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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 2.1876 (Teil 2)

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Vimenal, Charles: Le Requiem de M. Charles Gounod
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https://doi.org/10.11588/diglit.16690#0140

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ii4

L'ART.

la Messe brève en ut majeur, pour trois voix d'hommes avec
accompagnement d'orgue, une des premières et même la pre-
mière sans doute, quelques pages qui ne comptent guère dans
l'œuvre de Gounod, mais qui n'en sont pas moins intéressantes
comme point de départ et comme indice. Pour écrire cela, il faut
croire, mais à la condition de comprendre les choses et de les
expliquer à sa manière. Cela est respectueux, mais par amour,
non par éducation et par obéissance. C'est l'expansion d'une
âme qui se donne avec joie et presque avec la certitude d'être
bien accueillie en dépit du proverbe : Beaucoup d'appelés et peu
d'élus. Il y a comme un sourire qui rayonne au milieu de ses
implorations. Le Kyrie notamment est une prière qui ne trahit
pas la moindre inquiétude; elle est bien sûre d'être exaucée.
Dans les deux messes dites des Orphéonistes, et dans la messe
solennelle de sainte Cécile, pour soli, chœurs et orchestre, la
plus importante des compositions religieuses de l'auteur, on
retrouve variées à l'infini, renouvelées par la forme et la couleur,
transformées par l'expression, ces deux notes essentielles qui
sont en quelque sorte la tonique et la dominante de la poésie
mystique de l'éminent artiste : la foi sincère et confiante qui
a son siège dans le cœur, l'indépendance d'un esprit qui tient
d'autant plus à sa liberté qu'il est moins disposé à se soustraire à
sa responsabilité.

Cette musique ne nous ramène pas aux terreurs et aux servi-
tudes du moyen âge. Elle nous transporterait plutôt, dans les
catacombes, parmi les premiers chrétiens, dont il semble que le
compositeur ait voulu traduire les aspirations dans l'admirable
Sanctusàc sa Messe solennelle. Elle n'a rien de gothique; elle est
plutôt un christianisme qu'un catholicisme musical. Elle n'a rien
non plus de ce faux goût théâtral et mélodramatique qui, par la
confusion des genres et l'interversion des styles, déroute l'auditeur
et paralyse son émotion. Elle a cela de particulièrement intéressant
qu'inspirée d'une idée aussi vieille que notre ère, et aguerrie à
l'école des plus anciens maîtres dont elle s'est assimilé les ensei-
gnements tout en se gardant de l'imitation de leurs procédés, elle
est essentiellement moderne et contemporaine tant par le fond que
par la forme : par le fond, mélange de dévotion mystique et de
passion assaisonnée d'esprit critique; par la forme, élégante dans
la sévérité, raffinée dans la simplicité même, et neuve jusque dans
l'archaïsme. Enfin, et sans essayer d'une assimilation impossible
entre les opinions philosophiques de l'écrivain et les croyances
religieuses de l'artiste, il n'y a pas lieu de s'étonner que le siècle
qui a produit Renan et la Vie de Jésus ait trouvé en Gounod le
meilleur interprète de ses adorations.

Le Requiem, dont la première audition a eu lieu le 14 avril au
Cirque d'hiver, pour la dernière soirée des Concerts populaires
de M. Pasdeloup, et sous la direction magistrale et magnétique
du compositeur, montre sous un nouvel aspect l'inspiration reli-
gieuse de M. Gounod. C'est la première fois, au moins devant le
public français, qu'il se mesurait avec la prose des morts, et de
ce texte sacré que le plain-chant grégorien a marqué d'une
empreinte ineffaçable et dont le plus souvent on s'évertue à faire
saillir le côté terrible, le musicien a tiré un acte de foi, d'espé-
rance et de charité, une promesse en même temps qu'une prière,
et une consolation en même temps qu'une plainte. N'y cherchez
pas les visions maladives des hallucinés; n'y cherchez pas davan-
tage l'épouvante d'une âme prosternée devant la Toute-Puissance
et persuadée que l'homme a tout à craindre de son implacable
rigueur. L'œuvre est d'une gravité sereine et non pas d'une tris-
tesse désespérée. On y sent le froid de la mort, on y respire
l'atmosphère glacée du sépulcre; mais la musique, après avoir
versé de vraies larmes, s'élève bien au-dessus de la tombe pour
faire appel à l'éternelle justice et exprimer sa confiance dans la
Souveraine Bonté. L'idée de l'espérance et de la vie domine ce
cantique funèbre qui est un hommage rendu à la clémence divine,
et comme une revendication du pardon.

