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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 2.1876 (Teil 2)

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Devier, Henri: Exposition de la Société des amis des arts de Bordeaux
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https://doi.org/10.11588/diglit.16690#0142

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L'ART.

commerce tient le premier rang, ne sont point exclusives. Les
chefs de nos grandes maisons ont en général une instruction peu
commune et très-variée. Tous ceux qui arrivent à des fonctions
électives y font preuve d'un esprit distingue, large et pratique à
la fois, beaucoup ont une connaissance parfaite du droit, des
langues et des littératures étrangères. Les voyages ont contribué
à leur orner l'esprit, à agrandir leur point de vue, à développer
l'imagination, cette faculté précieuse si fidèle aux natures méri-
dionales.

Ce qui a manqué ici, c'est une société, un groupe, un
homme ayant l'autorité suffisante pour réunir en un faisceau puis-
sant toutes ces intelligences dispersées. Le goût est inné dans nos
provinces du Midi, on a l'instinct de la couleur, du pittoresque
et du luxe; on aime le beau, et si notre Société des Amis des Arts
était à la hauteur de sa mission, elle verrait les adhérents venir
par milliers autour d'elle. Elle a malheureusement été mal con-
stituée, et si elle a obtenu quelques succès, c'est grâce à la sym-
pathie que son but inspirait et à l'activité d'un homme en qui
elle se personnifiait en quelque sorte et qui n'est plus.

Son règlement est défectueux, il est mal conçu. Il y domine
un esprit exclusif qui ne convient ni à notre pays ni à notre
temps de suffrage universel et de préoccupations égalitaires. Dès
l'origine l'élément étranger a dominé dans cette société et c'est
bien certainement à lui qu'il faut attribuer le défaut que nous
constatons.

Cette société s'est en quelque sorte immobilisée, momifiée:
pas d'action, pas de discussions, pas de renouvellement de bu-
reau, tout s'y fait sans bruit d'une façon tout intime et sous le
manteau de la cheminée. L'élément jeune, actif, progressif en est
exclu. Les hommes qui la dirigent, tous gens fort honorables, on
se plaît à le reconnaître, sont exclusifs, plus encore que ce règle-
ment qu'ils appliquent avec un soin jaloux. On les accuse, non
sans quelque apparence de vérité, de constituer une petite église
fermée, hors de laquelle le bureau ne se recrute jamais. Ces mes-
sieurs en effet se nomment encre eux, se recrutent entre eux, et
s'ils appellent en dehors de leur famille et de leurs intimes un
ou deux ou trois membres au plus à faire partie du bureau, c'est
en sous-ordre ; ceux-ci n'ont pas même, paraît-il, voix consul-
tative et peu importe leurs avis et leur opinion.

On en arrive bien vite à constituer ainsi une coterie, à faire
seuls, exclusivement seuls, les affaires d'une société ; on les fait
rarement bien et on court le risque de la tuer : c'est ce qui va
se produire.

Il n'est pas prudent d'assumer ainsi toute la responsabilité et
de vivre trop en dehors. Les artistes se sont plaints et se plai-
gnent, et « quand on est à l'honneur, messieurs, il faut être à la
peine ». Le public se désintéresse de nos expositions, il se plaint
de leur insignifiance toujours croissante, de la façon dont elles
sont formées, installées et conduites. C'est le droit et le devoir
de la presse de faire écho à ces reproches jusqu'à ce qu'il y soit
porté remède.

L'an dernier nous avons ici même constacé cette décadence ;
cette année elle s'accentue davantage et l'on parle tout haut de la
nécessité de substituer à cette société qui agonise une société
nouvelle, animée d'un autre esprit, régie par un règlement plus
français et plus libéral. Ce sont tous ceux qui apportent leur ar-
gent qui doivent avoir voix au chapitre, et non pas quelques-
uns. Voilà ce que vos souscripteurs disent et pensent.

Qui parmi vous s'occupe de visiter les artisces, de correspon-
dre avec eux et d'obtenir qu'ils vous envoient des œuvres nou-
velles d'un certain attrait? — Qui sollicite les amateurs de prê-
ter à vos expositions indigentes les œuvres importantes de leurs
galeries, de leurs cabinets? Enfin, parmi vous, qui achète des
œuvres d'art, qui s'occupe d'enrichir notre pauvre musée, de

protéger nos jeunes artistes bordelais, de leur servir d'intermé-
diaires près de l'Etat, d'obtenir pour eux des commandes ?

