NOTRE BIBLIOTHÈQUE
LXII.
Les Tapisseries de Liège a Madrid : Notes sur l'Apoca-
lypse d'Albert Durer ou de Roger Van der Weyden.
i vol. in-32 de 266 pages. Liège, J. Gothier, 1876.
'ancien pays de Liège, la patrie des Van Eyck, de
Warin, de Grétry, est riche en souvenirs artistiques. Il
était à prévoir qu'ils solliciteraient l'attention des écri-
vains et des érudits liégeois, et, en effet, depuis quelques années,
ils ont fait l'objet de travaux intéressants, que nous croyons
devoir signaler aux lecteurs de l'Art.
On vient de mettre en vente, je devrais plutôt dire, de dis-
tribuer, un in-32 de 266 pages, intitulé les Tapisseries de Liège
à Madrid^ Notes sur VApocalypse d'Albert Durer ou de Roger
Van der Weyden. Est-ce une indiscrétion que de révéler le nom
de l'auteur ? Le voile sous lequel M. Wittert se cache est bien
transparent, car la liste des quatre autres publications sorties de
sa plume se lit en regard du titre de cet écrit anonyme.
Il y a là une étude comparée, très-bien faite, des planches
sur bois de Durer représentant des scènes de l'Apocalypse et dos
huit tapisseries de Madrid, où des sujets analoguessont retracés,
d'après Van der Weyden, selon l'opinion commune. Notre auteur
donne la préférence à ces dernières, dont les cartons ne peuvent
avoir été exécutés que par un grand artiste. Mais pourquoi
M. Wittert a-t-il entremêlé ses réflexions très-sensées sur ces
tapisseries et les gravures de Durer d'hypothèses insoutenables?
Pourquoi échafaude-t-il, à la gloire de Liège, un système qu'il
n'appuie que sur des conjectures? D'après lui les tapisseries de
l:Apocalypse sortiraient des ateliers liégeois, ateliers qui auraient
disparu après le sac de la ville par Charles le Téméraire, et
Roger Van der Weyden, dont les dessins y servaient de modèles
aux tapissiers, aurait eu pour inspirateur l'évêque Jean de Heins-
berg, pour protecteur et conseil l'archidiacre Nicolas de Cusa,
pour ami Denis le Chartreux. Tout cela est possible, mais reste
à prouver. Toutefois, à propos de Nicolas de Cusa, une réflexion
bien simple renverse l'édifice élevé par M. Wittert. Loin de
passer sa vie à Liège, ce célèbre théologien séjourna presque
constamment en Italie ou en Allemagne. Trois papes : Eugène IV,
Nicolas V et Pie II l'employèrent fréquemment dans leurs négo-
ciations; puis, appelé, en 1448, au siège épiscopal de Brixen, il
ne reparut plus qu'accidentellement en Belgique. Pour accepter
ce que notre auteur avance à propos de ses relations avec Van
der Weyden, il faut attendre des preuves ; l'existence de la tapis-
serie liégeoise au xve siècle n'est pas mieux établie.
LXXIII.
I. Histoire de la peinture au pays de Liège, depuis l'intro-
duction du christianisme jusqu'à la Révolution française et à
la réunion de la principauté à la France, par M. Helbig.
1 vol. orné d'un grand nombre de planches. Liège, De
Thier, 1873.
II. Les grands architectes de la Renaissance aux Pays-
Bas : Lambert Lombard, i vol. in-4, par M. Auguste
Schoy, professeur d'architecture à l'Académie des Beaux-
Arts d'Anvers. Bruxelles, Hayez, 1876.
Plus important sous tous les rapports est le volume, grand
in-octavo, que M. Helbig a écrit sous ce titre : Histoire de la
peinture au pays de Liège depuis l'introduction du Christianisme
jusqu'à la Révolution française et à la réunion de la principauté-
de France. Basé sur les documents et sur une étude conscien-
cieuse des objets d'art, ce travail est;digne des plus grands éloges ;
il abonde en renseignements curieux, bien coordonnés et bien
présentés. Qu'il nous soit permis, cependant, de présenter ici
quelques observations critiques.
