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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 3)

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Heulhard, Arthur: Art dramatique, [8]: Comédie Française: L'Avare - Théatre Déjazet: Nos Fils - Comédie Parisienne: Léa
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https://doi.org/10.11588/diglit.18879#0323

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ART DRAMATIQUE.

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Haller, a loué la salle pour son compte dans le dessein
d'apprendre son nom au public. M. Jean Malus a réussi. Hier,
il était inconnu; il se révèle aujourd'hui riche, jeune, et doué
pour le théâtre. Sous de tels auspices et avec de tels débuts le
voilà sommé de tenir encore plus qu'il ne promet. Le drame
qu'il nous a donné comme entrée de jeu est loin d'être un chef-
d'œuvre ou simplement même un bon drame, mais il a ce que
je réclamais tout à l'heure des jeunes pensionnaires agrégés de
M. Perrin, une couleur personnelle assez sensible. Oui, certes,
les maladresses y abondent : ce n'est pas M. Sardou qui a réglé
les scènes de Léa, ce n'est pas M. Hennequin qui en a percé
les portes, ce n'est pas M. Augier qui en a écrit le dialogue,
on le voit bien; mais cette constatation même tourne au profit
de M. Jean Malus : ce qu'il y a de bon dans Léa lui appar-
tient en propre, certaines répliques audacieusement postées,
certains coups de théâtre menés d'une main prompte et
énergique, quoique un peu violente, certaines marques de
tempérament qui n'échappent point à un œil exercé traversent
le drame par éclairs et le signalent à l'attention des esprits
réfléchis. La matière employée par M. Jean Malus n'est pas
absolument vierge : Léa est comme les Filles de marbre,
comme le Mariage d'Olympe, comme Nana enfin, une his-
toire de fille qui retourne éternellement à sa boue et qui y
reste. Avant de courir les chemins dorés de la prostitution
mondaine, Léa connaissait les placides bonheurs du foyer
conjugal. Elle avait pour époux Charles Brémont, un journa-
liste de talent qui l'aimait et la respectait. Le démon du vice
a renversé tout l'échafaudage : Madame a quitté son mari,
déshonoré son nom avec le premier amant venu, foulé aux
pieds toute pudeur et bu toute honte. Elle tombe aux mains
d'un aventurier de la plus basse extraction et du plus vil
instinct, qui se fait passer pour le prince russe Bascow, qui a
de nombreux méfaits sur la conscience et qui, pour comble
d'infamie, vit aux crochets de sa maîtresse. Belle, séduisante,
irrésistible presque, elle inspire une inguérissable passion à un
jeune homme d'une excellente famille, Georges Derblin; elle
profite de son ascendant et le ruine. Aussitôt ruiné, aussitôt
abandonné (dans le monde particulier où vivent les person-
nages, on se sert d'un mot trivial qui a plus d'accent). Le
pauvre Georges, à l'exemple du petit Hugon de Nana, se
décharge un pistolet dans la poitrine : tendrement soigné par sa
mère et sa sœur, il est sauvé ; avec la santé, la fortune revient,
il hérite. A cette nouvelle, Léa, qui n'a pas renoncé à sa proie,
a l'incroyable hardiesse de venir disputer Georges à sa mère
dans la maison même habitée par les Derblin. Elle se trouve
face à face avec Mln0 Derblin et avec son mari Charles Bré-

mont qui aime respectueusement la sœur de Georges : ignomi-
nieusement chassée, elle se retire, mais emportant avec elle la
paix de la famille. Repris de passion, l'infortuné jeune homme
retourne auprès d'elle. Cependant, à travers toutes ces
aventures, une circonstance grave s'est produite : Charles
Brémont, après dix années de séparation, a retrouvé sa femme :
c'est à lui qu'il appartient de faire sonner bien haut ses droits
à l'oreille de l'épouse indigne et de ramener Georges à des
sentiments plus sains. Ici commence la partie vraiment
curieuse et originale du drame : Brémont se fait le négo-
ciateur des intérêts de la famille Derblin : il enjoint à Léa de
quitter la France, mais l'ignoble Bascow, avec le flair particulier
de sa race, conseille à sa maîtresse de rester le plus près
possible de celui qui les entretient tous les deux. L'avis de ce
personnage (recommandé à la vigilance de M. Camescasse)
prévaut ; un instant même il réussit à brouiller Georges
Derblin et Charles Brémont. Enfin Brémont, qui a la preuve
des vols et escroqueries de Bascow, se prépare à le livrer tout
crûment à la police. Bascow, mis au fait de ces menées, sent
son terrain d'action se dérober : il se voit perdu, il veut fuir,
il veut emmener avec lui Léa, mais, ô surprise ! Léa refuse.
Alors, dans un élan de colère et de jalousie que rien n'annon-
çait et dont l'imprévu a singulièrement ému la salle, Bascow
se précipite sur elle et lui plante un couteau entre les deux
épaules. Maintenant, libre à Charles Brémont de se dédom-
mager de cet infâme mariage avec la sœur de Georges Derblin
qui ne demande pas mieux de se prêter à cette bienfaisante
réparation.

Je le répète, il y a dans Léa des passages qui trahissent
un auteur dramatique d'avenir ; le dénouement surtout éclate
comme une tempête et avec une sûreté d'effets qu'on ren-
contre rarement dans un ouvrage de début. Il importe peu que
Léa ait un grand succès ; je n'y crois pas, pour ma part.
L'essentiel est que M. Jean Malus ou M. Maujean, comme
il vous plaira, se soit produit dans des conditions convenables.
Quand M. Malus ou M. Maujean fera passer sa carte à un
directeur de théâtre, celui-ci se rappellera parfaitement qu'il
s'agit de l'auteur de Léa. Au surplus, le drame est bien rendu,
et l'interprétation vaut la peine qu'on se dérange. Esquier, qui
fait Brémont, a eu des emportements superbes, et Villeray,
chargé du rôle odieux de Bascow, l'a joué avec une louable
sobriété. M"° Marie Colombier a eu sa part d'applaudissements
dans le personnage scabreux de Léa : cette actrice avait beau-
coup à apprendre, et, à ce titre au moins, son voyage en Amé-
rique à la suite de Sarah Bernhardt n'aura pas été sans fruit.

Arthur Heulhard.
 
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