Votre rôle est absolument secondaire, vous faites ce que font
les marchands, rien de plus; vous exposez et vendez des tableaux
et en achetez vous-mêmes de petits, sans importance et à bas prix,
préférant toujours la quantité à la qualité! — Ceci vous a déjà
été dit en 1861, par M. Léon Lagrange, et c'est plus que jamais
le moment de vous le redire : « Il vous reste à vous élever à un
rôle prépondérant, il vous reste, secouant la torpeur qui vous
envahit, rejetant l'exclusivisme qui vous possède, à vous poser
comme les vrais protecteurs de l'art, en encourageant non-seule-
ment la peinture vénale ec la sculpture marchande, mais tout ce
qui, dans notre ville, est du ressort de l'art. L'administration des
Beaux-Arts n'existe pas en France en dehors de la capitale, soyez
cette administration et pour cela appelez à vous tous ceux que
recommandent leur amour de l'art, tous ceux que distinguent
leur goût, leur savoir, leur activité; renouvelez vocre bureau
chaque année, et appelez tous vos sociétaires à nommer au moins
le président sinon tous les membres de votre bureau. En agis-
sant ainsi vous rendrez la vie qui s'en va à votre société, vous y
intéresserez le public, et les adhésions vous viendront plus fran-
ches et plus nombreuses. »

L'exposition qui vient de s'ouvrir compte 620 numéros, elle
eût gagné à n'en avoir que 500, et il eût été facile de relever cet
ensemble monotone en empruntant trois ou quatre tableaux à
nos amateurs. Il eût suffi d'avoir les deux Troyon et le splendide
Roybet récemment acquis par M. J. Saulnier, un de ses Théo-
dore Rousseau, et de prier M. H. Bordes de joindre au tableau
qu'il a commandé à Bayard les deux toiles décoratives que cet
artiste a peintes tout récemment pour lui. L'Etat ne pouvait-il
envoyer autre chose que ce Saint Sébastien de Thirion, si tris-
tement accompagné par cette tête cYAbd-el-Kader. vieille esquisse
sans valeur et qu'on a vue partout sans qu'on ait jamais demandé
à la garder nulle part? — Quant à la Jeanne d'Arc de Benou-
ville, c'est une peinture vitreuse, œuvre d'un artiste distingué
inférieur à sa réputation. — Voilà ce qui constitue l'envoi du
ministère. C'est bien peu, et si quelqu'un l'avait sollicité pour nous,
il eût certainement envoyé des œuvres d'un tout autre intérêt.

Cette année encore beaucoup d'artistes bordelais manquent à
l'appel; ni Isidore ni Auguste Bonheur; de Rosa, une œuvre de
plomb sans importance; rien de Bouguereau, ni de Brown, ni de
Dargelas, de Duvergier, d'Eudes, de Félon, de Ferry, de
Lassalle, de Plassan, de Priou, de Princeteau, de Saint-Angel,
de Santa-Colonna ; j'en oublie, car ils sont nombreux les
artistes bordelais, mais jamais la Société des Amis des Arts
n'a cherché à les grouper. C'est par delà le Rhin, dans la
blonde et tendre Germanie, que cette société a, pendant de lon-
gues années, cherché, tout en prélevant un droit de courtage, à
faire sentir son influence et placé ses faveurs sur ces petits des-
sins de tabatières luisantes, polies, qu'on fabrique par centaines à
Dusseldorff et à Nuremberg concurremment avec les jouets d'en-
fants.

Ce n'est pas sans appréhension de monotonie que j'entre-
prends ce compte rendu, et cependant le livret porte beaucoup
de noms aimés et justement estimés de l'école contemporaine.
Mais rien de neuf dans ces œuvres, bien peu de choses réellement
intéressantes. Ce sont po'.ir la plupart des aquarelles, des esquis-
ses, des petits tableaux dont les marchands espèrent se débarras-
ser ici, grâce à l'étiquette et aux habitudes de notre Société des
Amis des Arts. Ce n'est pas de ce lot que j'aurai à m'occuper, à
de rares exceptions près ; c'est surtout des œuvres bordelaises
dont j'ai à entretenir nos lecteurs.

Henri Dévier.

(La suite prochainement.)
 
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