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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 2.1876 (Teil 2)

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Perrin, Émile: Georges Bizet
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GEORGES BIZET.

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esprit distingué et ouvert à toutes les aspirations du beau, il
était inconsolable, les larmes coulaient de ses yeux. Des douleurs
plus cruelles l'attendaient à Venise, où il apprit la mort de sa
mère. Il dut revenir immédiatement à Paris dans un état d'indi-
cible angoisse.

Le chagrin avait fait de l'adolescent un homme. L'étude
l'avait préparé à la lutte, elle l'avait armé pour le combat, car le
combat c'est l'atmosphère de cette grande cité parisienne au sein
de laquelle s'agitent toutes les ambitions, se heurtent tous les
intérêts, se fondent ou se consacrent toutes les renommées. Bizet
se lança courageusement dans cette bataille de la vie où tant
d'autres succombent, dans laquelle il ne devait pas rester long-
temps un soldat obscur ou ignoré. Tous les dons en effet qui
peuvent attirer l'attention et captiver les sympathies, Bizet les
réunissait en lui. Exécutant incomparable, doué d'une mémoire
prodigieuse, d'une inépuisable érudition musicale, combien de
nous lui doivent des heures doucement écoulées où l'âme de
Beethoven, de Mozart, de Mendelshonn, semblait frémir sous
ses doigts. Son maître Halévy n'était plus, Bizet s'était fait
comme le disciple aimé et assidu de Gounod. L'auteur de Faust
avait, lui aussi, deviné quel jeune et sérieux émule il élevait
auprès de lui.

Les Pêcheurs de perles furent la première œuvre importante
de Bizet, œuvre poétique et charmante, pleine d'une grâce juvé-
nile, mais où ne se dégage pas encore le tempérament drama-
tique du musicien. A cinq ans de distance, la Jolie Fille de Penh
montre sous ce rapport un progrès sensible. Le succès accueillit
cet ouvrage et avec le succès vint la confiance. Le jeune compo-
siteur entrevoyait dès lors son avenir, et l'année suivante il put
réaliser un projet formé depuis longtemps par son cœur. En
épousant la fille de son maître Halévy il resserrait par les liens
du sang les liens du respect et de la reconnaissance. Sous quels
plus heureux auspices pouvait commencer l'union de ces deux
jeunes gens si bien faits l'un et l'autre pour se comprendre et
pour s'aimer! Ce fut un charme que cette vie à deux et, dans le
complet épanouissement de son bonheur, Bizet devait tro uver le
complet développement de son génie. La sérénité de sa vie allait
se refléter dans la clarté de style de ses œuvres nouvelles. Jusque-
là il s'était montré hésitant, incertain, préoccupé de la recherche
des formes nouvelles de la musique. Car il était de ceux qui
pensent que l'art n'est pas enserré dans des règles immuables,
qu'il doit être de son temps et suivre le mouvement en avant qui
est la loi de l'humanité.

Djamilè appartient encore un peu à sa première manière,
mais à dater de l'Arlésienne, Bizet a trouvé définitivement sa
voie. A l'abondance des idées mélodiques, au choix de ces idées
il joint la sûreté complète de l'exécution; il manie l'orchestre
avec une aisance admirable, en grand musicien, selon la parole
de son maître Halévy. Cette supériorité dans l'art d'écrire pour
l'orchestre se manifeste d'une façon plus éclatante encore dans
une œuvre instrumentale d'un grand style et d'un souffle puis-
sant qu'il dédia à la Patrie en se rappelant nos malheurs, en son-
geant à nos espérances.

Carmen mit le sceau à la réputation du jeune maître. Carmen
est l'œuvre d'un compositeur dramatique de premier ordre. Les
sentiments les plus divers, la passion, le rire, les larmes sont
traduits tour à tour dans une langue souveraine par la clarté, par
la pureté du style, par la richesse du coloris et la justesse de
l'expression. La partition de Carmen est le chef-d'œuvre de Bizet,
elle est destinée peut-être à devenir un chef-d'œuvre dans l'ac-
ception la plus absolue du mot. C'est là le secret du temps, car
les œuvres musicales ne se classent pas tout de suite au rang
qu'elles doivent occuper, mais le temps sera pour Carmen et ce
n'est pas diminuer son succès présent de dire que cette partition
me semble une œuvre de l'avenir.

Mais le travail assidu, les émotions des répétitions, ces
anxiétés, ces alternatives d'espoir et de découragement qui sont
la vie fiévreuse du théâtre avaient altéré la santé de Bizet. Il se

sentait plus profondément atteint qu'il ne voulait l'avouer à celle
qui lui était si chère. Il avait peur de son bonheur, l'idée d'une
fin prochaine traversa parfois son esprit et son cœur, mais il dis-
simulait ses souffrances avec une résignation et une douceur infi-
nies. Personne autour de lui ne pouvait croire à la gravité du
mal, si bien que, quand vint la mort et sa réalité terrible, ce fut
comme un coup de foudre, mais il emporta du moins cette con-

Type espagnol.

Gravure de F. Méaulle, d'après une aquarelle
de Henri Rcgnauk.

solation de n'avoir pas, de son vivant, causé un seul chagrin
à ceux qu'il avait aimés.

On a souvent fait le douloureux rapprochement de la mort de
Georges Bizet et de la mort de Henri Regnault, et ce rapproche-
ment devient plus sensible encore, puisque leurs monuments funé-
raires vont être inaugurés à quelques jours de distance. Tous les
deux en effet ils devaient être l'orgueil, ils étaient les chefs de
cette jeune génération d'artistes à qui ce rôle est réservé de
maintenir plus éclatante encore la supériorité de notre pays dans
les arts. Ils se ressemblaient par le talent, ils se ressemblaient
par le cœur. Tous deux s'étaient trempés aux fortes études, tous
deux avaient pris les armes'au premier appel de la Patrie, tous
deux ils ont été moissonnés dans leur fleur. Le clavier vibrait
encore, les couleurs étaient humides sur la palette quand s'est
éteint le souffle divin qui inspirait à l'un ses mélodies si colorées,
à l'autre la lumineuse harmonie de ses tableaux. Ils se sont
réunis dans la mort, ces deux frères dans l'art ; un poète ancien
les représenterait, le front ceint de laurier, errant comme deux
pâles ombres, dans des jardins enchantés.

Eh bien! s'il peut être une consolation à des pertes aussi
 
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