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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 2.1876 (Teil 2)

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Decamps, Louis: Notre bibliothèque
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LXIV.

FIGURES D'OPÉRA-COMIQUE, par Arthur Pougin. Un vol.
in-i6,chez Tresse, éditeur, galerie de Chartres, 10 et u, Palais-
Royal.

ous ce titre M. Pougin a retracé les débuts, les
succès et les créations de quelques-uns des artistes
les plus célèbres de la Comédie italienne, qui s'est
appelée successivement théâtre Favart et théâtre
de l'Opéra-Comique. Son livre se compose de trois
parties distinctes et donne les biographies de M'"e Dugazon,
d'Elleviou, et de la famille Gavaudan. Mais le sujet amène for-
cément l'auteur à parler de plusieurs des acteurs et actrices de la
môme époque, ainsi que de ceux qui ont tenu avant et après eux
les mêmes rôles. De cette façon l'Opéra-Comique tout entier
défile peu à peu sous les yeux du lecteur qui, grâce à un exposé
rapide mais précis, peut juger par comparaison si notre seconde
scène lyrique est en décadence ou en progrès.

Une chose digne de remarque dans le livre de M. Pougin,
c'est la réserve avec laquelle l'auteur parle des hommes et des
choses du temps passé et le soin qu'il apporte dans l'examen des
documents qui lui sont soumis. Il évite de se prononcer sur eux
d'une manière absolue. Sa critique et son opinion personnelle se
forment d'après les appréciations des publications du moment.

Les citations abondent dans son livre; elles sont empruntées
aux journaux ec aux revues d'alors qui s'occupaient de théâtre
et d'art. Si l'on peut reprocher à quelques-unes d'entre elles
d'être un peu longues et un peu uniformes, elles offrent néan-
moins un intérêt assez vif, en ce sens qu'elles nous donnent la
mesure exacte du goût du public de la fin du xvine siècle et du
commencement de celui-ci, pour ce qui touche à la musique et à
la comédie.

Le côté intime et privé de l'existence des artistes n'est pas
oublié dans le livre de M. Pougin. Les anecdotes, les traits de
mœurs et de caractère sont presque toujours choisis avec goût.
Je citerai comme exemple l'aventure arrivée à Elleviou, lors de
ses premiers débuts dans la carrière théâtrale. « Elleviou ne à
Rennes fit de bonnes études littéraires en compagnie du général
Moreau et d'Alexandre Duval, l'écrivain dramatique. Son père,
chirurgien en chef de l'hôpital militaire de cette ville, le destinait
à la profession médicale. Elleviou fut donc envoyé à Paris pour
suivre les cours de l'Ecole de Médecine ; mais la vue de l'am-
phithéâtre lui donnait des nausées; il préférait jouer la comédie
de société, où d'excellentes dispositions naturelles lui valaient des
applaudissements qui décidèrent de sa vocation. Bientôt il jeta
aux orties, avant même de l'avoir endossée, sa future robe de
docteur, accepta un engagement qui lui était offert pour La Ro-
chelle, et quitta furtivement Paris pour se rendre dans cette
ville. Mais sa famille avait été prévenue, et comme elle voulait
à toute force l'empêcher de monter sur les planches d'un théâtre,
elle avait pris ses mesures en conséquence et fait agir l'autorité.
Informé de son escapade, l'intendant de la province fait arrêter
le débutant. On l'enferme dans une tour faisant partie de la
prison de la ville et donnant sur la place. Cette détention pro-
cure au jeune Breton un auditoire bien plus nombreux, un succès
bien plus grand qu'il ne l'avait ambitionné. Les dames surtout
prennent parti pour le bel acteur et la ville entière va écouter et
applaudir le troubadour captif qui chante à une des fenêtres de
sa prison la romance de Richard :

Dans une tour obscure
Un roi puissant languit. »

Citons encore le démêlé qu'eut le même Elleviou, avec M. de
Brigode, chambellan de Napoléon Ior, à l'occasion du mariage

de celui-ci avec Marie-Louise : « Les deux cours de France et
d'Autriche se réunirent dans la ville.de Lille, où de grandes fêtes
devaient avoir lieu. Naturellement les comédiens et les chanteurs
ordinaires de l'empereur y avaient été appelés.