L'auteur ne conteste pas l'authenticité ou l'exactitude d'une
inscription récemment découverte à Maeseyck et où on lit qu'une
chasuble, attribuée aux saintes Horlende et Relende, fut bénite
par saint Théodard, qui fut évêque de Liège de 653 à 656. Les
objets précieux appartenant à une époque aussi reculée sont si
rares et en même temps si importants, qu'on ne saurait en con-
trôler l'origine avec assez de minutie. Or, il importe de le
remarquer, les deux saintes dont nous venons de parler n'ont
vécu, selon les légendaires, qu'au vm" siècle. Elles ne furent
donc pas contemporaines de saint Théodard, d'autant plus que
leur patrie n'était pas encore convertie au christianisme, du temps
de ce prélat. L'inscription est donc inexacte et, suivant toute
probabilité, appartient à une époque beaucoup plus récente. Un
nouvel examen de la chasuble ne serait donc pas inutile.
Après avoir parlé des Van Eyck, M. Helbig cite un peintre
appelé Antoine et déjà signalé par M. Pinchart comme ayant
continué l'école de Liège. Il aurait pu mentionner un second
artiste, dont l'existence, révélée récemment, prouve que les Lié-
geois ne se bornaient pas à travailler pour leurs compatriotes,
mais aussi pour les contrées voisines. Je veux parler d'EusTACHE
de Liège, qui sculpta le grand rétable placé sur le maître-autel de
l'église d'Erckelenz. La vieille chron ique locale à laquelle nous
empruntons ce renseignement (dans Eekertz, Fentes adhuc inediti
rerum Rhenanarum. p. m) ajoute qu'en l'année 1457 le rétable
fut en partie doré, en partie couvert de couleurs à l'huile par
maître Jean Van Stockum (Stockhem est une localité de l'ancien
pays de Liège, près de Maestricht), pour la somme de 225 flo-
rins d'or. Erckelenz constituant un domaine du chapitre d'Aix-
la-Chapelle, ville qui était alors comprise dans le diocèse de Liège,
on s'explique la préférence qui y était donnée aux artistes lié-
geois pour des travaux de toute espèce.
Parmi les illustrations auxquelles M. Helbig consacre une
notice étendue figure Lambert Lombard. Mais cette personna-
lité remarquable, qui contribua si puissamment à populariser aux
Pays-Bas le style Renaissance, a été étudiée avec plus de soin par
M. Auguste Schoy, professeur d'architecture à l'Académie des
Beaux-Arts d'Anvers [les Grands Architectes de la Renaissance
aux Pays-Bas. Lambert Lombard. Bruxelles, Hayez, 1876, in-4c).
Si M. Schoy ne donne pas autant de détails que M. Helbig sur
les tableaux de Lombard, il a mieux précisé le rôle capital qu'il
joua comme architecte et l'influence qu'il exerça aux Pays-Bas,
soit directement, soit par ses élèves : Hubert Goltzius, Guillaume
Key et Frans Floris.
Les dernières parties de F Histoire de la peinture au pays de
Liège sont consacrées aux artistes des xvjicet xvine siècles. C'est
l'époque de Bertholet, de Lairesse, de Carlier. A mesure que
l'auteur se rapproche de notre temps, il marche avec plus d'as-
surance et entre dans de plus grands décails. Pour cette dernière
époque, il a pu utiliser les Notes de Danois, qui ont été publiées
par M. Stanislas Bormans (Liège, Carmanne, 1867, in-8°),
d'après un manuscrit appartenant à M. le notaire Dumont.
F. Dartois, qui mourut en 1849, était un ciseleur qui vit les
œuvres d'art éprouver bien des vicissitudes et eut le mérite de
conserver des données utiles pour leur histoire.
Disons-le en l'honneur des écrivains liégeois, ils n'ont rien
négligé pour éclairer l'histoire des artistes de leur pays, histoire
qui, à cette heure, ne présente guère de lacune bien considérable.
