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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 2.1876 (Teil 4)

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Sarcey, Francisque: Art dramatique: Jane Essler
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https://doi.org/10.11588/diglit.16692#0307

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264 L'ART.

la claque la rappelait à la chute du rideau, elle revenait saluer le public, du haut de son toit, souriante
et fière. Un gamin, vous dis-je, un vrai gamin.

11 y a toujours dans la vie d'une actrice un rôle, qui est comme le point lumineux de sa carrière.
La pièce s'est trouvée être une œuvre supérieure, le personnage excellent, l'artiste s'y est surpassé ;
il y a été plus vivement goûté du public. Je crois que pour Mlle Jane Essler, le rôle de Marthe, dans
la Famille Bendlton, marque son heure la plus brillante. Elle y porta un grand sentiment de la réalité,
et une fougue de tempérament qui excita beaucoup d'admiration.

Depuis lors, elle ne rencontra plus que des rôles médiocres dans des pièces qui tombèrent : je
ne vois guère que la Camille du Centenaire, de Dennery et Plouvier où nous ayons pu l'applaudir
franchement et sans arrière-pensée. II faut dire que c'était, que c'est encore le mauvais temps du
drame; on n'en représente plus nulle part, et M"'' Jane Essler va de théâtre en théâtre, selon que
l'occasion s'offre, reprenant un jour un de ses rôles d'autrefois, en créant un autre, si on le lui pro-
pose, tantôt à l'Ambigu, tantôt à la Gaité, tantôt à l'Odéon. C'est une actrice intermittente.

Ces éclipses et ces retours ne contrarient point l'idée qu'on se fait-d'elle. Il n'y a guère d'artiste
plus nerveuse et plus journalière. Elle est bonne à voir surtout les jours de première représentation.
Cette délicate et frêle créature est surexcitée par l'émotion de la bataille, le sentiment de la respon-
sabilité, la joie du triomphe; toute l'électricité qui s'échappe de la salle semhle se ramasser en elle et
s'en dégager à coups précipités. Elle trouve en scène des attitudes passionnées, des cris déchirants;
elle transporte la salle.

Ce grand ébranlement dure sept ou huit jours; après quoi elle rentre dans son naturel insouciant
et libre. Elle cueillerait volontiers des mouches sur le décor en écoutant une déclaration ; elle con-
temple le nez du jeune premier, et se jetant dans ses bras lui souffle à l'oreille quelque gaminerie. Il
faut, pour qu'elle consente à jouer, que le démon la reprenne et la secoue. C'est un hasard.

Vous la voyez, quand elle entre en scène, jeter indifféremment sur la salle un regard circidaire et
laisser tomber ensuite ses paroles avec ennui; mais qu'elle ait par aventure rencontré une figure qui
lui plaise, la voilà qui tressaille, se redresse et se met à jouer pour ce seul visage.

Les habitués et les musiciens de l'orchestre n'en peuvent revenir. Ils s'interrogent étonnés :
qu'est-ce que Jane a donc ce soir? Ils cherchent dans les rangs de l'orchestre le bienheureux mortel
pour qui la folle enfant se donne tout ce mal. Faut-il dire que la plupart du temps l'heureux coquin ne
se doute pas de son bonheur?

Ce gamin est femme jusqu'au bout des ongles. Quelle légende on eût faite de sa vie dans ce char-
mant xvinc siècle! C'est une Célimène en blouse et en casquette! tendre tour à tour et cruelle, bonne
enfant et hautaine, désintéressée et avide, toujours artiste à travers ces contradictions; rêvant de ses
rôles, les apprenant avec fièvre, s'en dégoûtant avec rapidité, changeante comme l'onde; un oiseau,
une flamme, un feu follet!

Et quel âge a-t-elle?

Quel âge lui donnez-vous? trente-six ans peut-être. Eh bien! si vous les lui donnez, elle n'en
prendra pas davantage. Non, vous ne lui feriez pas accepter un mois de plus. C'est une honnête fille,
bonne fille aussi, fille aimable et par-dessus tout une artiste, une admirable artiste!

Mais dame, pas comédienne!

Francisquk Sarcey.

f.ic-siniile d'un dessin *le L. G.wxcl.erA.

le Directeur-Gérant, EUGÈNE VÉRON.
 
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