« A son arrivée, Elleviou vit qu'on avait affiché Richard
Cœur de Lion, suivi du petit opéra d'Adolphe et Clara. Sans
plus attendre, il écrit à l'administration qu'il veut bien jouer les
deux pièces en commençant par Adolphe et Clara, mais non au-
trement. D'ordinaire après le rôle fatigant de Blondel, dans
Richard, il ne pouvait plus rien jouer, disait-il.

« On en réfère à M. de Brigode, le chambellan de service.
Ce dignitaire furieux vient trouver Elleviou et lui dit que c'est
par ordre, et qu'il n'a qu'à s'exécuter.

« L'empereur, qui devait aller à la soirée de la préfecture,
voulait voir Richard Cœur de- Lion, où l'on chante un chœur
qui commence ainsi : Célébrons ce bon ménage. C'était de cir-
constance et le chambellan comptait qu'on saisirait l'à-propos.

« Quand le chambellan eut parlé, Elleviou se leva et répon-
dit froidement.

« — Monsieur le chambellan, ma voix ne reçoit pas d'or-
dres. » Et il passa dans une pièce voisine.

Au théâtre le directeur, les artistes, qui connaissaient Elle-
viou de longue date, déclaraient qu'il ne jouerait pas. Voilà
M. de Brigode sur les épines et regrettant presque de s'être laissé
emporter.

Le spectacle commence. Napoléon, Marie-Louise et toute la
cour prennent place avant le deuxième acte de Richard Cœur de
Lion. Au duo : Une fièvre brûlante, l'empereur donne le signal
des applaudissements, et pendant toute la pièce Elleviou obtient
personnellement un immense succès.

« Très-flatté dans son amour-propre d'artiste, Elleviou, qui
savait aussi que l'affiche n'avait pas été changée, en rentrant
dans sa loge fit appeler le régisseur et lui dit :

« Priez M. de Brigode de vouloir bien venir dans ma loge. »

« Ce dernier s'y transporta, et, à son entrée, Elleviou lui dit
avec beaucoup de dignité :

« — Monsieur le chambellan, je consens à jouer Adolphe et
Clara.

v Puis il se retourne et procède à son changement de cos-
tume. »

L'anecdote est jolie et méritait certes de trouver place dans
un livre qui s'applique à montrer l'homme dans l'artiste et à
mettre en relief l'influence du naturel sur le talent. Le but de
M. Pougin n'est pas seulement en effet de nous initier aux
faits artistiques importants qui se sont produits à l'Opéra-
Comique durant une période de quarante à cinquante ans, mais
d'examiner encore successivement chacune des faces du talent des
principaux acteurs de ce théâtre, pendant la même période. Ce
but, il l'indique nettement dans sa préface.

« On s'occupe, dit-il, rarement des chanteurs d'une façon un
peu instructive. On encense les favoris du jour, on les couvre de
louanges hyperboliques, sans leur faire l'honneur d'une discus-
sion sincère. Quant à ceux du passé, on se répand sur leur
compte en anecdotes plus ou moins authentiques, on en fait de
véritables idoles qu'il ne reste plus qu'à diviniser, mais on ne
les discute pas davantage, et l'on ne se donne pas la peine de re-
chercher l'ensemble des qualités qui constituent le fond de leur
talent personnel. Cette préoccupation relative au côté épisodique
de la vie des artistes n'est nullement blâmable, à la condition tou-
tefois qu'elle ne soit pas exclusive et qu'elle n'empêche pas l'étude
des faits intéressant spécialement leur carrière et l'influence
qu'ils ont pu exercer sur la marche de l'art, au point de vue qui
leur est personnel. » «

On voit par cet aperçu dans quel esprit est conçu l'ouvrage
de M. Pougin. Eh somme c'est un résumé intéressant de la situa-

»
 
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