
a pas moins réussi, sous les couleurs d'un drame fortement
charpenté, à nous donner la sensation historique de cette
grande époque où trois peuples s'aperçoivent pour la première
fois à la lueur des épées et se croisent dans le sang des
batailles : les Anglais défendant leurs possessions avec une
bravoure automatique et digne, ce qui est bien anglais; les
Américains luttant pour le rachat de leur territoire avec une
fougue de race vierge, ce qui est bien américain; les Français,
toujours à l'étroit chez eux, se jetant dans la mêlée pour la
liberté d'autrui, ce qui est bien français. Voilà qui est tout à
fait remarquable dans le Nouveau-Monde. Il est vrai que le
personnage de premier plan, celui qui dirige tout, qui domine
tout, mistress Andrews, a l'immense défaut de ne point être
un personnage de théâtre ; il demanderait à être rattaché au
corps même du drame par des liens plus humains et par des
intérêts touchant de plus près à notre nature. Il s'inspire trop
de la ballade et de la légende : c'est une invention de poète
plutôt qu'une conception de dramaturge. En revanche, les
rôles qui gravitent autour de celui-là parlent tous la belle
langue, et s'élèvent à une hauteur convenable au sujet. Lord
Cécil est un portrait achevé de l'honneur anglais. Les types
secondaires ont la netteté robuste et mordante de l'eau-forte,
et c'est un exemple finement observé de la bourgeoisie de tous
les pays que ce Tom Burnett, qui prêche la révolution pour
se soustraire à l'impôt, et que nul ne rencontre sur le champ
de bataille. Un couple de quakeresses, arides, sèches et cou-
sues dans leurs robes, est saisi sur le vif et comme à une pipée
de perruches. En quelques traits, Benjamin Franklin et

Washington, ces hautes figures de grands citoyens, sont mis
au point de l'histoire. Les études de femmes, Ruth Moore et
Miss Mary, sont d'une touche délicate, et l'officier Vaudreuil
respire un parfum charmant de vieille gentilhommerie française,
j'entends celle qui gardait la tradition de la chevalerie et qui
avait le sang à fleur de peau.

Voilà donc un ouvrage sérieux, consciencieusement com-
posé, intéressant au premier chef, avec des éclairs shakes-
peariens. Pourquoi ne l'avoir pas monté ? Craint-on les
exigences de M. Villiers de l'Isle-Adam au point de vue de la
mise en scène ? Certes, le Nouveau-Monde exigerait un déploie-
ment considérable de machines, de figuration et d'accessoires.
Il est taillé sur le patron des pièces à grand spectacle. Mais
on obtiendrait de l'auteur quelques concessions; il consentirait
évidemment à réduire le nombre des colibris qui chantent sous
les cèdres et les érables, ainsi que la troupe velue des singes
suspendus aux lianes des micocouliers. Cela fait, il resterait
un beau drame, d'une intensité de vie merveilleuse, d'une
observation patiente, d'une conviction littéraire à toute
épreuve, et sur lequel passe un souffle ardent de patriotisme.
Je le signale à la colonie américaine de Paris comme un objet
digne de son attention et, qui mieux est, de sa protection.

Je n'en dirai point autant du drame en cinq actes et sept
tableaux que la Gaîté vient de représenter pour inaugurer la
saison d'automne : le Patriote, de M. Armand Dartois.
M. Dartois n'est point tout à fait un jeune, en ce sens qu'il
s'est déjà essayé au théâtre avec un certain succès. Il me
paraît au courant du métier, c'est-à-dire opprimé par les leçons
de la convention dramatique. Avec un pareil don d'assimilation
on ne produit parfois rien qui vaille. Le Patriote, en dépit de
prétentions littéraires fort honorables, n'offre point de propo-
sitions hardies et qui secouent le préjugé des habitués du
parterre. Il n'y a pas là de tentative. Vous connaissez, au moins
par ouï-dire, le roman de Fenimore Cooper qui a pour titre
l'Espion. Sans jouir de la popularité du Dernier des Mohicans,
l'Espion occupe dans nos mémoires de collégiens une place
enviable. Le Patriote, c'est l'Espion revu et corrigé à l'usage
des Dauphins des galeries supérieures. J'aime mieux le héros
de Cooper : son héroïsme vient d'un fond d'honnêteté moins
contestable. Mais contentons-nous de la réduction que
M. Dartois nous en présente. L'Espion de M. Dartois est un
certain Palmers auquel on peut reprocher, comme entrée
de jeu, d'avoir assommé sa femme dans un élan d'alcoolisme.
Palmers élude le châtiment en changeant de nom et de
profession : il s'appelle Dickson et se fait colporteur. Il devient
richissime (au théâtre tous les colporteurs deviennent richis-
simes), et acquiert force domaines. J'avoue, à sa décharge,
qu'il a la ferme intention d'en jouir en bon père de famille et
de les léguer à une fille qui lui est née de sa victime, en son
vivant femme Palmers. Or la guerre de l'Indépendance éclate :
Washington, par nécessité militaire, ordonne qu'on détruise
la propriété favorite de Dickson. Celui-ci s'irrite et réclame,
les voisins s'ameutent et le traitent d'espion. Bref, pour
donner tort à ces accusations, il se fait espion, au sens noble
du mot, c'est-à-dire espion pour son pays, à la discrétion de
Washington ; c'est une exposition malheureuse : en matière
de patriotisme dramatique, l'espion doit être un martyr ;
si l'espionnage apparaît comme un moyen de purger une
 
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