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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 2.1876 (Teil 2)

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Yriarte, C.: Notre bibliothèque
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Mancino, Léon: Le salon de M. Manet
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https://doi.org/10.11588/diglit.16690#0138

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NOTRE

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LXII.

J. F. MILLET. Souvenirs de Barbizon, par Alexandre pieda-
gnel, avec un portrait et neuf eaux-fortes par Beauverie,
M. Lalanne, Ad. Lalauze, Piguet, Fel. Rops et Alfred Taïée. —
Paris, Ve A.'Cadart, éditeur, 56, boulevard Haussmann.

l semble qu'au lendemain même
de sa mort, la postérité ait com-
mencé pour François Millet. Après
une vie de lutte et de déceptions
qui auraient abattu un homme
moins énergique et moins con-
vaincu, le peintre de VAngélus a
eu tout d'un coup son heure de
revanche, et ceux qui étaient ré-
fractaires à cette façon d'exprimer
largement les choses, et qui ne se sentaient point touchés par
une simplicité qui allait souvent jusqu'à l'épique, devant la
plainte unanime et tant de regrets éloquents, ont hésité et se sont
demandé si véritablement ils n'étaient pas passés, sans le com-
prendre, à côté d'un très-grand artiste et d'une haute personnalité.

Tous ceux qui s'occupent d'art en France et qui ont à leur
disposition une revue, un journal, une publication périodique,
ont payé leur tribut au peintre et ont tenté d'analyser un talent
fait de raison, de sentiment et d'intime pénétration. Aujourd'hui,
un écrivain qui a connu l'homme et qùi voulait lui consacrer
mieux qu'un souvenir fragile et une rapide biographie,
M. Alexandre Piedagnel, publie un volume tout entier intitulé
J. F. Millet, Souvenirs de Barbi\on, et il enrichit son étude d'un
beau portrait et de neur eaux-fortes imprimés avec le plus grand
luxe et gravés par des hommes d'un talent éprouvé. C'estl'homme
qu'il nous montre, le père et l'artiste intime, plein de pensées
élevées, de réminiscences classiques, amateur des grands écrivains
de l'antiquité, s'en allant sous les arbres de la forêt son bâton
à la main, comme un patriarche, en laissant échapper des vers
de Théocrite et des idylles de Moschus. Il y a dans cette publi-

cation faite avec un soin pieux, tout un côté pratique qui sera
utile plus tard à ceux qui écriront l'histoire de l'art de ce temps-
ci. M. Piedagnel a donné un catalogue des différentes ventes qui
ont eu lieu après le décès de l'artiste et a consciencieusement
tenu compte des prix que chaque œuvre a obtenus. On ne saurait
trop louer la vénération avec laquelle son étude est écrite et lé
charme ému qui résulte de cette lecture; on aimait Millet; en
regardant son œuvre, on respecte l'homme et on a pour lui
l'estime que méritaient son grand caractère et ses nobles
tendances.

M. Piedagnel a cité une page autographe de l'artiste, que nous
voulons citer à notre tour en parlant de son livre. C'est une
réponse aux critiques à vue courte qui ont nié le sentiment du
maître et n'ont voulu voir dans sa synthèse simple, calme et
souvent grandiose qu'une pauvreté mal dissimulée.

« Il en est qui me disent que je nie les charmes de la cam-
pagne ; j'y trouve bien plus que des charmes, d'infinies splen-
deurs. J'y vois, tout comme eux, les petites fleurs dont le Christ
disait: « Je suis assuré que Salomon lui-même, dans toute sa
« gloire, n'a jamais été vêtu comme l'une d'elles. » Je vois très-
bien les auréoles des pissenlits, et le soleil qui étale là-bas, bien
loin par delà les pays, sa gloire dans les nuages. Je n'en vois pas
moins dans la plaine, tout fumants, les chevaux qui labourent,
puis dans un endroit rocheux un homme tout erréné, donc on a
entendu les Han depuis le matin, qui tâche'de se redresser un
instant pour souffler. Le Drame est enveloppé de splendeurs, cela
n'est pas de mon invention, et il y a longtemps que cette
expression « le cri de la terre » est trouvée. Mes critiques sont
des gens instruits et de goût, j'imagine, mais je ne peux me
mettre dans leur peau, et comme je n'ai jamais de ma vie vu
autre chose que les champs, je tâche de dire comme je peux ce
que j'ai vu et éprouvé quand j'y travaillais. Ceux qui voudront
faire mieux ont certes la part belle. »

C'est une bonne fortune d'entendre un homme comme Millet
expliquer son œuvre, et il faut savoir gré à M. Piedagnel d'avoir
encadré dans son volume cette curieuse page.

C. Yriarte.

LE SALON DE M. MANET

M. Manet nous a fait l'honneur de nous adresser une très-
élégante carte d'invitation à « venir voir ses tableaux refusés par
le Jury de 1876, qui seront exposés dans son atelier, 4, rue de
Saint-Pétersbourg, du 15 avril au ier mai ». Nous nous sommes
empressé de nous rendre à cet appel, bien que nous fussions
fixé sur le cas que M. Manet fait de la critique, sa devise en
lettres d'or, qui surmonte la carte en question : « Faire vrai,
laisser dire, » ne laissant aucun doute à cet égard.

Une Femme occupée à laver du linge dans un jardin est
une création qui a dû coûter à l'auteur d'énormes efforts d'ima-
gination ! Cela n'est ni bon ni mauvais ; cela n'est pas. On
chercherait en vain la moindre trace de dessin ou un soupçon de
modelé. Quant à la couleur, des taches malpropres, blafardes,
sans l'ombre d'accent, n'ont jamais constitué œuvre de coloriste.
Il est radicalement impossible d'être moins vrai.

L'organisation des expositions annuelles est, selon nous, abso-
lument vicieuse ; nous sommes de ceux qui n'admettent pas que
les artistes ne fassent pas eux-mêmes leurs affaires et sans la
moindre intervention administrative. Mais puisqu'il existe un
Jury, ceux qui lui soumettent leurs œuvres acceptent nécessaire-
ment soa autorité; si ce Jury avait eu la faiblesse de recevoir la

chose informe signée par M. Manet, il eût été impardonnable. Le
Manet de l'an dernier — Argenteuil — était une merveille si on le
compare aux placards de couleur si péniblement fixés sur la toile
qui vient d'être proscrite. Nous disons péniblement, car il ne
faut pas s'imaginer qu'il s'agisse d'une pochade ; cela est énor-
mément travaillé, et M. Manet, qui depuis de longues années
piétine sur place, se donne beaucoup de mal pour arriver à des
résultats s,ans nom; il n'aboutit qu'à la suppression successive
des quelques qualités qui se trouvaient chez lui à l'état de
germes. L'exclusion du Portrait de M. Desboutins se justifie
moins, car il y a toujours au Salon pis que cela, bien que ce soit
loin d'être passable. Le Bon Bock, pour lequel on s'enthousiasma
si naïvement pendant quelques jours, mettait au moins en
lumière les mérites, très-secondaires il est vrai, que l'on espérait
voir se dégager des efforts de M. Manet. Le Portrait de M. Des-
boutins est fort loin de valoir le Bon Bock, dont il ne développe,
et très-largement, que tous les défauts. C'est d'un vulgaire
affligeant, ce portrait en pied d'un homme qui bourre sa pipe et
ne se tient pas sur des jambes absentes de ses vêtements. Nous
vous recommandons surtout la jambe gauche. Et que dire de la
composition, si ce n'est qu'elle échappe à toute critique sérieuse.
 
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