Alphonse Wauters.
LXII.
Les Tapisseries de Liège a Madrid : Notes sur l'Apoca-
lypse d'Albert Durer ou de Roger Van der Weyden.
i vol. in-32 de 266 pages. Liège, J. Gothier, 1876.
'ancien pays de Liège, la patrie des Van Eyck, de
Warin, de Grétry, est riche en souvenirs artistiques. Il
était à prévoir qu'ils solliciteraient l'attention des écri-
vains et des érudits liégeois, et, en effet, depuis quelques années,
ils ont fait l'objet de travaux intéressants, que nous croyons
devoir signaler aux lecteurs de l'Art.
On vient de mettre en vente, je devrais plutôt dire, de dis-
tribuer, un in-32 de 266 pages, intitulé les Tapisseries de Liège
à Madrid^ Notes sur VApocalypse d'Albert Durer ou de Roger
Van der Weyden. Est-ce une indiscrétion que de révéler le nom
de l'auteur ? Le voile sous lequel M. Wittert se cache est bien
transparent, car la liste des quatre autres publications sorties de
sa plume se lit en regard du titre de cet écrit anonyme.
Il y a là une étude comparée, très-bien faite, des planches
sur bois de Durer représentant des scènes de l'Apocalypse et dos
huit tapisseries de Madrid, où des sujets analoguessont retracés,
d'après Van der Weyden, selon l'opinion commune. Notre auteur
donne la préférence à ces dernières, dont les cartons ne peuvent
avoir été exécutés que par un grand artiste. Mais pourquoi
M. Wittert a-t-il entremêlé ses réflexions très-sensées sur ces
tapisseries et les gravures de Durer d'hypothèses insoutenables?
Pourquoi échafaude-t-il, à la gloire de Liège, un système qu'il
n'appuie que sur des conjectures? D'après lui les tapisseries de
l:Apocalypse sortiraient des ateliers liégeois, ateliers qui auraient
disparu après le sac de la ville par Charles le Téméraire, et
Roger Van der Weyden, dont les dessins y servaient de modèles
aux tapissiers, aurait eu pour inspirateur l'évêque Jean de Heins-
berg, pour protecteur et conseil l'archidiacre Nicolas de Cusa,
pour ami Denis le Chartreux. Tout cela est possible, mais reste
à prouver. Toutefois, à propos de Nicolas de Cusa, une réflexion
bien simple renverse l'édifice élevé par M. Wittert. Loin de
passer sa vie à Liège, ce célèbre théologien séjourna presque
constamment en Italie ou en Allemagne. Trois papes : Eugène IV,
Nicolas V et Pie II l'employèrent fréquemment dans leurs négo-
ciations; puis, appelé, en 1448, au siège épiscopal de Brixen, il
ne reparut plus qu'accidentellement en Belgique. Pour accepter
ce que notre auteur avance à propos de ses relations avec Van
der Weyden, il faut attendre des preuves ; l'existence de la tapis-
serie liégeoise au xve siècle n'est pas mieux établie.
LXXIII.
I. Histoire de la peinture au pays de Liège, depuis l'intro-
duction du christianisme jusqu'à la Révolution française et à
la réunion de la principauté à la France, par M. Helbig.
1 vol. orné d'un grand nombre de planches. Liège, De
Thier, 1873.
II. Les grands architectes de la Renaissance aux Pays-
Bas : Lambert Lombard, i vol. in-4, par M. Auguste
Schoy, professeur d'architecture à l'Académie des Beaux-
Arts d'Anvers. Bruxelles, Hayez, 1876.
Plus important sous tous les rapports est le volume, grand
in-octavo, que M. Helbig a écrit sous ce titre : Histoire de la
peinture au pays de Liège depuis l'introduction du Christianisme
jusqu'à la Révolution française et à la réunion de la principauté-
de France. Basé sur les documents et sur une étude conscien-
cieuse des objets d'art, ce travail est;digne des plus grands éloges ;
il abonde en renseignements curieux, bien coordonnés et bien
présentés. Qu'il nous soit permis, cependant, de présenter ici
quelques observations critiques.
