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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 2.1876 (Teil 4)

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Ménard, René: Les émaux cloisonnés de la Chine
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https://doi.org/10.11588/diglit.16692#0169

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LES ÉMAUX CLOISONNÉS DE LA CHINE. 147

allongent le cou en retournant la tête et les anses sont formées de dragons étranges, comme les
Chinois savent en inventer. Le couvercle est percé à jour pour laisser passer la fumée du parfum qui
brûle dans l'intérieur. Le second est un grand vase enrichi d'émaux cloisonnés qui en couvrent toute
la surface. Ce sont des plantes, des fleurs, des oiseaux et des papillons dont la riche coloration se
mêle aux filets d'or qui se croisent sur la surface. Ces vases, auxquels il serait difficile d'assigner une
date certaine, sont asssurément fort anciens et de la plus belle époque de l'art chinois.

Les peuples orientaux sont essentiellement décorateurs, ils sont même exclusivement décorateurs,
car la statuaire proprement dite, aussi bien que l'art du tableau, n'existe pas chez eux. Les Chinois,
avec leur goût décidé pour l'obésité des formes et leur penchant pour le grotesque, sont incapables
de voir dans la nature cet équilibre et cette harmonie de proportions qui charmaient tant les Grecs.
Les Hollandais ont poussé plus loin que personne l'art du tableau, qui consiste surtout à produire
l'illusion de la nature par le jeu de la lumière et de l'ombre. Les Chinois et les Japonais ont fait des
figures qui surprennent par la vérité de la tournure, mais qui s'isolent toujours, sans jamais être
reliées par les masses d'ombre ou de lumière.

11 y a, dans la manière de concevoir la nature, une différence radicale entre les artistes de l'Orient
et ceux de nos pays. On pourrait sur la carte tracer la délimitation des peuples qui tiennent compte
de la décoloration des teintes sous l'action de la lumière, et de ceux qui, dans un objet teinté, voient
uniquement la couleur propre qui lui est inhérente. Si un peintre français voit un arbuste en fleur dans
la campagne, il est saisi tout d'abord par la relation qui existe entre l'arbuste, le sol sur lequel il
repose et le ciel qui l'éclairé. La jDremière impression qui se grave dans son esprit est un tableau
exprimant les relations de tons dont l'ensemble et l'harmonie l'ont frappé ; il a saisi du premier coup
d'œil le groupe de fleurs qui accroche directement la lumière, et veut le distinguer de son voisin qui
se dissimule ou s'efface dans l'ombre et la lumière. Il tient compte des reflets, de l'obliquité des plans,
de la distance des objets qu'il a sous les yeux, de la perspective même et de tout ce qui constitue
l'illusion. S'il veut appliquer ce qu'il a vu à la décoration d'un vase, il est obligé de raisonner par
abstraction, de supprimer par la pensée le ciel, le terrain, l'ombre et la lumière, pour jeter sur la
panse de son vase une branche dont les fleurs s'isolent par leur coloration et se détachent sur un fond
conventionnel dont il n'a pas trouvé le modèle dans la nature.

Le Chinois, chez qui l'esprit de comparaison est beaucoup moins développé que dans nos races,
est uniquement frappé par la teinte rose d'une fleur ; il l'exprime franchement, directement, par un ton
posé à plat, qui est celui de la pétale elle-même, sans s'inquiéter autrement de l'ombre ou de la demi-
teinte produite par le relief. La fleur nous apparaît ainsi dans sa forme et dans sa couleur, mais rare-
ment dans son allure perspective et jamais dans son modelé. La teinte ainsi posée prend une fraîcheur
surprenante et s'associe harmonieusement avec les teintes voisines, sans que le peintre ait jamais
songé à en altérer la franchise ou à en neutraliser l'éclat par des demi-teintes. Faute d'avoir connu ce
principe, qui est l'essence même de l'art décoratif, nos peintres sur porcelaine exécutent souvent sur
la panse arrondie d'un vase des bouquets qui ne diffèrent en rien de celui qu'ils auraient fait sur un
tableau, et dépensent un soin et un talent énormes pour produire des ouvrages qui, à la distance voulue,
semblent d'une couleur terne et ne peuvent rivaliser avec ceux des artisans chinois, qui ont compris
l'art de moins haut, mais d'une manière plus juste. Néanmoins nos céramistes ont réalisé dans ces
dernières années un progrès immense, en étudiant les ouvrages chinois et japonais. Notre orfèvrerie,
qui est aujourd'hui maîtresse de leurs procédés techniques pour les émaux cloisonnés, commence aussi
à s'inspirer de leurs principes décoratifs et c'est aux applications qu'ils en font que nous devons les
progrès réalisés dans une industrie qui a été en 1867, et sera sans doute encore en 1878, un des prin-
cipaux éléments de notre succès.

René Ménard.
 
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