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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 3)

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Vandalisme
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https://doi.org/10.11588/diglit.18879#0325

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NOTRE BIBLIOTHEQUE. 285

l'aspect de Venise ne s'attaque pas seulement aux monu-
ments. Les anciennes places de la ville (Campi) avaient jusqu'à
ce jour conservé leur caractère pittoresque, tel qu'on le re-
trouve dans les belles peintures de Canaletto et de Guardi.
Voici qu'on se met à les transformer en misérables petits
squares qui ne servent à rien ni à personne, avec des bosquets
de plantes et d'arbres rabougris. Ces plantations ridicules,
qui jurent avec leur entourage, sont la plupart du temps dis-
posées de manière à masquer la base de quelque monument
intéressant. Les personnes qui auraient le devoir et le pouvoir
de s'opposer à ce vandalisme n'ont pas même assez de goût
pour s'apercevoir qu'il y ait lieu d'intervenir.

C'est ainsi qu'on a défiguré le Campo San Giacomo dall'
Orio, une merveille de couleur avec son pavé rouge (l'ancien
pavé d e Venise) que l'on a enlevé sans nécessité aucune, et
qu'on n'a pas même remplacé par un autre. On n'a pas davan-
tage épargné le Campo délia Carita, le Campo San Zaccaria,le
Campo S. Giovanni e Paolo, où s'élève la statue équestre
de Colleone, qu'on trouvera bien moyen de démolir un jour,
le Campo dei Tedeschi, etc., etc.

Cette innovation grotesque n'a pas suffi au génie inventif
de messieurs les destructeurs officiels de la Bella Venepa. Il

leur a fallu des boulevards — des boulevards à Venise ! — et la
rue Garibaldi, l'ancienne rue Eugenia, une des plus impor-
tantes de la ville, a été élevée à la dignité de boulevard, avec
deux rangées d'acacias chétifs et la série des bancs obligés.

L'haussmanisation ne s'est pas arrêtée là. Une autre rue,
à San Agnese, a été transformée avec le même goût. On parle
même d'embellir la place Saint-Marc par l'addition, au beau
milieu, d'un petit square, destiné à faire ressortir par sa ver-
dure la façade de la basilique. Il est vrai que ce n'est encore
qu'un bruit, mais la chose est trop absurde pour n'être pas
vraie.

En attendant la confirmation , on a barbouillé d'une
hideuse couleur chocolat au lait tous les volets de la place,
dont les teintes d'un vert plus ou moins rompu étaient si
réjouissantes pour les yeux. On a couvert et déshonoré du
même enduit toutes les boiseries, portes, volets, etc., du pont
du Rialto, et cela a suffi pour lui faire perdre une grande
partie de son caractère.

Povera Venepa ! Au vc siècle les Venètes croyaient avoir
échappé aux Vandales, en se réfugiant dans les lagunes. Les
Vandales du xixc siècle, plus heureux, sont aujourd'hui les
maîtres de Venise, et les voilà qui prennent leur revanche.

NOTRE BIBLIOTHEQUE

CCLXIX

L'Œuvre complet de Rembrandt, décrit et catalogué par
M. Eue. Dutuit et reproduit à l'aide des procédés de l'hélio-
gravure par M. Charreyre. Catalogue raisonné de toutes
les estampes du maître, accompagné de leur reproduction
en fac-similé de la grandeur des originaux, au nombre de
36o environ, précédé d'une introduction sur la vie de Rem-
brandt et l'appréciation de ses œuvres, etc., etc. In-folio.
Paris, A. Lévy, 1881.

Il semble que notre époque ait entrepris d'effacer, par le
nombre et la solennité de ses hommages, le souvenir des injus-
tices dont nos prédécesseurs se sont rendus coupables envers
Rembrandt. Aux longues étapes qui marquent le chemin de sa
réhabilitation comme homme—presque comme artiste, hélas!
— l'histoire opposera l'ardente émulation des érudits du
xixc siècle à mieux fonder sa gloire, l'avide concurrence des
gouvernements et des particuliers lorsqu'il s'agit de rassem-
bler ses œuvres.

L'amour-propre d'une nation n'a rien à voir ici. Les
Hollandais, certes, ne sont pas restés en arrière, mais ils ne
se plaindront pas assurément de l'indifférence des Français, des
Anglais ou des Allemands sur le terrain de l'exaltation du fils
du meunier de Leyde. Au surplus, le succès des travaux de
Vosmaer et de Scheltema prouve assez à quel point l'Europe
s'intéresse à sa gloire.

Si haut placé que soit Rembrandt parmi les peintres, il
est incontestable que comme quelques autres maîtres, parmi
lesquels il faut citer en première ligne son concitoyen Lucas
de Leyde et Albert Durer, les caractères multiples de son ori-
ginalité se manifestent avec la plus rare éloquence dans les
estampes qui forment son œuvre. Il serait impossible d'ap-
prendre à connaître d'une manière complète ce génie souverain
sans une étude attentive de ses eaux-fortes.

C'est qu'en effet Rembrandt se montre ici dans ce que
l'on peut appeler l'intimité de sa pensée. Sans préparation en
quelque sorte, en dehors de tout autre souci que l'exposé le
plus simple d'une conception pittoresque, il nous donne le

fruit de ses méditations, et le plus fugitif croquis fera jaillir du
cuivre le souvenir vivace d'une forme typique ou d'un de ces
effets que la puissante imagination du maître rêvait de trans-
porter sur la toiie à la faveur d'un sujet historique ou légen-
daire. Le fond est chez lui d'une telle richesse qu'il ne craint
pas de nous divulguer l'origine même de ses impressions, et s'il
lui convient de s'attacher à la poursuite de l'idée, il évitera
comme d'instinct la froideur inévitable d'une redite.

L'histoire de l'art n'offre pas un second exemple de cette
variété de mise en scène. Burger le disait avec raison : même
prévue, toute œuvre de Rembrandt surprend encore.

« L'œuvre de Rembrandt est comme un monde où l'on
trouve réuni tout ce qu'il y a de plus vrai, de plus saisissant,
et même de plus sublime et en même temps de plus grotesque
et de plus incroyable. Même dans les pièces dont l'aspect nous
répugne le plus, on ne peut dire son dernier mot, tant qu'on
n'a pas vu les plus belles épreuves, tant Rembrandt sait
répandre de magie sur les productions contre lesquelles la
critique peut s'élever avec le plus de justice. »

C'est non moins bien dit que pensé, et M. Dutuit, que tout
le monde connaissait comme un opulent collectionneur, révèle
de prime saut sa judicieuse appréciation des merveilles dont
il est le fortuné possesseur.

Comment s'en étonner? Rassembler même au prix d'une
fortune — on ne le fait guère à moins, — Watteau et toute
l'école du xviii0 siècle, ce peut être le fait de l'homme du
monde. Quoi de plus charmant, en effet, de plus conforme
aux goûts de notre temps que les scènes gracieuses d'un Saint-
Aubin, d'un Moreau, d'un Lavreince? Vivre environné des
pastels de Latour, qui ne le voudrait ?

Mais savoir apprécier Rembrandt, retrouver le génie sous
les franchises et les rudesses de son esprit novateur, sous l'en-
veloppe parfois grossière dont il revêt l'être agissant, savoir
pardonner à certains moments les écarts, parfois téméraires,
d'une fantaisie d'artiste pour s'écrier à d'autres, emporté par
l'admiration : « En vérité, cet homme était un maître ! »
c'est la marque d'un sens esthétique plus cultivé et qui nous
est un sûr garant que les chefs-d'œuvre sont entre des mains
dignes de les manier.
 
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