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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 3)

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Tourneux, Maurice: Benjamin Fillon
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https://doi.org/10.11588/diglit.18879#0169

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BENJAMIN FILLON.

151

Je ne cite au courant de la plume que ce que mes souvenirs me fournissent, mais combien
d'autres tableaux ou dessins mériteraient une mention : la première pensée du Réveil de Michel-
Ange (reproduite dans Poitou et Vendée); un profil de la Vierge, par Fra Bartolommeo; une étude
du Dominiquin, ayant appartenu à Charles Le Brun; un Saint Joseph du Titien, provenant du
cabinet de Joshua Reynolds; une tête de Juif, par Albert Durer; VAdoration des bergers, par
Jordaens ; un paysage de Van Huysum; le portrait de Cornelissen, à la pierre noire, par Van
Dyck; un portrait d'homme (à l'huile), par Etienne Du Monstier; l'esquisse du Testament
d'Eudamidas, par Poussin ; la Mort de Sénèque, par Le Sueur, donnée à Jean-Jacques Rousseau
par le comte d'Entraigues ; la Mort d'une sainte, par François Quesnel; le Tombeau de Claude
Gouffier, par Jean Juste; un Bouvier et un paysage de Claude Lorrain; une Vénus de Boucher;
une composition de Greuze, la Séparation; voire une gouache de Baudouin, libertinage de
pensée et de pinceau assez inattendu chez un amateur austère qui lui préférait assurément le
dessin de Prudhon pour l'en-tête des brevets d'invention, le profil de Dubois-Crancé, ou bien
encore la Mort de Géta, par Louis David; citons enfin un portrait d'homme (mine de plomb),
par Ingres ; des croquis de Delacroix d'après des médailles antiques, et une puissante esquisse
de Pagnest qui sera prochainement donnée ici même, avec une étude de M. E. Chesneau sur ce
mystérieux et remarquable artiste.

Si sèche que soit cette énumération, elle en dit assez sur les goûts de M. Fillon. Il avait en
tout le culte du grand art : Raphaël, Poussin, David, Delacroix, Molière, Victor Hugo, Beethoven
eussent, au besoin, suffi à ses jouissances de dilettante, s'il n'avait senti qu'au-dessous de l'idéal
qu'atteignent seuls les grands artistes, le talent a bien des degrés dont il faut tenir compte.
Il n'avait de répulsion absolue et hautement exprimée que pour les traditions affadies et impuis-
santes de notre moderne école de Rome et pour certains petits maîtres du xvme siècle ; ah ! pour
ceux-là point de pitié ! L'an dernier, il écrivit quelques pages sur le portrait de l'Arétin par Marc-
Antoine et sur celui de la Du Barry, par Gaucher d'après Drouais, qu'il destinait d'abord, je crois,
à une revue, mais qu'il se décida à ne faire tirer qu'à vingt-cinq exemplaires. 11 faut voir comme
les amateurs actuels y sont drapés ! « Ma boutade est très voulue, m'écrivait-il. J'ai mis des gants
pour l'écrire. Qu'eussiez-vous dit du premier jet, s'il vous eût été communiqué? J'ai sur le chantier
depuis des années un volume de 15o pages qui aura pour titre : De la main dans l'art. Or le
chapitre consacré aux mains féminines de l'art Pompadouro-Barryo-Antoinette vous dira quel
fut l'usage des mains modèles de cette période érotique. »

Il ne subsiste de ce travail que les éléments. Espérons que Mlle Gabrielle Fillon les rassem-
blera quelque jour et qu'elle y joindra tout ce que son beau-frère a semé d'indications précieuses
et de documents inédits un peu partout. Le volumineux dossier de notes sur Rabelais que
M. Fillon destinait à une édition projetée par M. Quantin, deux notices sur Pierre Nivelle,
de Luçon, l'évèque artiste dont il possédait une curieuse peinture, et sur Claude Lefèvre, le
peintre de portraits qui attend encore un biographe, doivent figurer parmi les desiderata les plus
précieux de l'œuvre interrompu.

Un moment, M. Fillon avait repris espoir; très souffrant d'abord d'un traitement suivi aux
eaux de Vichy (juillet 1880), il sembla revenir à la santé pendant l'automne, mais vers le milieu
de janvier il dut garder le lit pour n'en plus sortir; un mal qui ne pardonne pas, un cancer à
l'estomac épuisait lentement ses forces et ne laissait qu'à lui seul quelque illusion sur l'issue de
ses souffrances. Entouré des soins que lui prodiguaient M"e Fillon et son plus ancien ami,
M. Dugast-Matifeux, il s'éteignit à Saint-Cyr, le 23 mai 1881.

Ses obsèques furent purement civiles. Ceux qui y ont assisté garderont le souvenir de leur
émouvante simplicité et de la manifestation naïve des regrets que laissait à la population ouvrière
de Fontenay et aux paysans des environs la mort du savant, du patriote, du bienfaiteur qu'ils
avaient vu si longtemps à l'œuvre : cette noble existence peut se résumer clans les deux devises
qui décorent le tombeau de M. Fillon, comme elles blasonnent les frontons de Saint-Cyr :
Caritas generis humani—Travail est honneur.

Maurice Tourneux.
 
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