L'auteur ne conteste pas l'authenticité ou l'exactitude d'une
inscription récemment découverte à Maeseyck et où on lit qu'une
chasuble, attribuée aux saintes Horlende et Relende, fut bénite
par saint Théodard, qui fut évêque de Liège de 653 à 656. Les
objets précieux appartenant à une époque aussi reculée sont si
rares et en même temps si importants, qu'on ne saurait en con-
trôler l'origine avec assez de minutie. Or, il importe de le
remarquer, les deux saintes dont nous venons de parler n'ont
vécu, selon les légendaires, qu'au vm" siècle. Elles ne furent
donc pas contemporaines de saint Théodard, d'autant plus que
leur patrie n'était pas encore convertie au christianisme, du temps
de ce prélat. L'inscription est donc inexacte et, suivant toute
probabilité, appartient à une époque beaucoup plus récente. Un
nouvel examen de la chasuble ne serait donc pas inutile.
Après avoir parlé des Van Eyck, M. Helbig cite un peintre
appelé Antoine et déjà signalé par M. Pinchart comme ayant
continué l'école de Liège. Il aurait pu mentionner un second
artiste, dont l'existence, révélée récemment, prouve que les Lié-
geois ne se bornaient pas à travailler pour leurs compatriotes,
mais aussi pour les contrées voisines. Je veux parler d'EusTACHE
de Liège, qui sculpta le grand rétable placé sur le maître-autel de
l'église d'Erckelenz. La vieille chron ique locale à laquelle nous
empruntons ce renseignement (dans Eekertz, Fentes adhuc inediti
rerum Rhenanarum. p. m) ajoute qu'en l'année 1457 le rétable
fut en partie doré, en partie couvert de couleurs à l'huile par
maître Jean Van Stockum (Stockhem est une localité de l'ancien
pays de Liège, près de Maestricht), pour la somme de 225 flo-
rins d'or. Erckelenz constituant un domaine du chapitre d'Aix-
la-Chapelle, ville qui était alors comprise dans le diocèse de Liège,
on s'explique la préférence qui y était donnée aux artistes lié-
geois pour des travaux de toute espèce.
Parmi les illustrations auxquelles M. Helbig consacre une
notice étendue figure Lambert Lombard. Mais cette personna-
lité remarquable, qui contribua si puissamment à populariser aux
Pays-Bas le style Renaissance, a été étudiée avec plus de soin par
M. Auguste Schoy, professeur d'architecture à l'Académie des
Beaux-Arts d'Anvers [les Grands Architectes de la Renaissance
aux Pays-Bas. Lambert Lombard. Bruxelles, Hayez, 1876, in-4c).
Si M. Schoy ne donne pas autant de détails que M. Helbig sur
les tableaux de Lombard, il a mieux précisé le rôle capital qu'il
joua comme architecte et l'influence qu'il exerça aux Pays-Bas,
soit directement, soit par ses élèves : Hubert Goltzius, Guillaume
Key et Frans Floris.
Les dernières parties de F Histoire de la peinture au pays de
Liège sont consacrées aux artistes des xvjicet xvine siècles. C'est
l'époque de Bertholet, de Lairesse, de Carlier. A mesure que
l'auteur se rapproche de notre temps, il marche avec plus d'as-
surance et entre dans de plus grands décails. Pour cette dernière
époque, il a pu utiliser les Notes de Danois, qui ont été publiées
par M. Stanislas Bormans (Liège, Carmanne, 1867, in-8°),
d'après un manuscrit appartenant à M. le notaire Dumont.
F. Dartois, qui mourut en 1849, était un ciseleur qui vit les
œuvres d'art éprouver bien des vicissitudes et eut le mérite de
conserver des données utiles pour leur histoire.
Disons-le en l'honneur des écrivains liégeois, ils n'ont rien
négligé pour éclairer l'histoire des artistes de leur pays, histoire
qui, à cette heure, ne présente guère de lacune bien considérable.
Alphonse Wauters.