Dans le double chœur de l'Introït et du Kyrie, il s'établit
une sorte de lutte entre cette crainte instinctive que fait naître la

mort et cet autre instinct qui fait entrevoir au delà du tombeau
un idéal supérieur à la réalité terrestre : et lux perpétua luceat
's. Cette lutte se manifeste par la succession des accords dont
s deux phalanges chorales se renvoient les échos, et par les
élévations et les affaissements de la prière, hésitante, agitée, tour
à tour consternée et rassérénée. La crainte l'emporte un instant;
à la fin de l'Introït il semble que la mort ne laisse pas d'issue à
l'espoir, et le pianissimo saccadé du chœur au début du Kyrie,
ses accents de stupeur, indiquent qu'il ose à peine supplier. L'em-
ploi alterné de l'archet et du pizzicato dans le quatuor ajoute à
l'effet des harmonies frissonnantes des parties vocales. Mais çe
frisson n'est qu'une faiblesse d'un moment; les supplications
du chœur se raniment, la prière reprend courage, c'est l'espérance
qui triomphe, et le Kyrie, qui a passé par toute une série de modu-
lations mineures, se termine après un vigoureux crescendo sur
l'accord parfait d'ut majeur, l'harmonie la plus sereine et la plus
confiante qu'il y ait au monde.

Toute l'œuvre est dans ce contraste, dans cette prédominance
de l'espoir sur la crainte, et partout vous voyez les épisodes
lugubres du texte liturgique relégués à dessein dans une ombre
discrète pour faire ressortir en pleine lumière les versets qui
sollicitent ou promettent la miséricorde infinie. C'est là une
interprétation qui, pour n'être pas conforme aux traditions des
maîtrises^ n'en est pas moins compatible avec le sens intime de la
prose de l'office des morts, une prière et non une menace.

Dans le Dies irœ, l'auteur n'attend pas le Tuba mirum pour
faire éclater à travers les sépulcres, per sepulcra regionum, les
sonorités stridentes des trompettes. Il déchaîne dès le début
l'imposante sonnerie des cuivres, qui s'élève de la terre aux
cieux et s'abaisse des cieux à la terre, annonçant aux hommes le
Jugement dernier, un jugement équitable, non une exécution
sommaire. Après cette majestueuse fanfare, on croit voir les
morts sortir de terre, et le saisissement que peut causer un pareil
spectacle est pris sur le vif avec une puissance d'accent qu'égale
et rend d'autant plus remarquable la simplicité des moyens d'ex-
pression. Ce début du Dies irœ est assurément une des plus
belles pages de l'œuvre. Fidèle à sa conception générale de la
messe funèbre, le compositeur sacrifie les lamentations du Quid
sum miser aux supplications du Recordare, dont elles ne sont que
le prélude amenant une mélodie qui s'épanche et s'élance sur une
progression ascendante pour retomber par une cadence, familière
à l'auteur et toujours bien accueillie, sur un pianissimo dont
l'effet est irrésistible. Le Confutatis maledictis, qui dans la plu-
part des messes funèbres fournit le sujet d'un grand tableau
infernal, n'est ici qu'un accident, ou une incidente, une antithèse
sombre aux suavités de VInter oves. M. Gounod évite ici la pas-
torale clichée à laquelle la plupart des musiciens se croient obli-
gés, faute d'avoir pénétré le texte dont ils s'inspirent. Inter oves
locum prœsta, fais-moi une place parmi les brebis, c'est-à-dire
parmi les élus, comme l'indiquent les mots qui suivent : Voca
me cum benedictis. S'amuser à ce propos à une pastorale, c'est
faire un mauvais jeu de mots, dont M. Gounod a eu raison de se
garer, en prenant le terme oves dans son sens figuré, le seul réel
ici, et non dans le sens littéral qui est le sens faux,jle contre-sens.
Le motif musical de Ylnter oves revient sur le Voca me, laissant
au second plan les supplices des damnés, Confutatis maledictis,
pour consacrer toute l'attention et toute l'espérance snr la grâce
des élus. De même, la plainte chromatique du Lacrymosa
empruntée au Quid sum miser n'est qu'une^ introduction à la
dernière phrase du Dies irœ, phrase compatissante et confiante,
Huic ergo parce Deus, sur laquelle l'auteur insiste, et qu'il sou-
ligne en terminant cette terrible page du Dies irœ par une
radieuse expansion des sonorités de l'orchestre.

L'Offertoire n'a pas été exécuté, les choristes n'ayant pas eu
le temps de l'étudier. Le Sanctus et surtout le Piet Jesu ont fait
une vive impression. Ce Pie Jesu est peut-être le chef-d'œuvre
de la partition, au double point de vue de l'intensité du senti-
ment et de la nouveauté de la contexture harmonique. Les deux
 
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