L' art: revue hebdomadaire illustrée (7.1881 (Teil 3))

COURRIER DES MUSÉES

LXXV

France. — M. Louis de Ronchaud, secrétaire général du
ministère des beaux-arts, chargé par intérim de la direction des
musées nationaux, vient de prendre une excellente mesure. La
résidence des gardiens et de leurs familles dans les bâtiments du
Louvre créant un danger perpétuel pour nos collections, il a
été décidé qu'à l'avenir, ils habiteraient au dehors et qu'il leur
serait alloué une indemnité de logement.

— Les clochetons de la chapelle du fort de Vincennes, qui
menaçaient ruine et dont la restauration a été jugée impos-
sible, ont été détachés avec soin et transportés au jardin du
Musée de Cluny, où ils seront bientôt réédifiés et conservés
comme un spécimen de l'art architectural au xve siècle.

■— Le Musée du Louvre possède une nouvelle toile de
Giambattista Tiepolo, qui vient de lui être offerte par l'Art.
Elle présente cette curieuse particularité d'être peinte sur ses
deux faces.

Angleterre. — Le British Muséum vient de faire l'acqui-
sition de manuscrits bibliques et orientaux qui sont de la plus
grande importance pour la critique et l'exégèse de l'Ancien
Testament. Cette collection, qui a été faite dans l'Arabie méri-
dionale, comprend quarante manuscrits, dont quinze sont des
portions des Ecritures hébraïques, et deux probablement les
plus anciens qui existent des textes de l'Ancien Testament.
Un troisième contient l'Hagiographa, et donne une révision du
texte hébreu ; il vient s'ajouter aux deux autres parties qui
sont déjà au British Muséum, et complète ainsi toute la
Bible hébraïque. Plusieurs de ces manuscrits ont la traduction
arabe de Suadiah, en vers alternant avec l'hébreu, tandis que
d'autres ont les points voyelles assyriens dans les mots ou
au-dessus des lignes. Les vingt-cinq autres manuscrits sont des
midrashim ou commentaires homélitiques, et des liturgies.

Pays-Bas. — Il y a quelques années deux portraits donnés
à Frans Hais furent mis en vente publique à Amsterdam et ne
purent être adjugés tant ils paraissaient sujets à caution; l'avis
des amateurs hollandais et étrangers accourus au Brakke Grond
où avaient lieu les enchères, fut unanime à ce sujet, et le très

regretté M. de Jonge, directeur du Musée de La Haye, ne fut
pas des derniers à s'exprimer en ce sens. Aussi avons-nous
peine à nous expliquer que le successeur de M. de Jonge,
M. S. van den Berg, qui passe pour un homme de goût, vienne
d'admettre au Musée de La Haye, comme des oeuvres de Frans
Hais, ces deux portraits qui ont vainement cherché acheteur ;
c'est là une très fâcheuse acquisition qui, loin d'ajouter à la
renommée du précieux Musée de la résidence royale, ne peut
que lui nuire sérieusement.

Suisse. — Le 29 juillet a eu lieu à Fribourg l'ouverture du
musée créé en exécution des dernières volontés de M",c la
duchesse Colonna de Castiglione-Aldovrandi ', plus connue
dans le monde des arts sous le pseudonyme de Marcello.

C'est M. le baron d'Ottenfels, ministre d'Autriche-Hongrie
en Suisse, beau-père et exécuteur des volontés de la testatrice,
qui a remis le musée entre les mains du conseiller d'État
représentant l'Etat de Fribourg.

Dans un court discours, aussi parfait par la simplicité
exquise de la forme que par l'élévation des idées, il s'est
attaché à rappeler les qualités exceptionnelles dont Marcello
était douée, son esprit, son grand cœur et la noblesse de son
caractère.

Toutes les œuvres de la duchesse, en sculpture et en pein-
ture, ont été léguées à son pays natal.

Mais à cela ne se bornent pas les largesses de la grande
artiste. Des tableaux anciens, entre autres un superbe Velas-
quez, puis une quarantaine de cadres renfermant des aqua-
relles, des dessins, des peintures, des études, qui sont autant
de cadeaux, de souvenirs, de marques d'estime, de témoi-
gnages d'amitié des artistes célèbres qui furent ses amis et ses
admirateurs, décorent une des parois de cette seconde salle.
Citons quelques noms au hasard : Delacroix, Fortuny, Courbet,
Regnault, Boulanger, Hébert, Clésinger, Rude, Carpeaux.
C'est dire que Fribourg a hérité d'une collection comme n'en
possèdent pas beaucoup de villes de Suisse.

1. Adèle d'Affry, issue d'une grande famille suisse, naquit le 6 juillet 1837. Mariée au duc Charles Colonna le 5 avril i85b, elle devint veuve le 18 décembre
suivant.

NECROLOGIE

— L'école française vient d'être de nouveau cruelle-
ment éprouvée. Dans le dernier numéro de l'Art, nous
avons reproduit, —- page 07,— le Mirabeau de M. Caillé,
que le jury, chargé d'examiner les projets du monument
en l'honneur de l'Assemblée constituante, avait décidé
d'introduire dans le projet adopté par lui, de MM. Formigé
et Coutan.

Nous apprenons avec le plus vif regret que M. Caillé,
— il n'avait que trente-huit ans, — vient de mourir des
suites d'un refroidissement pris au bord de la mer, près
de Nantes, où il était allé chercher un peu de repos.

— M. Samuel Sharpe, un savant égyptologue anglais,
vient de mourir à Highbury, dans sa quatre-vingt-
deuxième année. Il laisse plusieurs ouvrages témoignant

de sa vaste érudition, notamment une traduction com-
plète des écritures hébraïques et du Nouveau Testament;
une « Critique » de la version autorisée des Ecritures; la
Chronologie de la Bible; Y Histoire de V Egypte depuis son
origine jusqu'à son invasion par les Arabes; la Chrono-
logie de l'ancienne Egypte et plusieurs monographies sur
les hiéroglyphes et autres objets d'antiquité figurant dans
les collections du British Muséum. M. Sharpe, qui était
un libéral convaincu, a fait pendant sa vie de grandes
largesses aux institutions d'enseignement laïque.

— Le docteur Ferdinand Keller, l'éminent archéo-
logue suisse, e&t^mort le 21 juillet, à Zurich, à l'âge de
quatre-vingt-un ans.

Le Directeur-Gérant

EUGÈNE VÉRON.