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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 3)

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Yriarte, Charles: Lettres de Milan, [2]
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LETTRES

les convenances inéluctables qui déterminent la forme de
tout meuble usuel. Pourquoi sur les murs tant d'étranges
sculptures, pourquoi aux plafonds, dans les parties supérieures,
ces compositions peintes, toutes neuves, toutes fraîches, qui
appellent nos regards distraits quand nous voudrions nous
recueillir en face de ces toiles admirables et de ces objets
d'un irréprochable choix, qui voulaient un fond sobre, calme
et discret ?

Je ne fais qu'indiquer cette tendance ; le temps fera son
œuvre, tout cela s'harmonisera, se fondra, mais la forme ne
s'harmonise jamais, et il v a là quelque chose d'irritant pour
l'imagination dans cette irrévocabilité des dispositions orne-
mentales. Ainsi le voulut le testateur ; sint ut sitnt aut non sint.
Il n'y a donc pas à y revenir; il faut prendre la fondation pour
ce qu'elle est.

Il sera permis cependant de donner au public la clef de
l'erreur commise au point de vue décoratif: dans la plupart
des pièces on a pris pour point de départ un objet de collection,
qui devait figurer dans l'ensemble comme une simple unité avec
son style particulier quel qu'il fût; on s'est lié les mains par ce
style, et tout a été asservi à cette idée fausse. Exemple : —
Dans le salon principal, à main droite, une porte en bois
sculpté, travail mantouan du xvii0 siècle, assez belle en elle-
même, entraîne la construction d'un avant-corps copié sur
cette même porte, qui lui fera pendant, et détermine tout un
parti pris dans le plan de la pièce et dans sa décoration. — Dans
la chambre à coucher, toute en bois de noyer sculpté, le lit,
les portes, les meubles, véritables chefs-d'œuvre d'exécution du
sculpteur sur bois Ripamonti, sont commandés par la décou-
verte chez un marchand de curiosités de Milan, d'un prie-Dieu
d'Andréa Fantoni (xvn° siècle), pièce exceptionnelle au point
de vue de la sculpture sur bois, où s'encadrent une Déposition
de la croix et un Daniel dans la fosse aux lions avec des cen-
taines de figures en plein relief, et par un cadre du Brustolone,
des Anges portant les symboles de la passion. Ces spécimens
dictent le style du lit moderne demandé à Ripamonti et, —
sous prétexte d'arriver à de l'harmonie,—on se trouve encore
une fois avoir subordonné un ensemble à ce qui ne devait être
qu'un étonnant détail à admirer dans la collection, à la série
Bois sculptés. Le cadre a appelé le lit, le lit appelle le fauteuil,
la table, etc., etc.

Un travail vénitien du svn° siècle '. Horloge en bronze doré
représentant un lion ailé avec un mécanisme d'horlogerie qui
fait marcher les yeux et les ailes, travail évidemment curieux
et intéressant en lui-même, encastré au-dessus d'une che-
minée, dans la claire-voie qui sépare deux chambres, dicte le
style de la grille admirablement travaillée, dont elle est

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devenue le point central. On pourrait aller loin dans ces indi-
cations et montrer que Poldi Pezzoli appliquait constamment
ces principes. Les ouvriers du bois, du fer, de l'ivoire et du
verre, se sont montrés rarement plus habiles qu'au musée
Poldi; la main moderne milanaise y est au-dessus de tout
éloge, mais la pensée directrice a peut-être fait fausse route et
l'esthétique ne nous semble pas irréprochable.

Mais nous ne nous dissimulons pas que bien des conditions
spéciales s'imposaient à l'amateur au moment où il entre-
prenait la décoration d'un ensemble considérable. Il commence
les travaux à une époque de crise ; à Milan, toutes les spécialités
de l'art industriel sont en souffrance : Mécène au petit pied,
on attend beaucoup de son initiative; il a des amis, des clients
artistes de toute nature qui comptent sur lui; il est trop juste
et trop naturel qu'il les appelle. Alors, au lieu de concevoir un
ensemble calme, sobre, presque négatif, afin de faire des collec-
tions elles-même l'attrait principal, l'attrait unique, et de ne pas
sacrifier le tableau au cadre, il rêve une conception d'ensemble
où chacun de ceux dont il aime le talent et protège la per-
sonnalité donnera sa note la plus vibrante dans les conditions
les meilleures. De ce concept si louable et qui prouve encore
quel excellent citoyen fut Poldi Pezzoli, naît la collaboration
des Bertini, des Scrosati, des A. Tantardini, des Pogliagli, des
Zaneletti, des Spcluzzi, des Peroni, des Barzaghi, des Sele-
roni, etc., etc., et je mêle à dessein les noms des illustres aux
noms de ceux qui ne font que côtover l'art. Je répète que l'œuvre
intrinsèque de chacun est toujours remarquable par l'exécution,
souvent même elle est supérieure dans son esprit, mais était-ce
bien le lieu où devaient se déployer tant d'efforts d'artistes si
appréciables? Le général en chef a-t-il bien réparti les forces
dont il disposait et les a-t-il bien employées, ou, pour parler
un langage plus pacifique, l'ornementation du cadre, si riche,
si fouillée, si tourmentée et si éclatante, ne nuit-elle pas à
l'effet du tableau qu'on présente au public? Cette question
d'harmonie et de goût est supérieure à tout, elle est la loi
suprême de l'art; son importance est trop évidente pour que
nous ne rappelions pas le principe même en face d'une œuvre
posthume due à un amateur aussi distingué que généreux, qui
n'eut que des pensées nobles, et qui a montré en mourant
quelle profonde affection il avait vouée à sa ville natale.

On sent bien que ces quelques lettres, écrites au courant
de la plume sous l'impression du moment, ne pourront jamais
constituer une sérieuse étude sur la « Fondation Pezzoli»;
mais nous nous sommes laissé entraîner à propos d'une
question d'esthétique, et, en une lettre rapide qui suivra, nous
dirons en quoi consistent les collections elles-mêmes.

Charles Y ria rt e .
 
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