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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 2.1876 (Teil 2)

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Bonnin, A.: Salon de 1876: peinture, [3]
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https://doi.org/10.11588/diglit.16690#0218

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184 L'ART.

Oreste et les Furies (1284;, par M. Lematte, est une œuvre encore trop peu affranchie des leçons
de l'école et qui n'apporte pas une interprétation bien neuve, ni bien indépendante de ce drame tant de
fois retracé. Cependant il y faut reconnaître des qualités de composition et de dessin, et surtout je
veux tenir compte à l'auteur de n'avoir pas poussé jusqu'à l'horrible l'expression tragique de cette
scène. — On dirait en effet qu'une épidémie d'horreur s'est abattue sur la peinture. En parcourant
le salon, le regard se heurte à chaque instant aux convulsions de l'agonie ou aux pâleurs livides de
la mort. Des cadavres ou des mourants, tels sont les aimables modèles dont un trop grand nombre
d'artistes ont prétendu cette année charmer nos yeux; et il faut savoir quelque gré à ceux qui ont
échappé à cette contagion.

Ainsi, bien que M. Léon Glaize n'expose pas une toile faite précisément pour nous mettre en belle
humeur, on doit lui tenir compte de s'être fort amendé dans le choix de son sujet depuis la scène de
sauvagerie odieuse qu'il était allé, l'an passé, rechercher dans l'histoire romaine. Son tableau (920)
représente Orphée à l'instant où, cédant à un doute invincible, il se retourne pour voir s'il est suivi
d'Eurydice, et où il la perd à jamais. Il s'est inspiré de ce passage des Géorgiques : « Il s'arrêta, et,
presque aux portes du jour, il oublia sa parole, hélas! et, vaincu par la passion, tourna la tête pour
regarder sa chère Eurydice... «Qui donc, s'écrie Eurydice, m'a perdue?... Voilà que les destins cruels
m'entraînent encore une fois en arrière et que le sommeil ferme mes yeux éteints. Adieu donc, je me
sens emportée au sein d'une nuit épaisse, et, tendant vers toi mes mains défaillantes, hélas! je ne
t'appartiens plus! » M. Glaize a essayé de traduire mot à mot cet admirable récit, et cette tentative
est, à mon sens, le défaut originel de son œuvre.

Le peintre pouvait-il montrer ce que fait si bien voir le poëte? De l'image complexe tracée par
Virgile, il ne devait retenir que les aspects plastiques. Il a pu représenter Eurydice, « les yeux éteints
et fermés par le sommeil », tendant vers Orphée « ses mains défaillantes », mais il lui était interdit de
la figurer « entraînée en arrière par les destins cruels », et encore plus de faire comprendre le senti-
ment qu'elle exprime lorsqu'elle ajoute qu'elle « se sent emportée au sein d'une nuit épaisse ». Aussi
sent-on l'effort en face de sa composition, et sous cet effort on devine quelque chose d'inexprimé. —
La figure nue d'Orphée est élancée, d'un dessin élégant, correct, d'un modelé très-ferme, mais celle
d'Eurydice, qui flotte entrevue sous la transparence d'une légère draperie qui l'enveloppe comme une
blanche vapeur, n'exprime rien de précis'., et cela justement parce qu'elle avait trop de choses à dire,
et des choses que le langage des lignes et des couleurs ne peut formuler. — Je comprends qu'un artiste
distingué comme M. Léon Glaize se soit laissé séduire par la beauté de la scène retracée par le poëte ;
je regrette seulement qu'il ait tenté de la suivre pas à pas, sans s'apercevoir qu'il s'attaquait à une de
ces images littéraires très-frappantes pour l'esprit, mais que l'art du peintre est impuissant à rendre
visibles pour les yeux.

A. Bonnin.

(La suite au prochain numéro»)
 
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